De notre envoyé spécial à Téhéran Abdelghani Aïchoun
Téhéran est une capitale qui présente de multiples facettes. La ville donne l'air de vivre paisiblement, loin des pressions diplomatiques internationales que subit le pays. Les jeunes essayent de mener une vie normale, semblable à celle des jeunes des autres pays. La politique ? On ne s'y intéresse pas trop mais chacun a une idée de ce qui se passe dans son pays et à travers le monde. La ville est très calme même si le son des klaxons –il y a trop de circulation à Téhéran– rompt quelquefois avec cette quiétude. Pour le reste, les citoyens sont beaucoup plus préoccupés par leurs tâches quotidiennes. Bien évidemment, la crise internationale autour du nucléaire iranien n'est pas sans conséquence sur le simple citoyen, à Téhéran, qui, dans la majorité des cas, même s'il s'oppose à la politique de son gouvernement, n'en reste pas moins attaché au principe du droit de disposer de la technologie nucléaire civile. «Je ne comprends pas pourquoi ils nous interdisent à nous ce qu'ils se permettent eux-mêmes. Pourquoi tous les pays occidentaux commencent à réfléchir à l'après-pétrole en développant au maximum cette technologie alors que nous, nous n'en avons pas le droit. C'est hypocrite. Ils veulent que nous restons toujours à la traîne», nous déclara Navid, un jeune étudiant rencontré à côté de l'hôtel Istiqlal de la capitale iranienne. Tout en affirmant qu'il ne soutient pas forcément les choix politique et économique au niveau national du président Mahmoud Ahmadinejad, l'étudiant nous a indiqué, néanmoins, qu'il approuve tout à fait les positions du Président envers les Etats-Unis, essentiellement, «qui ne font qu'accentuer les pressions sur l'Iran», selon lui. Pour Mirza, «il n'est pas juste de faire vivre le peuple iranien sous une menace permanente d'une guerre alors qu'il ne veut que maîtriser la technologie nucléaire civile que plusieurs autres pays d'ailleurs développent depuis des décennies». Une menace qui a eu pour effet immédiat de mobiliser les Iraniens autour de leur Président et de leur gouvernement. Mais cela ne veut pas dire que les habitants de Téhéran vivent avec la panique d'entendre, du jour au lendemain, des sirènes d'alarme leur demandant de se terrer dans des caves et autres. Bien au contraire. Chacun, s'occupant de ses tâches quotidiennes, fait comme s'il n'y a aucunement cette polémique. «Nous sommes certains qu'ils n'oseront pas frapper. Du moins c'est mon avis personnel», nous a indiqué Ali, un comptable qui se convertit en «clandestin» à la fin de ses heures de travail, avant d'ajouter que «les Américains savent que, contrairement, à certains autres pays, l'Iran a une force de riposte, et il y a un risque que toute la région du Moyen-Orient s'embrase». Ce dernier, qui nous a signalé qu'il suit de très près l'actualité internationale, pense qu'il faut attendre le nouveau président américain pour connaître les orientations de la diplomatie américaine. Assurance démesurée, résultat d'une propagande du gouvernement, ou justifiée, eu égard à l'arsenal militaire iranien ? En tout cas, les quelques citoyens abordés à Téhéran estiment dans leur majorité que leur pays est sur la bonne voie et devra être soutenu par les autres Etats qui veulent développer la technologie nucléaire civile. Pour eux, il faut à tout prix tenter de s'opposer à ceux qui veulent imposer une logique unique dans ce monde.
