Le kidnapping des enfants est devenu une réalité inquiétante en Algérie. Ces dernières années, ce crime abject prend des proportions dangereuses. Des chiffres effarants sont communiqués régulièrement par les différents services de sécurité. Le 15 mai dernier, M. Noureddine Yazid Zerhouni, en sa qualité de ministre de l'Intérieur, avait tiré la sonnette d'alarme. Devant le Conseil de la nation, il faisait état de 375 cas d'enlèvement enregistrés en 2007 (soit plus d'un kidnapping par jour). 6 milliards DA de rançon ont été demandés et 1,2 milliard DA payés par les familles aux ravisseurs. Un fait plus marquant a même été dévoilé par le ministre : des individus ont été arrêtés par les services de sécurité alors qu'ils tentaient de faire traverser la frontière marocaine à des enfants kidnappés dans le but (reconnaissent les ravisseurs) de vendre leurs organes à des cliniques d'Oujda. Deux cas de ce type ont été enregistrés entre 2007 et 2008, ce qui laisse supposer qu'un réseau a été créé. Ces révélations d'une grande gravité sont d'ailleurs confirmées par les différents services de sécurité et les spécialistes. A la veille de la célébration de la Journée internationale de l'enfant, la radio Chaîne I a organisé une conférence-débat sur le thème «kidnapping d'enfants en Algérie». Lors de cette rencontre, le représentant de la DGSN, le commissaire Ahcene Oubad, sans remettre en cause les propos du ministre de l'Intérieur, affirme que la police nationale n'a jamais établi le constat d'un réseau spécialisé dans le kidnapping des enfants. «Il s'agit, peut-être, d'opérations menées par la Gendarmerie nationale. Mais on n'a jamais eu à traiter ce genre d'affaires», explique-t-il. Présentant les statistiques disponibles au sein de la police nationale, M. Oubad fait état de 7 cas de kidnapping avérés (dont 2 avec demande de rançon) en 2007 sur les 146 disparitions signalées et de 1 546 agressions sexuelles sur mineurs. En 2008, 4 affaires de kidnapping ont été enregistrées par la police (dont deux avec demande de rançon) sur 61 disparitions et 632 agressions sexuelles sur mineurs. Sans minimiser l'importance du phénomène, le commissaire explique que toutes les disparitions ne sont pas dues à des kidnappeurs : «Les raisons des disparitions sont multiples. Il peut s'agir de fugue à cause de mauvais résultats scolaires, d'un milieu familial austère […].» De son côté, la Gendarmerie nationale, par la voix du lieutenant Hadj Samira, annonce que 14 kidnappings de mineurs avec agressions sexuelles ont été enregistrés en 2008, rappelant que le bilan de 2007 était de 108. Les chiffres et les révélations effarantes d'affaires de kidnapping, de viol et d'assassinat sur ce qui représente l'innocence même (les enfants) sont insupportables. Des histoires de gamins violentés, torturés, étranglés et sacrifiés par des bourreaux sans conscience et sans âme ont été racontées par des intervenants, provoquant l'écœurement chez les auditeurs. «Il faut attirer l'attention des familles sur ce phénomène [le kidnapping des enfants]. On doit briser le mur de la honte, lever les tabous et aborder ce thème avec sincérité», préconise M. Mihoub Mihoubi de l'Observatoire national de l'enfant. Une vision partagée par la sociologue Nacera Merrah qui voit dans ce phénomène le fruit d'une décennie de violence, laquelle, conjuguée avec les données économiques, culturelles et politiques, a occasionné «une perte de repères chez certains citoyens». «La dislocation familiale n'est pas la seule responsable de cette catastrophe ; plusieurs délits et atteintes aux mœurs, comme l'inceste qui provoque la fugue des jeunes filles, sont tus. Sans oublier que la violence est banalisée dans notre société. C'est devenu même un jeu», poursuit-elle. En dehors de ces considérations socioculturelles, Me Ben Braham dénonce l'inadéquation des textes législatifs avec ce genre de crimes. «Je me désole du manque de clarté des textes de loi sur ce phénomène. La loi ne parle que du terme ‘‘rapt'' qui peut aussi bien être appliqué en cas d'enlèvement d'un enfant par son géniteur [père ou mère divorcés] ou pour le kidnapping», regrette l'avocate qui recommande de «trouver un mot en arabe se rapprochant le mieux possible de la définition du kidnapping [le plus adapté] et qui signifie enlèvement contre la volonté d'une personne avec l'intention de nuire». Mme Ben Braham soulève deux concepts importants pour lutter contre le kidnapping. D'abord, au lieu de déclencher l'enquête policière 48h après le constat de disparition de l'enfant, «il faut une réaction rapide dans les 2 heures qui suivent l'annonce pour que les preuves restent fraîches». L'autre principe a trait à la répression. «Il faut des mesures exemplaires pour dissuader les agresseurs», prône-t-elle en citant pour exemple le kidnappeur d'un fils de banquier, condamné à mort et exécuté, ce qui a eu pour conséquence la disparition du phénomène. La sentence lourde est aussi la solution à ce problème pour le représentant du ministère des Affaires religieuses. Me Farouk Ksentini, président de la Commission nationale de protection des droits de l'Homme, sans aller jusqu'à la peine de mort, recommande un emprisonnement à perpétuité sans remise de peine ni possibilité de grâce. Qualifiant le kidnapping d'«acte terroriste», il souhaite la création d'un tribunal spécial pour juger ce genre d'affaires. S. A.