Remarquez que ce n'est pas parce qu'on déteste Elissa Khoury, la chanteuse aux lèvres botoxées au Maroc, qu'on ne doit rien dire de l'invitation qui lui a été adressée à chanter chez eux par des édiles annabis. Il doit bien y avoir des mélomanes parmi ces artistes qui pensent que la race caprine a des cordes vocales. Soyons indulgents tout de même ! Et observez aussi, indulgents lecteurs, que ce n'est pas parce qu'on n'aime pas notre Mélina Mercouri, la Toumi nationale, qu'on doit s'interdire de dire un mot sur ce que pense la Khalida algérienne de l'Elissa libanaise. Ne serait-ce que du bout des lèvres. La ministre, par la voix de la chanteuse irritée, dit que c'est l'argent sale de la chkara noire qui serait à l'origine de la venue dans la Coquette de celle qui chante «Ahla dounia». Notez que pour la coquette somme de 9,5 millions de dinars, Elissa peut bien trouver qu'elle vit dans «Ahla dounia», le plus sucré des mondes ! Ceci dit, le télescopage d'Elissa et de Khalida est juste un prologue pour dire deux mots sur le Petit Robert 2013. Egalement, à propos de mots d'Alger qui sentent bon le suranné mais qui sont toujours d'actuel usage. Vous êtes donc au courant que le dico, toujours à la recherche du temps perdu, suit toujours le mouvement. Mais il se rattrape en attrapant les nouveaux mots que le génie de la société a déjà banalisés. Le petit Robert a ceci de chic qu'il popularise encore plus des mots usuels comme «belgitude», «pannacotta» et, ne rigolez pas, le guilleret «Lol» qui ricane comme un «tweet». Le Petit Robert est lui-même «borderline» quand il consacre enfin cet adjectif largement usité chez les psychanalystes. Mais ne boudons pas notre plaisir quand le dictionnaire de M. Paul Robert d'Orléansville inscrit des québécismes comme «taxage», le racket entre jeunes et «bobettes», les dessous chic et choc des femmes ou des hommes. Ou encore, cerises belges sur le gâteau linguistique français, la «prépension» (préretraite) et la «panade». Non pas la mouise ou la soupe au pain, mais le goûter pour bébés belges. Ces mots, qui ont nouvellement trouvé leur voie dans la lexicographie de M. Robert, sont plus chargés de musique et de poésie que la voix d'Elissa. D'autres, par ailleurs, qu'aucun dictionnaire n'a encore captés, sont dignes de figurer sur une feuille de solfège linguistique. Ces mots d'Alger sont un hymne vibrant au génie d'une langue populaire toujours vivante. Idiome de thé à la menthe fraîche qui charrie encore les fragrances de l'arabe, du berbère, du français, du patatouète, du turc osmanli, de l'italien, du maltais et de l'espagnol, quand ce n'est pas de l'Occitan ou du corse ! Nombre de ces vocables sont des survivances d'une langue propre aux marins et aux pêcheurs qui ont fait la fortune linguistique d'Alger. Ah, le «schkoupi», guère vulgaire mais désignant naguère les algues qui accompagnait parfois le menu fretin dans les filets ! D'ailleurs, pour dire à quelqu'un qu'il n'aura rien, walou, macache, on lui dit : «schkoupi wèrrghaoui», l'écume et les algues tu auras ! Goûtez aussi au «didane» et à «didanou», lorsqu'il s'agit de dire d'un pêcheur qu'il est toujours costaud. Mot turc, d'origine persane, pour dire rien n'a changé, c'est comme hier. Ou encore le «tnah», l'imbécile qui ressemblerait à la bite d'amarrage des bateaux de pêche qui ne bouge jamais. On aime aussi, comme une injonction de GI'S, les «goumènes», les grands cordages, notamment ceux des ancres des navires. Et, sucré comme un rahat loukoum, le «mérkouche», aujourd'hui, nom de ma consœur Rachida Merkouche de La Tribune. Jadis, le long et joli tuyau en fil de fer revêtu de cuir du narguilé. Et, bonté divine, cette poésie sans fin dans des francisismes comme «kasswila», la marmite qui mijote comme un cassoulet ! Sans oublier le délicieux «boutninir» quand on est à bout de nerfs, mais jamais au bout de son plaisir des mots. Et, à tire d'ailes, le sucré «tchoûtchoû mâlah», l'oiseau salé, le «çûçû» turc qui désignait la mouette ou l'albatros dont les stridulations sont plus agréables que le chant d'Elissa Khoury. On arrête là la chanson des mots d'hier. N. K.