Cinquante ans après l'indépendance de l'Algérie, la résurrection du personnage théâtral de Kaddour Leblindi sur les planches de par son créateur, le dramaturge H'mida Ayachi, ne pouvait pas trouver de période plus propice. C'est au Palais de la culture Moufdi-Zakaria que le monodrame Carine et son double, écrit et interprété par H'mida Ayachi, a été présenté, mardi soir dernier, devant un public averti venu nombreux.Après un succès fulgurant lors de la générale qui a eu lieu le soir de l'inauguration du Festival national de théâtre de Sidi Bel-Abbès, c'est à Alger que Kaddour Leblindi est venu faire son show et crier son ras-le-bol. L'ambiance est sombre, le public et la scène sont plongés dans le noir, le musicien Laârbi Bousemta, assis en tailleur dans un coin de la scène, donne le ton avec son mandole. H'mida Ayachi est allongé sur scène et se réveille apeuré, terrorisé. Kaddour Leblindi vient de faire un cauchemar. Il s'est vu écrasé par des chaussures. Avec la voix d'un petit enfant, il entame son récit, parle d'une enfance peu ordinaire marquée par de nombreux traumatismes. S'inscrivant dans le genre théâtre bréchtien, ce monodrame tient un discours direct. Le comédien dénonce l'injustice et crie son malheur. Il ne mâche pas ses mots pour cracher des vérités. Profondément engagé, le texte est cru, fruit d'un cumul personnel de 50 ans. Kaddour Leblindi ainsi que sa famille sont victimes d'une grande injustice, sa maison familiale vient d'être démolie par les autorités qui envisagent d'y faire passer une autoroute. Désemparé, l'homme à la fois naïf et lucide, tente de trouver à qui se plaindre, ce qui est de nos jours impossible. Se heurtant à plusieurs obstacles, notre homme sombre dans le délire. Il raconte ses malheurs aux bêtes, à une pierre et même au mur, en vain. Le comédien finit par se tourner vers son public qu'il implique dans le spectacle en lui faisant répéter des refrains. Le moment fort du spectacle sera quand le comédien se met face à une chaise qui symbolise le pouvoir, et entame un face-à-face poignant. Le public y prend part et compte avec le comédien les années que les autorités ont passé sur ce trône sans pour autant apporter du nouveau. Tout est passé au crible dans ce monodrame de l'indépendance, de l'époque du défunt Ben Bella en passant par l'ère de Boumediene, la révolution du 5-Octobre 1988 pour arriver à la décennie noire, même la période post-réconciliation nationale n'est pas épargnée. Sur les planches, le comédien se donne à fond. Il est merveilleusement accompagné par la voix résonnante du musicien, tantôt au oud tantôt au gumbri. Présenté le 8 mai, date hautement symbolique, le texte de ce monodrame a la particularité d'être intemporel vu qu'il relate l'histoire récente du pays avec tout ce qu'elle comporte comme rebondissements. W. S.