Une année après la chute du régime Moubarak, l'Egypte, pays le plus peuplé du monde arabe, se dirige vers des élections présidentielles qui s'annoncent des plus tendues. C'est sur fond de vie politique exacerbée que la succession de Moubarak est ouverte. Le dépôt des candidatures pour la présidentielle s'est achevé avec des rebondissements de dernière minute qui bouleversent la course à la magistrature suprême et ouvre la voie à toutes les polémiques. À près de six semaines du premier tour, une vingtaine de candidats ambitionnant de diriger le pays des pharaons. Parmi ces derniers, figurent l'ancien patron de la Ligue arabe Amr Moussa, le prédicateur salafiste, Hazem Abou Ismaïl, le richissime homme d'affaires et membre des Frères musulmans, Khairat al-Chater, l'ancien membre de la confrérie islamiste, Abdelmoneim Aboulfoutouh, ainsi que le dernier chef de gouvernement de Moubarak, Ahmad Chafiq. À la dernière minute, l'ancien chef des moukhabarate égyptiennes, Omar Souleymane, un pilier de l'ère Moubarak, dépose officiellement sa candidature à l'élection. Pour beaucoup d'observateurs, cette dernière candidature est susceptible de rebattre les cartes du futur scrutin. Omar Souleymane a été, pendant vingt ans, l'homme de confiance de l'ancien «raïs» déchu. Il est sorti de l'ombre notamment lors des laborieuses négociations entre les Palestiniens et Israël. Point notable : il est l'une des rares personnalités de l'ancien régime à ne pas avoir été ennuyée par la justice après la révolution. Sa nouvelle ambition inquiète. Pour les tenants du changement, cette candidature a de forts relents de contre-révolution. Le Conseil suprême des forces armées, à qui Moubarak a remis le pouvoir en démissionnant sous la pression populaire, avait promis au peuple de passer les rênes du pays aux civils en juin. Une fois un président élu par le suffrage universel. Ainsi donc, le processus de candidature pour la fonction suprême en Egypte provoque des polémiques à rallonge dans un pays fragilisé par une phase de transition n'en finissant pas. Le salafiste Hazem Abou Ismaïl, connu pourtant pour ses positions anti-américaines, est disqualifié. La cause est liée, comble de l'ironie, à l'origine de sa mère qui aurait été, en 2006, naturalisée Américaine. Or, selon la loi électorale en vigueur, tout candidat à la magistrature suprême doit être uniquement Egyptien, de même que ses parents et son épouse. Autre revirement notable : les Frères musulmans, qui s'étaient pourtant engagés à ne pas participer à la présidentielle, ont créé la surprise en présentant Khairat al-Chater. Ce dernier pourrait lui-même être disqualifié car sorti de prison en mars 2011. Le candidat des Frères a été condamné par un tribunal militaire à sept ans de réclusion pour terrorisme et blanchiment d'argent. Il devrait, selon la loi, attendre six ans à partir de la fin de sa peine ou de la date de sa grâce avant de pouvoir retrouver ses droits politiques. Rompus aux manœuvres politiques, les Frères musulmans ont présenté un candidat «alternatif» pour être sûrs de rester dans la course au cas où leur candidat serait disqualifié. La justice a, par contre, interdit à l'opposant Ayman Nour, chef du Hizb al Ghad, de se présenter bien que le pouvoir militaire ait décidé, après la chute du régime, de lui rendre ses droits politiques. Nour est arrivé deuxième lors des élections de 2005, derrière Moubarak. Ce qui lui a valu d'interminables «ennuis.» En attendant une campagne pour les présidentielles qui s'annoncent explosives, un autre débat fait également rage sur les bords du Nil, celui de la future Constitution de la nouvelle Egypte. Les Frères musulmans, première force politique du pays depuis les législatives, semblent défendre un modèle parlementaire qui arrange leurs ambitions. Le sort réservé à l'armée fait également toujours controverse. Le Conseil suprême des forces armées, véritable détenteur du pouvoir, entend préserver les intérêts des généraux, notamment économiques, et voudrait, au préalable, obtenir des garanties sur d'éventuelles poursuites relatives à la période Moubarak. La confrérie et le CSFA trouveront-il un terrain d'entente ? Ces deux forces conservatrices entretiennent, depuis la révolution, des relations ambiguës qui suscitent des interrogations. La confrontation à coups de communiqués provocateurs risque fort de parasiter le vrai débat politique pour une Egypte nouvelle. La confrérie, fidèle à sa stratégie de l'entrisme, avec l'appui indirect des salafistes d'Al-Nour, exige la démission du premier ministre, Kamal al-Ganzouri, soutenu par l'armée. Une démission que le CSFA refuse. Les Frères haussent le ton, mettant en doute la volonté des militaires de rendre le pouvoir aux civils et menacent de mobiliser leurs sympathisants pour une deuxième révolution. À la tête du CSFA, le maréchal Tantawi se voulant au-dessus de la mêlée, rappelle la nécessité d'une Constitution représentant les Egyptiens dans leur ensemble. A quelques semaines de la présidentielle, la place Tahrir risque fort de reprendre du service. M. B.