Un an après le soulèvement qui a permis de faire chuter l'ancien système incarné jusqu'à la caricature par Kadhafi et ses enfants, le gouvernement transitoire de la Libye n'a pas encore réussi à offrir un semblant d'Etat cohérent et à exercer un véritable contrôle du pays. Depuis la chute du régime, la Lybie risque plus que jamais de sombrer dans la guerre civile. La situation sur le terrain est des plus tendues. Ces tensions sont particulièrement dues à la configuration absolument particulière de la Libye qui n'a jamais été, à proprement parler, la nation unie d'un seul peuple. La population libyenne est constituée d'environ 170 tribus, aux cultures et aux traditions parfois différentes et aux contours complexes. Les différents groupes ont pu s'armer pendant la période trouble du soulèvement anti-Kadhafi. Une reconfiguration s'est mise en place dans le désordre de l'intervention de l'Otan. Résultat : le Conseil national de transition (CNT), qui assure le pouvoir provisoirement, peine à asseoir son autorité sur tous les pays. Les milices, qui rechignent à déposer les armes préférant négocier des avantages, exercent actuellement une influence sur le terrain devenu mouvant. La situation reste ouverte aux scénarios les plus difficiles. Patrick Haimzadeh, spécialiste de la Libye, estime que «tous les ingrédients d'une guerre civile larvée» sont désormais réunis : luttes tribales, armes en circulation, trafics, absence d'Etat, luttes d'influence pour une rue ou un bout de territoire. Le spécialiste rappelle «la violente prise à partie du porte-parole du CNT à l'université de Benghazi (en Cyrénaïque), un signe du rejet du pouvoir incarné par Tripoli», en fin d'année dernière. Dernier événement en date allant dans le sens de la multiplication de la tension : des chefs de tribus et de milices de la Cyrénaïque proclament l'autonomie de cette région de l'est du pays. Cheikh Ahmed Zoubaïr al-Senoussi, un cousin de l'ancien roi Idriss al-Senoussi renversé par Kadhafi en 1969, est à leur tête. Particularité : la Cyrénaïque concentre l'essentiel des ressources pétrolières de la Lybie. La sonnette d'alarme est tirée. Promptement, le président du CNT Moustapha Abdeljalil, dénonce une «sédition», et déclare : «Nous ne sommes pas préparés à une division de la Libye.» Le CNT menace d'employer la force, si les séditieux ne reviennent pas sur leur décision. «Ils (les Libyens de Cyrénaïque) devraient savoir que des infiltrés et des restes du régime de Kadhafi tentent de les utiliser, et nous sommes prêts à les en dissuader, même par la force.» Après une révolte qui a vu une intervention étrangère faisant plusieurs milliers de morts dans le pays. La période Kadhafi s'est particulièrement distinguée par un presque effacement des différences au sein de la société libyenne. Le guide libyen était parvenu à fédérer ces groupes pour en faire l'un des piliers de sa légitimité. Les comités populaires sur lesquels reposait le pouvoir régulaient les différences et créaient un semblant de jeu politique. Kadhafi disparu, la Libye se retrouve sans structure véritable de l'Etat à même de supporter la périlleuse phase transitoire en attendant la reconstruction institutionnelle. Le CNT, dont l'unité reposait plus sur son opposition frontale à l'ancien chef d'Etat libyen que sur un projet politique commun, se retrouve de facto confronté à une réalité périlleuse. Le contrôle du pays s'avère finalement plus compliqué que le laissait transparaître le semblant d'unité ressenti durant la lutte contre le régime. Les heurts entre les différents acteurs de la scène libyenne font désormais partie de la vie politique du pays. En janvier, des manifestants ont jeté des grenades artisanales sur le siège du CNT à Benghazi avant d'envahir et d'assiéger le bâtiment. Ils réclamaient plus de transparence et l'exclusion des «opportunistes» qui ont fait partie de l'ancien régime. La lutte de pouvoir en Libye s'annonce dangereuse pour l'intégrité du pays. Les centaines de milices qui font office d'acteurs politiques de premier plan donnent des signaux de vouloir en découdre.La transition de la Libye vers un Etat démocratique pourrait s'avérer longue, périlleuse et aux finalités incertaines. La Libye est plus que jamais au milieu du gué. En l'absence d'institutions nationales véritables, les milices qui ont contribué à renverser le régime Kadhafi gèrent où croient gérer tous les établissements, des centres de détention aux hôpitaux. Cependant en plus d'être engagés dans des affrontements fratricides meurtriers, ils font l'objet d'accusations de violation des droits de l'homme et d'exactions notamment à l'encontre des personnes de couleurs. Des élections législatives sont annoncées en juin 2012 en Libye. Dans un contexte d'instabilité tangible, le scrutin – passage obligé vers la reconstruction – risque fort d'être perpétuellement ajourné. M. B.