Hérité de la période coloniale, le problème des frontières continue d'empoisonner la vie des Africains. La non-prise en compte des caractéristiques de chaque groupe social ou ethnique a engendré un interminable cycle de violences armées dans la majorité des Etats africains. Au nom même de ces problèmes ethniques, des génocides ont eu lieu, profitant à des multinationales qui ont bradé les richesses du continent en toute tranquillité. Aujourd'hui, l'Union africaine se voit incapable de lutter militairement contre ces conflits, faute de moyens humains, matériels et financiers. Le cas de la Somalie est très illustratif. Pourtant, l'Organisation panafricaine envisage une force régionale en République démocratique du Congo pour mettre fin à la rébellion en cours dans le Nord-Kivu, frontalier avec le Rwanda et l'Ouganda. Que doit donc faire l'UA, en tant qu'élément fédérateur de toutes les énergies politiques, militaires, sociales et économique afin de sortir le Continent vers la lumière ? Par Lyès Menacer L'Union africaine se réunit régulièrement à son siège à Addis-Abeba, en Ethiopie, pour discuter des solutions à apporter aux conflits armés qui empêchent les pays du Continent d'avancer dans la voie du développement démocratique, économique et social. Cette semaine encore, l'organisation panafricaine a convoqué ses pays membres pour tenter d'apporter, entre autres, des réponses positives aux crises malienne, soudanaise et congolaise. Mais focalisons-nous seulement sur le cas de la République démocratique du Congo (RDC) où le Mouvement du 23 mars (M23) est entré en rébellion contre Kinshasa dans le Nord-Kivu, une province frontalière avec le Rwanda et l'Ouganda. L'UA a affiché sa volonté de participer à une force militaire régionale neutre que les Etats membres de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (Cirgl) envisagent de déployer dans l'est de la RDC, pour mettre fin à cette nouvelle rébellion qui risque d'embraser toute la sous-région de l'Afrique centrale. Une force militaire de 17 000 hommes et 2 000 employés civils de la Mission de l'Organisation des Nations unies (Monusco) est déjà en place depuis 1999. Une grande partie de l'effectif de la Monusco se trouve dans l'est instable de la RDC, mais son champ d'intervention demeure limité et son efficacité est freinée par de nombreux problèmes que seul Kinshasa peut régler. C'est justement en raison de ces problèmes liés à la complexité de la composante ethnique et sociale de l'est de la RDC que le M23 est entré en dissidence avec les autorités de Kinshasa, après avoir intégré l'armée à la fin du conflit ayant opposé les ethnies Tutsi et Hutu au milieu des années 1990. Ce conflit qu'on a nommé la Deuxième guerre du Congo avait fait, pour rappel, près de deux cents mille morts entre 1998 et 2003, selon les chiffres officiels de l'ONU. Des organisations non-gouvernementales affirment que plus de quatre millions de personnes sont décédées durant cette période uniquement à cause de la faim et des maladies, deux phénomènes en lien direct avec cette guerre dans laquelle étaient impliqués neuf Etats et près d'une trentaine de groupes rebelles. Mais en RDC, principalement dans l'Est et le Nord du Kivu, la paix n'est pas totalement rétablie. Car, depuis 2007, de nombreux groupes rebelles demeurent très actifs et chacun tente de garder le contrôle sur des territoires très riches en minerais comme le diamant. Le M23 n'est pas en reste même s'il affiche des motifs politiques pour justifier la guerre qu'il a déclaré depuis la mi-avril 2012 à l'armée régulière de Kinshasa dans le Nord-Kivu. Quel rôle peut jouer l'UA ? L'Union africaine qui souhaite apporter sa contribution à la Cirgl, sous l'égide de l'ONU, en envoyant quelques soldats pour combattre le M23, devrait peut-être réfléchir à d'autres moyens que l'option militaire aussi bien dans le cas de la RDC que dans d'autres cas. Mais dans le cas de la RDC, l'UA devrait faire pression sur les politiques pour qu'ils cessent d'instrumentaliser les problèmes ethniques pour se placer ou pour garder le pouvoir. Les problèmes ethniques ne peuvent être résolus que par le dialogue qui impliquera les politiques qui, souvent, sont aussi les chefs des tribus et des ethnies en conflits. Dans un article paru dans Le Portique, une revue de philosophie et de sciences humaines, le professeur Brice Arsène Mankou, de l'Université de Lille, en France, a écrit ceci : «Devant, ce qu'il convient d'appeler l'impuissance des politiques en Afrique, le tribalisme est érigé comme une arme au service des leaders politiques africains, incapables d'asseoir les principes démocratiques dans leur pays. Ils deviennent ainsi des dictateurs capables de sacrifier leur peuple pour leurs propres intérêts.» D'où le maintien de l'esprit tribal qui a été utilisé également par les anciens colons afin d'empêcher les populations de se révolter. L'auteur de l'article «le Tribalisme : source de violence politique et ethnique en Afrique», ajoute que sur le Continent Noir, «lorsqu'un dictateur conteste le verdict des urnes, il se réfugie dans la tribu et l'ethnie. La création des milices armées obéit bien à cette logique. Et lorsqu'il sollicite les suffrages de son peuple, il corrompt les membres de l'ethnie dont il est originaire. Il s'entoure alors de courtisans choisis non pas pour leur compétence mais d'abord pour leur appartenance ethnique». les conflits ethniques n'expliquent pas toutefois tout dans le grand malaise qui empêche l'Afrique d'émerger en tant qu'acteur géopolitique et économique dans le monde comme l'Amérique du sud en ce début du 21e siècle. Les «modèles» de développement économique choisis, encore une fois, par ces mêmes hommes politiques sont biaisés à la base et encouragent l'exclusion sociale dans les pays d'Afrique, comme c'est le cas en RDC où Kinshasa a préféré la centralisation comme modèle de construction économique du pays. Tout est concentré sur Kinshasa, la capitale, alors que dans les autres régions de cet immense pays, les populations manquent de tout à commencer par les routes, l'eau, l'électricité, la santé pour ne citer que ces commodités qui constituent le minimum que le peuple aspire à avoir. Le Nord et l'Est-Kivu ressentent profondément les effets de cette exclusion que la centralisation de l'économie avait engendrée depuis la fin de la deuxième guerre du Congo. Par ailleurs, les velléités expansionnistes du voisin Rwandais, dont une partie de la population a émigré depuis longtemps en RDC à cause du chômage et du manque de ressources, continuent de constituer un facteur d'instabilité dans le Nord et l'Est-Kivu où il y a le plus grand nombre et mélange d'ethnies issues des deux pays. C'est pour cette raison que Kinshasa a accusé ouvertement Kigali de soutien logistiques aux rebelles du M23. En résumé, la solution militaire aux conflits qui minent toute l'Afrique est un remède efficace à court et à moyen terme. La réponse à toutes ces violences qui freinent le développement des Etats africains est politique et économique. Le problème est dans ces mêmes chefs politiques qui se rencontrent régulièrement à Addis-Abeba pour discuter des conflits causés par eux-mêmes afin de garder le pouvoir le plus longtemps possible.