Il faut rendre un hommage appuyé aux femmes et aux hommes qui ont organisé le Festival international de la bande dessinée à Alger. Ce qu'ils ont fait relève effectivement de l'exploit, relève d'un mixte de passion et d'entêtement pour raviver une flamme longtemps consommatrice de grands talents nationaux, reconnus par leurs pairs dans le monde. Cette flamme, cette pratique qui consiste à dire par le dessin et quelques mots dans une bulle a été éclairante, pendant des années et aujourd'hui grâce à de talentueux dessinateurs de presse comme Dilem, Maz et des jeunes qui se font les crayons dans les quotidiens. Pendant des années, le raz-de-marée terroriste, l'islamisme, ont laminé le champ culturel, poussant à l'exil pour la survie une foule de créateurs parmi lesquels beaucoup se sont fixés là où ils peuvent d'abord vivre et ensuite s'exprimer et s'épanouir. Le procès des sombres saisons et le bilan à ce jour restent à faire, pour ne pas ajouter de l'amnésie à l'amnésie, de l'oubli sélectif à l'oubli sélectif. Cependant, l'essentiel est de ne pas se contenter d'ajouter un festival, quel que soit le genre, dans une rubrique administrative et à chaque fin d'exercice comptabiliser «les restes à réaliser». Il se trouve en Algérie que ce qui se fait dans tous les arts et domaines culturels dépend, pour l'écrasante majorité des productions, festivals et manifestations, exclusivement de l'intervention doctrinale, éditoriale et surtout financière de l'Etat, de ses démembrements supérieurs et inférieurs, d'établissements publics, surtout s'il y a le patronage d'un membre de l'Exécutif ou du Président lui-même. Cette pratique ou plutôt cette politique a forcément son premier avantage et des inconvénients déterminants pour le développement, le rayonnement, éventuellement l'exportation des productions culturelles et dans l'émergence ou pas d'un puissant secteur privé dans la production culturelle. A ce jour, le seul secteur et le grand paradoxe au vu du nombre d'analphabètes, du réseau de distribution et du volume de ressources à répartir entre tous les ayants-droit, qui fonctionne avec des difficultés spécifiques est celui de l'édition. Ce secteur est, il est vrai, soutenu pour une part par les commandes publiques du livre scolaire dans toutes les disciplines. L'entreprise privée de l'édition du livre n'a pas son équivalent en productions planifiables, annuelles, mesurables et chiffrables dans le théâtre, le cinéma, le ballet, les concerts, la bande dessinée, la fréquentation des musées, des galeries d'art etc. Parce que, hors ENTV, il n'y a pas de commandes publiques, pas de connaissance précise du marché, pas d'espaces dédiés aux arts majeurs et constitutifs d'un réseau périphérique indispensable, pas de laboratoires de pointe... L'Etat se fait plaisir et justifie son existence dans le champ culturel par un maigre budget alloué au ministère concerné, de minuscules aides et subventions et ne génère pas un volume pertinent d'emplois et d'impôts en ne réfléchissant pas à l'implication étudiée et concernée du secteur privé. Ce dernier intervient, qu'il soit national ou étranger, dans ce qui apparaît dénué d'idéologie et de politique : BTP, agroalimentaire, téléphonie, véhicule, eau électroménager, immobilier etc. Les industries culturelles sont une chasse gardée, et c'est pour cela que le gibier est si rare. A. B.