Une jeunesse pleine d'aspirations «Vous voyez bien qu'on est un pays tranquille», nous a déclaré ce «clandestin» qui s'est arrêté, vers vingt et une heures, pour nous transporter moyennant une somme d'argent –moins cher que les taxis légal– vers le centre-ville où il y a quelques centres commerciaux. «Vous pouvez circuler toute la nuit sans aucun risque. La ville est vraiment sécurisée», a-t-il ajouté. Il est vrai qu'à peine arrivé dans la capitale iranienne, un étranger se rend tout de suite compte de l'exactitude de ces affirmations. A travers toutes les artères de la ville, une personne, du pays ou étrangère, peut, à titre d'exemple, compter son argent en public ou sortir son téléphone portable sans risque de se faire agresser. Donc, dans un des centres commerciaux du centre-ville, appelé communément Tadjerich, vers 21 heures, les citoyens s'affairaient toujours à faire leurs courses. Il n'y a pas trop d'étrangers qui se rendent en Iran. La majorité sont des Arabes. A cette heure-ci, il y avait toujours du monde. Jeunes, moins jeunes et femmes scrutaient les devantures des boutiques. Les prix sont assez élevés à Téhéran. «Le niveau de vie est en hausse en Iran, c'est pour cela que les prix des différents produits suivent aussi cette courbe ascendante», nous a expliqué un bijoutier. Les filles, même seules, circulent dans les artères de la capitale jusqu'à une heure tardive de la nuit. Des salons de thé sont ouverts. Durant les soirées, la majorité des occupants des tables sont, paradoxalement, des couples. D'ailleurs, le visiteur de la capitale du pays des Perses est tout de suite frappé par ces images qui contredisent souvent ce qu'on entend à propos de Téhéran. Les filles, portant un léger foulard couvrant partiellement leurs cheveux, n'hésitent plus à arpenter les artères de la ville, accompagnées d'un homme, sans se faire «embêter» par qui que ce soit. «Les Pasdarans se font de plus en plus rares dans la capitale. Je pense que le régime a compris qu'en étouffant davantage les jeunes, le pays irait tout droit vers l'explosion. C'est pour cela que, depuis quelques années, il y a un peu plus de liberté sur ce plan», nous a déclaré un jeune travaillant à l'hôtel Istiqlal. Un autre a ajouté que, quelquefois, pour ne prendre aucun risque, des filles mettent une bague, en guise d'alliance, dès qu'elles sont accompagnées par un homme. De la sorte, personne n'osera s'approcher pour vérifier la relation. En tout état de cause, Téhéran est plus «émancipée», si on ose utiliser ce terme, que plusieurs autres capitales arabes ou musulmanes. Les femmes conduisent des véhicules sans le moindre problème. Il y a même des couples, un homme et une femme, qui se déplacent en moto. Un comportement vraiment rare dans d'autres pays. Téhéran contredit les clichés souvent véhiculés en Occident.
Les Iraniens parlent l'anglais plus que l'arabe Sur le plan linguistique, les Iraniens, contrairement à ce que pensent certains, du fait que c'est un pays musulman, s'expriment très peu en arabe. Ils ne sont pas nombreux ceux qui parlent cette langue. Dans la majorité des cas, ceux qui s'expriment à Téhéran en langue étrangère utilisent l'anglais. «Je ne parle que farsi et anglais», nous a déclaré le «clandestin» qui nous a déposés dans le centre-ville de la capitale. «J'ai appris l'anglais à l'université et surtout grâce à des formations linguistiques autonomes», a ajouté notre interlocuteur. Un responsable local, qui a requis l'anonymat, nous a indiqué que, si les Iraniens s'expriment peu en langue étrangère, c'est parce que pratiquement tout leur cursus scolaire et universitaire se fait en langue perse. Et comme il y a un énorme travail qui se fait en ce qui concerne la traduction des ouvrages scientifiques et autres, les Iraniens n'ont pas besoin des langues étrangères pour évoluer. Même au niveau de l'hôtel Istiqlal, un des plus huppés de la capitale, un étranger trouverait des difficultés à communiquer avec le personnel. Il n'y a pas beaucoup de travailleurs dans cette enceinte touristique qui parlent l'anglais. Pour les Arabes, le problème peut être relativement résolu puisqu'il y a toujours des termes perses et arabes qui se ressemblent. En tout cas, les Perses sont un peuple accueillant qui reçoit ses invités avec beaucoup d'enthousiasme et de chaleur. Les jeunes veulent surtout donner une autre image de celle véhiculée par certains Occidentaux même si quelques réflexes persistent toujours chez les plus âgés. Malgré toutes les pressions que subit le pays, les habitants de la capitale iranienne tentent de mener une vie paisible tout en étant à l'écoute de l'évolution des événements…