Par Mohamed Gu�tarni, Ma�tre de conf�rences. D�partement de fran�ais. Universit� de Chlef. Paul Val�ry disait au sujet de Paul Robert : �Il faudrait continuer l��uvre de Littr�. Il avait raison. (�) Ce n�est pas une acad�mie qui pourrait faire une �uvre pareille. C�est un individu coura- geux, entour� de quelques per- sonnes de bonne volont� Je fais des v�ux pour qu�il soit permis de mener � bien ce grand travail.� Un homme, une vie, une �uvre Paul Robert est un natif de la ville anciennement nomm�e Orl�ans-ville [du temps de la colonisation], aujourd�hui Chlef. Cette nouvelle appellation est survenue au lendemain du s�isme du 10 octobre 1980 qui a fait pr�s de 4 000 victimes. Il est n� le 19 octobre 1910. La trag�die, qui a frapp� sa ville, a eu lieu en octobre, mois de sa naissance, et 1980, ann�e de sa mort. Quelle co�ncidence ! Nous avons presque envie de croire qu�il a refus� d�assister aux obs�ques de la ville qui l�a vu na�tre. Ses grands-parents, originaires de Mougins (Alpes maritimes), se sont install�s en Alg�rie en 1849. Il est le benjamin d�une nombreuse fratrie. Apr�s avoir obtenu son baccalaur�at, en 1929, Paul s�inscrit � l�Institut agricole de Maison Carr�e, aujourd�hui Institut agronomique d�El-Harrach. Peut-�tre parce que son p�re poss�dait des plantations et �tait, en m�me temps, maire de sa commune. Dans tous les cas, il ne semblait pas �tre trop int�ress�. L�ann�e d�apr�s, 1930, il s�oriente vers les �tudes de droit pour devenir avocat au barreau d�Alger, puis d��conomie politique. Etant �tudiant, Paul �tait r�dacteur en chef de la revue Alger-�tudiant. En 1933, il s�installe � Paris avec sa premi�re �pouse et pr�pare de nombreux dipl�mes : droit public, �conomie politique et droit romain et, enfin, sciences politiques en 1939. Il renonce au barreau et opte pour l�enseignement. Il pr�pare, alors, l�agr�gation en droit puis un doctorat. Un dictionnaire analogique en gestation Paul Robert explique lui-m�me que l�id�e de son dictionnaire analogique lui est inspir�e � partir de son go�t pointu pour le perfectionnement des choses m�me les plus simples. Il �crit � cet effet : �Les dictionnaires, toujours plac�s � port�e de main, m��taient d�un pi�tre secours. Ils m�aidaient � lever quelques h�sitations sur l�emploi correct d�un mot ou d�une locution, mais quant � fournir le terme pr�cis qui �chappait � ma m�moire ou � ma connaissance, il ne fallait gu�re y compter.� Lors de son service militaire, 1936-1938, Paul Robert �tait affect� au minist�re de la Guerre, service du chiffre (codage secret). Il fut charg� de r�diger un manuel de cryptographie auquel il donnera la structure d�un dictionnaire. Une fois lib�r� de ses obligations militaires, il quitte Paris pour Alger o� il ach�ve sa th�se d��conomie politique intitul�e Les agrumes dans le monde. Rappel� sous les drapeaux durant la Seconde Guerre mondiale, Paul Robert est de nouveau affect� au service de d�cryptage puis � la Direction g�n�rale des �tudes et recherche (DGER) � Paris. D�mobilis� le 15 janvier 1945, il soutient sa th�se qui lui vaudra, en 1947, la m�daille d�or de l�Acad�mie d�agriculture de France. La m�me ann�e (1945), il abandonne tout pour la �lexicographie�. Il commence, alors, l��laboration de son dictionnaire alphab�tique et analytique de la langue fran�aise. En d�pit de sa r�ussite universitaire et son riche capital cognitif, Paul Robert continue � frayer son petit bonhomme de chemin vers la r�alisation de son dictionnaire. Entre-temps, il prend la g�rance d�une petite librairie familiale au Quartier latin, � Paris, et, en m�me temps, il reprend ses cahiers de jeunesse. Il entame une longue et patiente r�flexion sur un dictionnaire id�al qui serait, � la fois, analogique et alphab�tique. Cependant, malgr� quelques soucis financiers, il n�a pas renonc� � ouvrir sa propre maison