Le fameux «Tab djenan-na» (Nous avons fait notre temps) lancé par le président Bouteflika à Sétif, à la veille des élections législatives du 10 mai, semble s'appliquer à d'autres catégories de la population et même à ceux, plus jeunes que les membres de la famille «révolutionnaire», visés par les mots du chef de l'Etat et, dans d'autres secteurs d'activités, en premier lieu, la culture. L'Algérie est entrée dans une période où les jeunes d'aujourd'hui ont adopté cette culture urbaine, que même la génération légèrement au-dessus n'assimile pas. Une culture qui a son propre vocabulaire et qui engendre un comportement «spécial». Une culture qui peine encore à sortir de son statut «underground», tant les pouvoirs publics n'ont pas encore décidé de regarder en sa direction, considérée peut- être comme étant un «art voyou», comme à chaque fois qu'une génération évolue différemment. Un vocabulaire riche, même s'il paraît étrange. Tu connais le tourne-tablisme ? C'est l'une des activités d'un disk jockey. C'est quand il fait du scratch. Tu ne sais pas ce que c'est que le scratch ? En fait, c'est un bruit que le DJ produit, pour accompagner un rythme de musique, généralement rap, sur lequel danse une bande de breakers. Ah oui ! Il faut encore expliquer à ces «jeunes vieillards» que les breakers sont les danseurs hip-hop qui tournoient, sautent et dansent à même le sol, dans des positions aussi bizarres que rocambolesques, avec une casquette portée de travers sur la tête. A Tizi Ouzou, le jeune Yacine Harzi, membre du groupe Makizard Prod, qui regroupe des rappeurs, des breakers, des DJ et même des taggers, a eu du mal à expliquer tous ces concepts. Son groupe, si l'on peut l'appeler ainsi, ne s'occupe pas seulement de danse hip-hop et de rap. Avec les propres moyens de ses membres, il est question d'enregistrement, de composition de musique (rap bien entendu) et d'écriture de textes pour les chansons. Le home studio installé à domicile (une sorte de petit studio d'enregistrement, dont l'outil principal reste un micro-ordinateur), Yacine Harzi affirme que «pour l'instant, les pouvoirs publics ignorent superbement les adeptes de la culture urbaine». Il rend hommage au directeur d'une maison de jeunes, qui a mis une salle à leur disposition. Mais, en dehors de cela, leur activité reste underground. Marginalisée. Peut-être que leur look dérange les adeptes du costume-cravate ? Le contenu de leurs textes, que l'on trouve parfois trop engagé ? Notre interlocuteur ne s'occupe pas de tous ces détails, mais trouve l'activité de la culture urbaine non structurée. Il existe même un championnat national, pour lequel les autorités ne sont pas impliquées. Il se rappelle qu'en 2003 ou 2004, la Maison de la culture Mouloud-Mammeri, de Tizi Ouzou, a mis à leur disposition une salle, avec promesse de leur procurer du matériel et des équipements pour leurs activités. Le groupe Makizard Prod ne recevra aucune aide, même s'il est sollicité pour des spectacles. Au bout de quelques mois d'attente, ses membres décident de quitter les locaux de l'enceinte culturelle. Harzi se rappelle aussi quand lui et ses copains ont fait le déplacement à Sétif, pour un spectacle de hip-hop et sur invitation de la Garde républicaine.Les différentes compétitions «à la limite de la clandestinité» auxquelles participe le groupe de break «Kamikaze Crew» de Makizard Prod ont lieu dans différentes wilayas du pays. Il y a même des éliminatoires, aux niveaux de la wilaya et de la région pour, ensuite, se qualifier à une compétition nationale. «Près d'une dizaine de groupes de Tizi Ouzou participent à ces compétitions», selon les dires de Yacine Harzi et le «Kamikaze Crew» de la ville des genêts a même eu l'occasion, une fois, d'être sacré Champion d'Algérie.Notre jeune interlocuteur ne manquera pas de souligner que son groupe est composé, aussi, de quelques taggers, qui s'amusent avec leurs bombes à peinture. Ils s'entraînent un peu à la maison de jeunes, avec leurs «acolytes» des autres activités. Mais ils ont, néanmoins, besoin de quelques supports, pour ne pas «massacrer» les murs de cette enceinte, dépendant du secteur de la jeunesse et des sports. Yacine Harzi annonce qu'une association est en cours de création, pour que l'activité devienne «officielle». Pour qu'ils puissent, peut-être, trouver un peu d'aide, pour continuer à s'exprimer à leur manière. Trouveront-ils cette aide un jour ?