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Boualem Kanoune, l'homme, le militant et l'artificier
Compagnon de Boudiaf, de Didouche et de tant d'autres héros de la révolution
Publié dans La Tribune le 29 - 10 - 2008

Le 10 octobre 1954, soit 20 jours avant le déclenchement de la révolution armée, une réunion, la dernière en date avant le début de la lutte armée, eut lieu non loin de Boufarik. Boudiaf, Didouche Mourad, Lahouel Hocine, Kritli Mokhtar et leurs compagnons étaient décidés à mener la lutte armée jusqu'au recouvrement de l'indépendance du pays. Et, alors que les divergences entre les messalistes et les centralistes avaient atteint leur apogée, Boudiaf, s'adressant aux centralistes, leur lancera : «Nous déclencherons la révolution avec ou sans vous, nous la déclencherons, s'il le faut, avec les singes de la Chiffa, nous la déclencherons bientôt.»
Ce sont là les paroles rapportées par le défunt Boualem Kanoune, l'un des plus illustres combattants de la guerre de libération nationale (décédé récemment d'une tumeur à l'âge de 89 ans), lors d'un entretien qu'il nous avait accordé il n'y a pas très longtemps. Durant la guerre de libération nationale, il était connu pour être un poseur et, surtout, un confectionneur de bombes de premier plan.
La simple prononciation de son nom faisait trembler l'armée coloniale.

Ecriture de l'histoire ou l'empreinte de Boualem Kanoune
«Aami Boualem est l'un des personnages clés de la révolution. Le fait que des gens chargés de la réécriture de l'histoire du pays, à l'image de Youssef Khatib, lui rendaient souvent visite pour lui demander de plus amples renseignements au sujet d'un événement qui s'est déroulé pendant la guerre de libération nationale, est on ne peut plus révélateur sur l'aura qu'avait l'homme de son vivant», nous dira l'un de ses voisins.
Il est vrai que celui qui a côtoyé des monuments de la révolution algérienne de l'envergure des Messali Hadj, Didouche Mourad, Boudiaf, Souidani Boudjemaa, Benkhedda et Ouamrane (pour ne citer que ceux-là), ne pouvait qu'avoir des choses à dire. En dépit de son âge avancé, il avait toujours bon pied bon œil. Le poids des ans ne semblait pas l'avoir tellement affecté. Pour celui qui ne le connaissait pas, c'est à peine s'il lui aurait donné 60 ans, tellement il se caractérisait par son dynamisme et son inlassable activité. Lors de l'entrevue que nous avions eue avec ammi Boualem, ce dernier aurait pu parler jusqu'à l'aube tant il avait de nombreuses choses à dire. Pour relater des faits, il n'avait guère besoin de forcer sa mémoire. C'est à croire que les faits dont il parlait s'étaient déroulés depuis peu.
Il parlait avec une très grande lucidité, parfois, avec passion et l'on sentait bien que, pour lui, l'exactitude et la rigueur étaient loin d'être de vains mots. «On le sollicitait souvent pour des conférences ayant pour thème la révolution et tout ce qui s'y rattachait, à l'université et à travers les centres culturels et les lycées du pays. En dépit du fait que cela prenait beaucoup de son temps, il n'hésitait jamais à répondre présent», nous dira Fawzi, l'un de ses 10 enfants. C'est dans la maison paternelle (une vieille demeure datant de l'ère coloniale, située non loin de Bab Essebt, à Blida) que notre interlocuteur nous a reçus. Il a bien voulu nous entretenir sur les activités de son défunt père, avec, il faut le dire, un sens de l'hospitalité rarement égalable.

