Photo : APS De notre envoyé spécial au Québec Bachir-Cherif Hassen
Etrange sommet que ce 12ème sommet de la francophonie qui se termine aujourd'hui à Québec et qui peut sonner son glas au moment où à cor et à cri les membres de cette organisation l'ont fait coïncider avec le 40ème anniversaire de la fondation du Québec qui se veut le symbole de la francophonie de l'Amérique française. L'exemple le plus probant est le fait que c'est d'abord le Canada qui accueille les chefs d'Etat et de gouvernement francophones, et que, dans ce domaine, Ottawa n'a rien cédé à Québec comme en témoigne l'application tatillonne de la loi canadienne sur les langues officielles dans l'organisation du sommet. Le site Internet bilingue (français, anglais) du sommet, lui, offre un exemple désolant alors même qu'il aurait été si important de le traduire aussi en arabe, en espagnol et en portugais. Ce bilinguisme obtus, tellement «canadian», est d'ailleurs en contradiction flagrante avec le multilinguisme que défend la francophonie. Une francophonie dont on n'entend d'ailleurs à peu près jamais parler entre les sommets des chefs d'Etat et de gouvernement des pays membres, la raison étant que ceux-ci n'ont à peu près rien d'autre en commun que l'usage de la langue française. Le fossé entre les pays développés et ceux du tiers-monde est tel, par ailleurs, que peu d'actions concertées peuvent les souder. L'Afrique francophone est continuellement en demande auprès de la France, de la Belgique et du Canada dont les dirigeants doivent toujours avancer avec prudence pour les aides financières afin d'éviter les prédateurs au nom du partage de cette même langue. Maison mère de la francophonie mondiale, la France, sous l'impulsion de son président, Nicolas Sarkozy, tente maintenant de booster cette organisation en prônant la «nécessité de changement» afin de «bousculer les habitudes» et de permettre à cette institution, comme l'a souligné maintes fois Sarkozy ici à Québec -avant de rencontrer Bush- à cette institution de saisir «l'opportunité» de la crise financière mondiale pour proposer un nouveau modèle économique pour la planète. C'est dans ce contexte où la crise financière est sur toutes les lèvres des chefs d'Etat et du gouvernement présents à ce douzième sommet que le président Abdelaziz Bouteflika a prononcé un discours très attendu et très suivi où la problématique économique a été longuement abordée, avec une large place à la crise financière mais aussi au spectre de la crise alimentaire, aux défis écologiques, à l'instabilité des prix des matières premières sans oublier de mettre en exergue la lutte contre le terrorisme. Très subtilement, Abdelaziz Bouteflika a d'abord rappelé le statut de représentativité de l'Algérie au niveau de cette organisation comme pour repousser les offres de demandes pressantes pour une adhésion à part entière de son pays, en mettant en exergue «l'attachement de l'Algérie à son identité nationale arabe et amazighe», ce qui ne l'empêche pas d'éviter la politique de la chaise vide, puisque le président algérien a, pour mémoire, évoqué «tout le plaisir qu'il a à participer, après Beyrouth, capitale arabe, et Ouagadougou, capitale africaine, à ce sommet de Québec». Ce préalable -statut d'observateur- conforté afin d'évacuer toutes supputations à une adhésion officielle de l'Algérie à la francophonie, Abdelaziz Bouteflika, profitant de la tribune qui lui a été offerte en sa qualité d'invité spécial à se sommet du Québec brosse un tableau de l'expérience algérienne en matière de réformes politiques et économiques depuis l'avènement de son indépendance -pique aux tenants de la colonisation positive- en insistant sur «la démocratie, les droits de l'Homme et l'exercice des libertés fondamentales qui sont aujourd'hui des acquis auxquels le peuple algérien est plus qu'attaché […].» Abordant la crise financière qui secoue le monde, objet de toutes les préoccupations au cours de ces assises, Bouteflika a appelé ses pairs à prendre des «décisions urgentes, voire une refonte du système économique et financier mondial […]» en prônant, avec fermeté, «la nécessité d'une nouvelle approche de la gouvernance économique au niveau mondial». En posant une condition sine qua non, à savoir que cette «gouvernance doit nécessairement être partagée dans le cadre des Nations unies, avec l'adhésion de tous les membres de la communauté internationale». Une manière on ne peut plus claire de répondre au président français Nicolas Sarkozy dont le one-man-show médiatique a agacé plus d'un ici au Québec, particulièrement par son autoritarisme et son égocentrisme à vouloir, coûte que coûte, organiser un sommet international fin novembre, dont il serait le chef de file –sous l'égide des Etats-Unis, pays pourtant déjà dépouillé de tout pouvoir réel face à la crise économique planétaire. A cet égard, Abdelaziz Bouteflika, un des pères fondateurs du Nepad, pivot incontournable des Non Alignés et de l'Union africaine, membre reconnu de la communauté internationale pour son expérience et sa sagesse, ne pouvait décidemment ne pas rappeler au fringant jeune président français «que les pays en développement doivent être pleinement associés à cette démarche nouvelle qui se retrouve dans la nécessaire réforme globale du système des Nations unies dans son contenu politique qu'économique. Et que les pays non alignés et l'Union africaine ont présenté à ce sujet des propositions constructives […]». Emanant d'un président qui a rappelé que «l'Algérie a été parmi les premiers pays africains à se soumettre au mécanisme de l'évolution par les pairs mis en place dans le cadre de l'Union africaine» et au moment où ce même pays dispose d'une aisance financière pour avoir su gérer d'une manière exemplaire sa dette, le conseil vaut son pesant d'or et ce, en pleine récession économique mondiale.