Lorsqu'un homme politique de l'envergure de Poutine parle sans retenue, et dit vraiment ce qu'il pense de l'ordre mondial et de ses partenaires occidentaux, il réconcilie la politique et les masses désabusées par les discours et les pratiques hypocrites et les attitudes deux poids deux mesures des maîtres du monde qui tournent le dos aux principes du droit international qu'ils ont, eux-mêmes, contribué à mettre en place. Dans son article réquisitoire-plaidoirie, Poutine revient sur les différents points d'achoppement des relations internationales. La crise syrienne qui a mis la Russie en porte-à-faux avec ses partenaires occidentaux est au cœur de la préoccupation russe. Pour Poutine, le printemps arabe a été détourné aussi bien par les puissances occidentales qui l'ont soutenu, sous prétexte de défense des droits de l'homme et de la démocratie, que par des forces rétrogrades dans les pays touchés par ce vent de révoltes. «L'ingérence extérieure, qui s'est rangée du côté de l'une des parties en conflit, ainsi que le caractère militaire de cette ingérence, ont contribué à une évolution négative de la situation. Tant et si bien que certains pays ont éliminé le régime libyen grâce à l'aviation, en se protégeant derrière des slogans humanitaires. Et l'apothéose a été atteinte lors de la scène répugnante du lynchage barbare de Mouammar Kadhafi», a estimé Poutine qui ne mâche pas ses mots. La leçon de la Libye explique, en partie, la position russe sur le cas syrien, où Moscou refuse de donner un chèque en blanc à l'Occident au risque de rééditer le même scénario qui a plongé la Libye dans le chaos. A ce propos, Poutine considère qu'«après une expérience amère (celle de la Libye, ndlr), nous nous opposons à l'adoption de telles résolutions par le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui seraient interprétées comme un coup d'envoi à une ingérence militaire dans les processus intérieurs en Syrie. Et c'est en suivant cette approche fondamentale que la Russie et la Chine ont bloqué, début février, une résolution qui, par son ambiguïté, aurait encouragé, en pratique, la violence exercée par l'une des parties en conflit.» Cette attitude russe dérange les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux et arabes à tel point que Hillary Clinton demande aux pays arabes de faire pression sur la Russie pour qu'elle change de position. Les seules pressions possibles que certains pays arabes peuvent faire, sont d'ordre économique, commercial et diplomatique. Pourtant, les observateurs avertis ont relevé que le veto russe et chinois arrange l'Occident qui redoutait d'affronter l'armée syrienne à travers une intervention militaire de nature à embraser toute la région du Moyen-Orient. Poutine aborde les questions sécuritaires globales qui préoccupent la communauté internationale. Dans ce sens, il considère que l'approche américaine de cette problématique complique la donne plus qu'elle ne la règle. Appelant les choses par leur nom, Poutine estime : «comme auparavant, je pense que les principaux fondements incluent le droit fondamental à la sécurité pour tous les Etats, le caractère inadmissible de l'utilisation excessive de la force, et le respect, à la lettre, des principes fondamentaux du droit international. Le mépris de ces règles provoque la déstabilisation des relations internationales. Et c'est précisément à travers un tel prisme que nous percevons certains aspects du comportement des Etats-Unis et de l'Otan, qui ne s'inscrivent pas dans la logique du développement contemporain, et qui sont fondés sur les stéréotypes de la politique des blocs. Tout le monde comprend à quoi je fais allusion. Il s'agit de l'expansion de l'Otan, qui se traduit notamment par le déploiement de nouveaux moyens d'infrastructure militaire, ainsi que les projets de l'Alliance (sur l'initiative des Américains) de mise en place en Europe du bouclier antimissile (ABM). Je n'aurais pas abordé ce thème si ces jeux n'étaient pas menés à proximité immédiate des frontières russes, s'ils n'affaiblissaient pas notre sécurité et s'ils ne contribuaient pas à l'instabilité dans le monde.» Pour mieux clarifier son idée, Poutine relève que la sécurité mondiale semble dépendre de celle des Etats-Unis et de ses zones d'influence. Pour Poutine, les Américains sont obsédés par l'idée de s'assurer «une invulnérabilité absolue, ce qui est utopique et irréalisable, aussi bien sur le plan technique que géopolitique». Cette attitude égoïste constitue le fond du problème. Se voulant clair et sans aucune ambiguïté, Poutine considère que «l'invulnérabilité absolue pour l'un impliquerait la vulnérabilité absolue de tous les autres. Il est impossible d'accepter une telle perspective. Toutefois, pour des raisons bien connues, beaucoup de pays préfèrent ne pas en parler ouvertement. Mais la Russie appellera toujours les choses par leur nom, et elle le fera ouvertement. Je voudrais souligner, une nouvelle fois, que la violation des principes d'unité et du caractère inaliénable de la sécurité, et ce en dépit des nombreux engagements contractés selon ces principes, est susceptible d'engendrer des menaces très graves.» Le président russe crève l'abcès et met à nu les visées hégémoniques des Etats-Unis. Manifestement, Poutine compte bien redonner à la Russie la place qu'elle occupait avant la chute du Mur de Berlin, après plus de vingt ans de tentatives russes de cohabiter avec les anciens adversaires de la guerre froide. La patience russe semble avoir atteint ses limites. Poutine n'est pas disposé à céder un seul pouce aux Occidentaux qui se croient au XIXème siècle, en menant des croisades tous azimuts au nom des droits de l'homme et de la démocratie qui sont la nouvelle religion et le nouveau Cheval de Troie de l'Occident. Poutine aborde la crise du nucléaire iranien et celle de la Corée du Nord ainsi que la situation en Afghanistan et en Palestine occupée. Sur tous ces sujets qui constituent autant de points chauds qui menacent la sécurité régionale et la stabilité. Poutine entend que la Russie va assumer ses responsabilités et jouer pleinement son rôle dans tous ces conflits, de sorte à éviter une confrontation à risque et un dérapage de nature à menacer la sécurité mondiale. Poutine projette donc, dès son investiture, de redonner à la Russie sa place de pôle d'équilibre géostratégique et de limiter ainsi les appétits féroces des Etats-Unis et de l'Occident. A. G.