Le Soudan et le Soudan du Sud se sont rencontrés la semaine dernière à Addis-Abeba pour poursuivre les discussions, dans le cadre de l'Accord de paix global qu'ils ont conclu en 2005 à Doha (Qatar), sous l'égide de l'Organisation des Nations unies (ONU) et de l'Union Africaine (UA). La reprise des pourparlers a eu lieu en plein climat de tension entre les deux Etats suite aux récentes violences qui ont fait plusieurs dizaines de morts et des milliers de blessés à la frontière. Avec la non-délimitation d'un tracé frontalier définitif, les deux parties continueront à justifier ces violences armées. L'indépendance du Soudan du Sud, proclamée officiellement le 9 juillet 2011, était considérée comme un grand pas vers la conclusion d'une paix durable avec le voisin du Nord. Mais il semblerait que ce n'est pas le cas. La situation est beaucoup plus complexe que ce que l'on pense. Les anciens ennemis d'hier n'arrivent toujours pas à s'entendre sur un meilleur partage des richesses souterraines et dont les trois quarts se trouvent au Soudan du Sud. Pour le moment, le pétrole sud-soudanais, destiné à l'exportation, transite par le Soudan qui dispose de moyens de transport et de raffinage. La décision de Khartoum de revoir à la hausse les prix de transit a provoqué la colère de Juba qui a interrompu sa production pétrolière et signe un accord avec Nairobi pour la réalisation d'un gazoduc passant par le Kenya afin de mettre fin au chantage économique du Soudan. Mais l'arbitrage de la communauté internationale, à sa tête l'Union africaine qui agit sous l'égide de l'ONU, est la seule solution pour faire respecter les clauses de l'accord de 2005. En plus, il faut attendre le référendum de l'enclave d'Abyeï, riche en pétrole, pour mettre en place le cadre adéquat à un partage équitable de cette ressource qui a alimenté durant des décennies le conflit armé entre le nord musulman et le sud chrétien. L'ennemi se trouve à l'intérieur Selon les observateurs, l'ennemi de Juba n'est pas vraiment Khartoum mais surtout les divisions internes et l'inexistence d'une économie capable d'apporter le bien-être auquel aspirent les Sud-Soudanais en votant le 11 janvier 2011 pour l'indépendance de leur pays. Les nouvelles autorités de Juba, à leur tête le président Silva Kiir, doivent en fait lutter aussi bien pour la sauvegarde de leurs intérêts stratégiques contre le régime d'Omar El-Béchir, et construire le nouvel Etat du Soudan du Sud. Outre la mise en place d'une politique économique fiable, Juba doit d'abord mettre fin aux conflits intercommunautaires qui empoisonnent la vie de milliers de citoyens, notamment dans le nord frontalier avec le voisin soudanais. Ces conflits ont fait ces derniers mois plusieurs centaines de morts et plus de cent mille déplacés. Le Soudan du Sud qui dépend en grande partie de l'aide alimentaire internationale n'arrive pas à juguler ses violences interethniques, souvent déclenchées par les luttes tribales autour du contrôle des points d'eau et des espaces de pâturage. Le vol de bétail constitue aussi une des raisons de la persistance des violences entre les différentes communautés qui ne disposent pas d'autres ressources pour survivre au milieu d'une nature souvent hostile. C'est l'exemple de deux ethnies dans l'ouest du pays, les Nuer et les Murle, qui s'affrontent depuis la nuit des temps pour le contrôle des terres agricoles. Le réchauffement climatique a aggravé davantage la situation et risque même de compromettre à l'avenir tous les plans de développement socioéconomiques que Juba compte lancer, avec l'aide et l'assistance de nombreux organismes internationaux et continentaux, sans oublier les pays partenaires.
Désarmer les milices Le désarmement des anciens combattants sudistes de l'ancien groupe rebelle, le Mouvement pour la Libération du Soudan (Splm), est considéré comme l'une des priorités du nouvel Etat, pour éviter une nouvelle guerre civile dans ce jeune pays. C'est notamment dans la province de Jonglei (nord-est) que cette mission s'avère être plus délicate. Récemment, cette région s'est embrasée pour les mêmes raisons citées précédemment (lutte pour le contrôle des points d'eau, lieux de pâturages et vol de bétail), provoquant un flux de déplacés important vers les camps de réfugiés installés depuis des années par l'ONU. Dans son rapport périodique sur la situation qui prévaut dans le Soudan du Sud, la Coordination des affaires humanitaires des Nations unies (Ocha) a tiré la sonnette d'alarme au sujet de l'opération de désarmement des civils de l'Etat de Jonglei. L'opération risque d'aggraver les tensions actuelles, a averti l'Ocha. «Les efforts de désarmement pourraient contribuer à une escalade des tensions dans un environnement déjà tendu», a indiqué cette organisation dans un bulletin datant du 23 février dernier. «Les communautés rivales du Jonglei hésitent à renoncer à leurs armes en dépit des promesses du gouvernement de procéder simultanément au désarmement dans chacune des régions», a ajouté ce bulletin qui fait état de l'existence de vingt mille armes en circulation dans le seul Etat de Jonglei. Juba a déployé plus de dix mille policiers, tous issus de l'ancien Splm, pour mener cette opération à hauts risques. «Le gouvernement a indiqué que le processus serait volontaire dans un premier temps, qu'il serait mené simultanément dans les communautés rivales et qu'il s'accompagnerait d'une vaste campagne de sensibilisation, d'efforts de paix renouvelés et de la création d'une zone tampon», a ajouté le texte de l'Ocha. En plus de la peur d'attaques des groupes rivaux, les détenteurs d'armes dans l'Etat de Jonglei demandent des compensations financières de la part des autorités de Juba. «Pendant la guerre civile (avec Khartoum), les combattants du Splm ont vendu leurs armes en échange de vaches et d'autres animaux. Ceux qui rendent leurs armes doivent recevoir quelque chose qui leur permette de subsister en échange», selon le Conseil des Eglises du Soudan qui s'est activement impliqué dans les négociations, pour mener l'opération de désarmement des anciens combattants sudistes. A la veille donc de la célébration de l'an Un de leur indépendance, les Sud- Soudanais devraient d'abord se réconcilier entre eux et constituer ainsi une force capable de négocier ses intérêts avec Khartoum. Le Soudan, déjà miné par d'autres rébellions (Darfour, Kordofan du sud) est dans une position délicate actuellement. L'urgence d'une mise en application complète de l'accord de Doha de 2005 fera gagner du temps au Soudan du Sud qui n'a pas d'autre choix que la stabilité politique et sécuritaire pour atteindre ses objectifs de développement socioéconomiques. L. M.