d��dition en Alg�rie � laquelle il donnera le nom de La Soci�t� du Nouveau Littr�. Le projet de cr�er son dictionnaire est pass� de l��tat de gestation au stade de la maturit�. Il (projet) a, donc, quitt� ses petits sentiers battus pour tenir s�rieusement la route vers sa r�alisation. Le 15 juin 1950, il a �t� prim� sur simple pr�sentation d�un fascicule. Le 15 octobre 1953, le premier tome du Grand Dictionnaire est publi�. Les six autres, qui composeront le Grand Robert, seront �dit�s entre 1953 et 1964. D�s 1958, Paul Robert installe toute son �quipe � Paris. En 1951, il fonde sa propre maison d��dition avec la collaboration d�une �quipe tr�s soud�e et surtout motiv�e form�e � partir d�Alain Rey, Josette Rey-Debove, Roger-Georges Morvan et Henri Cottez. �Je ressens le besoin d�un dictionnaire qui, par analogie, permettrait de regrouper les mots selon les notions et les id�es. L�id�e du dictionnaire chemine. C�est ainsi que je commence � ranger, en colonnes, les termes relatifs � l�action de regarder et de voir � l�action d��couter et d�entendre.� Pour se lancer dans une pareille entreprise � autant dire aventure �, Paul Robert d�pense un petit h�ritage rachitique provenant de sa m�re. Cependant, il �tait conscient qu�il ne peut mener seul un d�pouillement lexicographique colossal. Il s�entoure, alors, d�une �quipe tout aussi passionn�e que lui parmi lesquels Mme Deschapper et M. Pouzet, ancien directeur d��cole en retraite. Il a travaill�, dans tout l�Hexagone, avec une dizaine de personnes trois ans durant sans rel�che. Aujourd�hui, j�ai termin� mon dictionnaire En octobre 1948, Paul Robert entame la r�daction des premi�res notices du dictionnaire. A titre d�exemple, le dossier pr�paratoire du seul mot amour fournit 2 000 citations. Ce qui explique le travail de Romain entrepris par cet infatigable lexicographe. �Paul Robert, �crit F. Barrer, a fait une �uvre fort utile � ses compatriotes. Mais ce qu�il ne sait peut-�tre pas, et je tiens � le lui dire, c�est qu�il n�existe au monde aucun ouvrage semblable au sien et sa m�thode alphab�tique et analogique est une d�couverte de port�e universelle. � D�autres intellectuels fran�ais de renom partageront cette opinion, entre autres, Georges Duhamel, Andr� Maurois, Fran�ois Mauriac, Andr� Siegfried� Pendant plusieurs ann�es, Paul Robert effectuait des tourn�es o� il animait des conf�rences pour pr�senter son dictionnaire analogique en France, en Suisse, en Allemagne, au Pays Bas� En 1958, le dictionnaire re�oit le prix Simca. Ce dernier avait pour but de �rechercher, faire conna�tre et mettre en valeur les succ�s remport�s dans tous les domaines par les Fran�ais dont l�activit� [�] concourt � un enrichissement du patrimoine commun�. On ne peut parler du dictionnaire Le Robert sans �voquer le nom d�un de ses plus fid�les collaborateurs : Alain Rey. Ce dernier est, aussi, une figure embl�matique dans la r�daction du dictionnaire. Il est � la fois linguiste, lexicographe et philosophe du langage. En 1956, il devient le secr�taire g�n�ral de la r�daction et membre du conseil d�administration. Peu de temps avant sa mort, Paul Robert lui confia la t�che de reprendre et d�amplifier le dictionnaire de six � neuf volumes. En 1967, est �dit� Le Petit Robert que nous utilisons tous. L�analogie, principe fondateur du dictionnaire Le Robert (Grand et Petit) consiste � int�grer, au sein des d�finitions, des renvois fond�s sur des associations d�id�es afin d�enrichir le vocabulaire des usagers, de d�couvrir de nouveaux sens, conna�tre des citations. Autrement formul�, entrer de plain-pied dans le �grand roman des mots�. En 1962, Paul Robert rencontre Wanda Duda Ostrowska qui deviendra son �pouse et, en m�me temps, son soutien le plus pr�cieux. Le 28 juin 1964, Paul Robert ach�ve son sixi�me et dernier tome. Il �crit, � ce sujet, sur une page blanche : �Aujourd�hui, j�ai termin� mon dictionnaire.