Victoire par-ci, crise par-là. C'est le schéma dans lequel s'est retrouvé le pays au lendemain du cessez-le-feu du 19 mars 1962 dont nous célébrons, aujourd'hui, le cinquantième anniversaire. Alors que la joie de l'indépendance s'exprimait à travers tous le territoire national, voire même au delà, la crise de pouvoir s'est vite invitée dans la direction du FLN. Pour remettre en cause différents organismes de la guerre, mais aussi pour peser lourdement sur la trajectoire du pays après recouvrement de la souveraineté du pays, dès le 5 juillet. La crise à une référence chronologique : été 1962. Et un lieu : Tripoli. Pour M. Ali Haroune, un des acteurs de la période, c'était «l'été de la discorde». La tenue, donc, du Congrès de Tripoli marquait une crise que couvaient les organismes de la révolution depuis plusieurs années. Car le fait que le Congrès se tient malgré l'opposition du Gpra (Gouvernement provisoire de la république algérienne) révèle bien des divergences de fond. Le chercheur Amar Mohand Amer écrit, à ce propos, que «la guerre d'indépendance prit fin dans des conditions conflictuelles et tragiques où le feu de la discorde avait fait couler le sang des combattants devenus ennemis dans une Algérie au seuil d'un destin qui lui échappait. La crise de l'été 1962 fut inévitable car d'importantes dissensions couvaient dans cette Algérie en lutte. Les derniers mois du conflit firent voler en éclat l'unité, tant sanctifiée, du FLN-ALN. L'implosion du FLN historique à l'été 1962 avait radicalement modifié les structures du pouvoir dans l'Algérie indépendante. De nouvelles forces s'imposèrent au détriment de la direction du FLN, celle qui avait négocié la libération du pays». La conséquence, ajoutera-t-il : «Les institutions qui avaient fonctionné depuis le 20 août 1956 furent remises en cause et disparurent. La crise de l'été 1962, c'était aussi l'affrontement armé et sanglant entre les maquisards de l'ALN sur fond de guerre de wilayas et de vieux antagonismes qui étaient restés vifs. L'indépendance de l'Algérie eut un goût amer, le FLN en 1962 paya le prix de ses contradictions et hypothéqua l'avenir du pays.» Mais le chercheur, à l'université Paris VII, préfère faire un saut en arrière pour mieux analyser les causes de la crise. Pour conclure au fait que «la crise de l'été 1962 n'est pas un épiphénomène historique, c'est l'aboutissement logique et objectif des différents soubresauts qu'a connus le FLN depuis sa naissance. Chronologiquement, cette crise recouvre les événements qui s'étaient déroulés entre la nuit du 6 au 7 juin 1962 - interruption des travaux de la quatrième session du Cnra à Tripoli - au 5 septembre 1962 - cessez-le-feu conclu entre les forces de l'Armée des frontières appuyées par les wilaya 1, 5, 6 et un groupe dissident de la 2, et les maquisards de la wilaya 4 soutenus par ceux de la wilaya 3. Mais avant d'aborder cette période, il est primordial de revenir sur les différentes étapes par lesquelles est passé le FLN, et plus particulièrement, par celles où il eut à affronter des crises majeures qui faillirent l'ébranler, bien avant la fatidique session du Cnra de Tripoli au printemps 1962». Le chercheur évoque maintes situations qui auraient pu accélérer les différends. Il cite, à cet effet, le conflit de direction entre Abane et Ben Bella en 1955-1956, l'assassinat d'Abane Ramdane en 1957, le clivage militaires-politiques, la mainmise des 3 B sur le FLN et les limites de cette alliance, le conflit Gpra-EMG, ainsi que le retour des Historiques emprisonnés. Dans son livre «l'Algérie à l'indépendance, la crise de 1962», le défunt Benyoucef Benkhedda souligne que la crise de l'été 1962 «a mis fin au nationalisme militant incarné par le courant Etoile nord-africaine-PPA-Mtld-FLN qui a dirigé et organisé la lutte du peuple algérien pour son indépendance. Le mouvement qui a accompli cette mission historique avait subi en 1954 à la tête une fracture qu'il traînera tout au long de la guerre, une cassure qui n'a pu être ni colmatée, ni soudée, et qui ira en s'élargissant jusqu'à 1962, empêchant le FLN de remplir son rôle de constructeur de l'Etat algérien. Ce fut la permanence des coups d'état: 1959, 1962, 1965, 1992... Celui de 1962, entrepris par l'état-major général, de l'ALN a été le plus néfaste. Il a détourné le cours de la Révolution et engendré un système totalitaire qui a conduit l'Algérie là où elle est». A. Y.