La Tribune : D'abord pour ceux qui ne vous connaissent pas qui est Kathleen Cleaver ? Mme Kathleen Cleaver : Je suis Kathleen Cleaver, j'ai habité Alger pendant les années soixante. Nous étions les représentants du mouvement des Panthères Noires qui a trouvé asile à Alger après le premier Festival Panafricain. Nous étions invités à cette époque, et une fois ici nous avions demandé au gouvernement si on pouvait rester avec les autres mouvements de libération africains. Ça a pris un peu de temps, un an. Dans les années 1970 nous avions une grande villa à El Biar, qui était avant le siège du FNL du Vietnam, qui est devenu le gouvernement provisoire révolutionnaire et eu un plus grand siège, et le FLN nous avait accordé cette villa.
Pourriez-vous nous parler de ce mouvement des Panthères Noires ? Nous étions un mouvement révolutionnaire aux Etats-Unis, de Noirs qui est lié avec des blancs, des Mexicains, des Indiens et d'autres gens qui ont subis des siècles de racisme, de pauvreté et qui n'étaient pas respectés comme des citoyens, un peu comme les Algériens par les Français. Nous étions tellement inspirés par Frantz Fanon, Che Guevara et aussi par nos leaders et nous étions jeunes. Quand je suis venue en Algérie nous étions 35 ou 40. On était un mouvement national de jeunesse révolutionnaire, et le gouvernement américain était effrayé, il était en train de nous tuer, de nous emprisonner. ils ont tiré sur mon mari, l'un des dirigeants les plus connus et ils ont voulu l'emprisonner. On arrive ici en Algérie, et lui il était fugitif recherché aux Etats-Unis. Après avoir eu une place ici beaucoup d'autres fugitifs de Panthères Noires sont arrivés, parce qu'en Algérie on comprenait ce que c'est que de lutter pour la liberté, le respect et la dignité contre les impérialistes.
Qu'est ce qui a motivé justement votre choix de rester en Algérie ? Au départ nous étions invités dans le cadre du Festival Panafricain dont le thème était «la libération», et la culture est une arme pour la libération. Et ce festival a appuyé les mouvements de libération d'Afrique, et aussi des noirs aux Etats-Unis, et nous étions tellement liés, c'était la lutte contre le colonialisme et l'impérialisme comme l'ont fait les Vietnamiens, les Africains, nous avons aussi été inspirés par la pensée de Fanon, qui lui était ici, et pour nous l'Algérie était une grande lumière de libération et nous étions tous contents d'arriver ici.
Quel regard portez-vous sur l'Algérie 50 ans après l'indépendance ? Ah c'est extraordinaire ! Et elle est tellement belle et les gens sont complètement différents, leurs vêtements, les bâtiments… Les gens sont beaucoup plus libres, plus gentils, plus détendus. A cette époque les séquelles de la guerre étaient encore là, il y a eu beaucoup de gens qui ont tellement souffert de cette guerre, de morts. L'appartement très petit ou nous habitions à côté de la mer, à Bologhine, il y avait quelqu'un qui s'est fait tuer là bas. Tous cela c'est triste, c'est dur mais ça c'est la révolution. Nous étions très fier d'être dans un pays révolutionnaire parce que nous aussi on aurait pu se faire tuer aux Etats-Unis. Nous étions très contents d'être en Algérie après la fin de la guerre parce qu'on était sauvés, et moi en plus je suis arrivée enceinte et ma fille est née pendant le Festival. Alors pour moi personnellement c'était très important j'ai pu avoir une famille, un mari et ma fille. L'Algérie a regroupé beaucoup de familles de Panthères Noires en asile et elles étaient protégées.
Comment vous avez vécu cette époque en Algérie ? Nous avions beaucoup de rêves de révolution, nous admirions Fanon. Mais entre la réalité et nos rêves, c'était autre chose. Mais je serais toute ma vie tellement reconnaissante parce que grâce à l'Algérie j'ai pu avoir une famille. Pour nous aux USA nous avions une idée très simple de l'Afrique. Mais on a découvert que l'Afrique est quelque chose de très compliquée et très ancienne et que nous devons la comprendre un peu plus. L'Algérie et son peuple ont beaucoup souffert pour la liberté et j'admire beaucoup cela. Et à ce moment là c'était aussi la guerre au Vietnam et nous les panthères noires on a soutenu ce grand mouvement et ils ont apprécié, et eux ils nous ont soutenus et c'est la solidarité internationale révolutionnaire.
Que pensez-vous de l'écriture de l'histoire en Algérie ? Nous voulons que la vérité soit écrite sur l'histoire. Il faut que la vérité contre le colonialisme soit écrite. Maintenant la lutte c'est pour libérer l'histoire. Chez nous aux Etats-Unis on n'a pas encore libéré l'histoire. Nous avons des études afro-américaines des études latino-américaines, des études anticoloniales, mais faites par des historiens conservateurs. Je suis sûre qu'en Algérie il y a l'histoire juste. L'histoire de la libération prendra trente ans à l'avenir pour exploser. Parce que les gens ont encore tellement peur de la vérité. Les Français n'ont presque jamais dit la vérité, ils veulent cacher cette vérité parce qu'ils ont commis des actes criminels. Nous avons la même expérience avec tous les crimes contre les noirs. C'est occulté, ils admettent un crime, un massacre, mais quand il y en a des milliers, c'est plus difficile à admettre. Il y a trop de secrets dans l'histoire, et il faut libérer cette histoire. Et moi je suis avocate mais je m'intéresse beaucoup à l'histoire.