� Cette phrase a retenu notre attention par son �troite analogie avec le verset coranique : �Aujourd�hui, Nous avons parachev�, pour vous, votre religion.� Il est utile de rappeler que, bien qu�il soit n� dans l�Alg�rie fran�aise, n�emp�che qu�elle a toujours �t� une terre d�Islam Ses collaborateurs signent sur la m�me page : �Bravo patron.� �C�est avec le plus vif plaisir que je re�ois la nouvelle de l�ach�vement de votre Dictionnaire. [�] Vous avez donn� � la langue fran�aise le dictionnaire dont elle avait besoin depuis longtemps. Il est l�, solide et s�r.� A cette date (juillet 1964), Paul Robert livre au monde francophone son dictionnaire tant attendu. Influenc� par ses origines diverses, il a pr�t� attention aux nuances, � la richesse et � la diversit� du fran�ais et, du coup, favoris� le dialogue interculturel, donc la francophonie. En 1965, Le Grand Dictionnaire alphab�tique et analogique de la langue fran�aise est couronn� par l�Acad�mie fran�aise. Reconnu internationalement pour son travail titanesque, Paul Robert a re�u diverses r�compenses : L�gion d�honneur (1965), M�daille d�or du jury ALFA (1966), prix Vaugelas (1967), insigne de l�ordre du Lion au S�n�gal (1973), M�daille de Vermeil de la ville de Paris (1975), Commandeur des arts et des lettres (1976). Ce qui a lieu de constater est que le dictionnaire Le Robert ne mentionne, h�las, aucune citation des �crivains alg�riens, maghr�bins, africains except� des citations des Suisses (F. de Saussure) et d�autres auteurs canadiens� Ce qui est d�plorable pour un si grand dictionnaire qui se veut plus francophone que fran�ais. Paul Robert d�c�de le 11 ao�t 1980 � Mougins. Il repose au cimeti�re des Bois-de-Vaux. Hommage � Paul Robert � l�occasion de son premier centenaire Il ne s�agit pas seulement de rendre hommage � un mort. C�est plut�t une reconnaissance pour ce que Paul Robert a fait pour la langue fran�aise : l��laboration de son �Dictionnaire�. Un outil de travail pour nombre d��crivains et auteurs dans diff�rentes disciplines et de diff�rents horizons g�ographiques. En d�pit des obstacles rencontr�s, il n�a jamais baiss� la garde, encore moins les bras. D�j� adolescent, alors qu�il n�avait que dix-sept ans, il �crivait en 1927 : �Je ne me laisse abattre par aucun accident, d�primer par aucun ennui, annihiler par aucune inqui�tude. [�] Lorsqu�on place toutes ses forces dans la r�alisation d�un but, il est presque impossible qu�on ne l�atteigne pas.� Mort depuis trente ans, et comme les grands de leurs nations, Paul Robert demeure encore et toujours vivant dans l�esprit du monde intellectuel francophone gr�ce et � travers son incontournable Dictionnaire. De son vivant, il �tait une r�f�rence pour son esprit combatif. Mort, il est un monument digne d��riger une st�le � sa m�moire. Le nom propre Robert est devenu un nom commun � commun � tous les mortels. Pour d�aucuns, Paul Robert a �uvr� toute sa vie pour perdre son pr�nom et sa majuscule et devenir �le robert�, c�est-�-dire un dictionnaire, enfin� le Dictionnaire. Cette particule particuli�re lui vaut, aujourd�hui, toute sa grandeur intellectuelle qu�aucune richesse mat�rielle ne peut �galer, encore moins rivaliser. Le robert est devenu l�outil de travail aussi bien du potache que de l�enseignant et d�autres personnalit�s de la culture fran�aise et francophone. Paul Robert �tait le premier � se servir de son robert. Pour ses amis qui l�ont c�toy� de pr�s, �Paul Robert �tait la connaissance jamais d�shumanis�e� parce qu�il voulait que le savoir reste humain et surtout au service de l�homme. De ce fait, l�homme et son �uvre, dialectiquement li�s, sont d�finitivement entr�s dans l�immortalit� et� pour l��ternit�. Aux grands intellectuels de ce monde, l�humanit� enti�re est reconnaissante.