Octobre 1954 : tenue d'une rencontre capitale près de Boufarik
C'est très jeune que Boualem Kanoune a rallié le PPA. C'était à la fin des années trente. Le fait d'avoir gravi les échelons au sein de l'OS (ce qui a fait qu'il fut activement recherché par les Français) et surtout, d'avoir vécu les différentes étapes du mouvement national et assisté aux différends idéologiques entre les messalistes et les centralistes l'a, incontestablement, façonné et mûri. «Mon défunt père se remémore la date du 10 octobre 1954 durant laquelle une importante réunion [la dernière avant le déclenchement de la Révolution armée], présidée par Boudiaf, Didouche Mourad, Lahouel Hocine et Kritli Mokhtar, a eu lieu. Le groupe des 22, les responsables des centralistes ainsi que les cadres de la Révolution dans la région de la Mitidja avaient pris part à cette rencontre. Des décisions d'une importance capitale furent prises durant cette rencontre», tiendra à dire notre interlocuteur. Mais, incontestablement, l'une des citations clés, et qui semblent avoir marqué le fils de feu Boualem Kanoune, étaient assurément les paroles (rapportées par son père) lancées par Boudiaf à l'adresse des centralistes, au moment où les divergences entre ces derniers et les messalistes avaient atteint leur paroxysme. «Nous déclencherons la révolution s'il le faut même avec les singes des gorges de la Chiffa ; nous la déclencherons avec ou sans vous ; nous la déclencherons bientôt», avait martelé celui qui est considéré comme le père de la révolution algérienne. Il y a lieu de préciser qu'à l'apogée des différends entre les messalistes et les centralistes, les militants de la Mitidja étaient restés neutres. «Lorsque les divergences entre les centralistes et le groupe des 22 s'étaient accentuées, mon père avait dit à Benyoucef Benkhedda, lequel occupait la fonction de responsable chargé de la propagande et de l'information au niveau de la Mitidja, qu'il ne pointerait son arme sur aucune personne à cause de ses convictions politiques. Pour mon père, il y avait d'autres priorités, d'autant que le peuple attendait beaucoup de ses représentants. Il ne fallait pas le décevoir en passant à côté, et c'est pour cette raison que, pour mon père, l'heure devait être à l'apaisement», dit le fils du célèbre poseur de bombes. Au sujet de la relation qui liait son père à Boudiaf, notre interlocuteur dira que cette dernière remonte à la période antérieure à 1950. «Au cours du mois d'avril 1950, Boudiaf est venu voir mon père en lui demandant de nouer des contacts avec les éléments se trouvant dans les montagnes de Blida. Mon père avait mis Boudiaf en contact avec Souidani Boudjemaa, Bouchaïb, Ouamrane et Salah Zaamoum. De longues discussions furent entamées entre eux sur la façon de déclencher la révolution», dira-t-il. «à la lumière des discussions qui eurent lieu, Boudiaf chargera Boualem Kanoune de mettre au point des bombes qui serviront au moment opportun. C'est ainsi qu'avec l'aide de Souidani Boudjemaa, pas moins de 350 engins explosifs furent confectionnés et prêts à être utilisés. Les ateliers de fabrication de bombes poussaient comme des champignons dans les régions de Halouia, Ferroukha, Guerrouaou et Ouled Yaïch. “Nous craignions les traîtres et, de ce fait, nous avions mis en place une stratégie à même de nous prémunir contre d'éventuelles fuites au profit de l'ennemi. Vous ne pouvez pas imaginer combien Boudiaf était pressé de voir les bombes prêtes. Pour accélérer la cadence du travail, des militants d'Alger nous ont prêté aide et assistance. Les critères exigés pour effectuer pareille mission étaient la compétence et, surtout, la confiance. Un rien pouvait tout faire tomber à l'eau”, avait déclaré mon père lors d'une conférence à l'université de Blida il y a quelques années.»

Boualem Kanoune ou le sens de l'anticipation
A la veille du déclenchement de la Révolution, une réunion s'était tenue dans un endroit secret, durant laquelle de nombreux détails, liés à la démarche à adopter par les militants, étaient discutés. «Mon père se souvient qu'à une question relative au nombre d'années que durerait la guerre de Libération, il était le seul à avoir répondu : “7 ans”. Vous pouvez vous en assurer auprès de personnes toujours en vie et
qui peuvent confirmer ces dires. Les autres réponses variaient entre 7 ans et demi et dix ans», précisera-t-il. Notre interlocuteur fera savoir qu'à l'avènement de la révolution, le point de mire des militants était les casernes de l'ennemi, particulièrement celles de Blida et de Boufarik. «Sur les héros de la région de la Mitidja de l'époque [Brakni, Si Moussa, Si Baghdadi, Si Yahia etc.], mon père pouvait parler des heures durant tant ils ont laissé des séquelles indélébiles et tant le nom de chacun d'eux était intimement lié à une embuscade ou à un attentat des plus spectaculaires, ayant causé d'importantes pertes à l'ennemi», enchaînera-t-il. Après l'indépendance, Boualem Kanoune fut le conseiller du président Ahmed Ben Bella.
En outre, il a assumé pendant quelques années la fonction de maire de Soumaa, près de Blida, avant de devenir membre de l'APW de la même wilaya. D'aucuns affirment qu'il était l'un des plus fidèles amis de l'actuel président de la République. Il a toujours voulu inculquer à la population, particulièrement à la frange juvénile, que le recouvrement de l'indépendance n'a pas été une mince affaire. De colossaux sacrifices ont été consentis. Il a toujours été convaincu que le pays devait faire preuve de vigilance afin de préserver les acquis de la révolution.
B. L.


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