Pourquoi les Allemands et les Français paieraient-ils le gaz russe moins cher que les Polonais et les Ukrainiens? La question est posée par le quotidien polonais Gazeta Wyborcza, repris par Courrier International, à l'occasion d'une déclaration, faite le 18 janvier dernier, par le directeur adjoint du Gazprom, Alexandre Medvedev. Celui-ci avait annoncé une diminution de prix du gaz, mais seulement pour cinq clients occidentaux, dont le groupe français GDF Suez. Du commerce d'énergie sélectif ? S'agit-il d'une nouvelle concession faite aux Européens ? C'est un sujet auquel s'intéresse le journal économique russe Vedomosti. «Mais la Russie agit différemment avec la Pologne 4e importateur de son gaz en Europe, et l'Ukraine, le N°1», remarque, de son côté, Gazeta Wyborcza, qui rappelle au passage qu'en 2010, le gaz russe vendu à la Pologne était 20 % plus cher que celui vendu à l'Allemagne. Pour les Polonais, c'est une question «politique» et «non commerciale». Persuadée de subir un traitement inégal suite au fiasco de - très âpres - négociations avec la Russie en novembre 2011, «Varsovie a décidé de porter l'affaire devant la Cour internationale d'arbitrage à Stockholm», écrit Courrier International. L'Ukraine, qui tente elle aussi, sans succès, de faire baisser le prix du gaz qu'elle achète à la Russie, n'exclut pas non plus d'en appeler à la Cour de Stockholm, relate l'agence Interfax. Inversement, le Turkménistan, un allié de la Fédération de Russie, veut s'attirer, lui, des privilèges, pour ce qui est du commerce du gaz. La Russie et le Turkménistan veulent être partenaires sur le marché du gaz. Ils chercheront à élargir leur coopération dans le secteur gazier pour devenir des partenaires fiables et non des concurrents dans ce secteur très important de leurs économies respectives. Sur ce plan, les Russes sont parvenus à une compréhension mutuelle avec le Turkménistan. Poussant ses ambitions plus loin, la Russie se déclare «prête à coopérer dans la construction de nouveaux gazoducs, comme le pipeline Tapi ou d'autres projets». Pour mémoire, le projet Tapi (Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde) a vu le jour en 1995 à l'initiative du Turkménistan et du Pakistan. En 2002, les quatre gouvernements concernés ont même signé un accord sur la construction d'une conduite longue de 1 700 km qui devrait alimenter l'Afghanistan, le Pakistan et l'Inde en gaz turkmène. Mais l'opération militaire de l'Otan en Afghanistan a empêché la réalisation du projet, dont le coût oscille entre 4 et 7 milliards de dollars. Ce resserrement dans le bilatéral sera-t-il durable ? Pour l'heure, la plupart des républiques qui étaient dans le giron de l'ex-Urss n'arrivent pas à avoir des relations apaisées avec Moscou. C'est l'Ukraine qui semble avoir rencontré le plus de problèmes avec la Russie. Moscou, évoque souvent des questions d'ordre commercial qui enveniment les relations entre les deux pays. L'Ukraine, soutient le contraire, affirmant qu'elle est en train de subir des pressions pour ses velléités européennes. Les conflits commerciaux que les deux parties ont connus (et qu'ils connaissent encore) se règlent souvent à un haut niveau de la hiérarchie décisionnelle. Vladimir Poutine, le président russe et son homologue ukrainien Viktor Ianoukovitch se sont retrouvés, il y a quelques semaines à Yalta, en Ukraine, pour discuter de plusieurs questions sensibles. Les deux chefs d'Etat n'ont pas trouvé de terrain d'entente, et celle du prix du gaz n'est pas la moins épineuse de ces questions. Kiev a déjà obtenu de Moscou en 2010 une baisse de 30 pour cent en échange d'une prolongation du bail pour la flotte russe sur la base de Sébastopol. Mais pour accorder une nouvelle ristourne aux Ukrainiens, Poutine voudrait, en retour, que l'Ukraine lui cède le contrôle de son système de gazoducs ou qu'elle se détourne de l'Union européenne en rejoignant l'Union douanière Russie-Kazakhstan-Belarus, ce que les Ukrainiens ont refusé. Le géant Gazprom avait, il y a quelques mois, réduit ses livraisons de gaz à l'Union européenne en raison de besoins accrus en Russie. Mais pour le fournisseur, le russe Gazprom, l'Ukraine, par où transite le gaz russe vers l'Europe occidentale, prélève un volume de gaz beaucoup plus important que celui autorisé par les contrats signés. «Nous ne sommes pas des voleurs» affirme Naftogaz, le distributeur ukrainien, «notre prélèvement est celui stipulé par les contrats». Cette situation n'est cependant pas sans conséquences sur le géant Gazprom, dont les résultats pourraient souffrir d'une baisse des importations ukrainiennes de gaz. Selon le contrat, qui court jusqu'en 2019, l'Ukraine devrait acheter chaque année 52 deux milliards de mètres cubes de gaz à la Russie. Mais cette année, elle ne compte en acheter que 20 milliards. En raison du prix élevé du gaz russe, les autorités ukrainiennes essaient en effet de diminuer les importations de gaz dans le pays. «Avec un régime d'économies de gaz et une utilisation partielle de charbon, couplés à un recours accru à l'énergie nucléaire, 27 milliards de mètres cubes de gaz suffisent amplement à l'Ukraine», concède Vladimir Saprikine, expert indépendant en énergie, cité par des médias européens. Le prix du gaz russe a suscité de vives tensions entre les deux pays ces dernières années. Le dernier accord gazier a été signé en 2009, alors que Ioulia Timochenko occupait le poste de Premier ministre de l'Ukraine. Un point de cet accord, toutefois, ne satisfait pas le gouvernement ukrainien : le prix du gaz est lié à celui des huiles de chauffage et des carburants pratiqués en Italie, l'un des marchés où ils coûtent le plus cher en Europe. Le prix du gaz est souvent au cœur des discussions. Si l'Ukraine diminue ses achats de gaz russe, l'Etat devra alors indemniser la compagnie russe Gazprom pour son manque à gagner. «C'est un point délicat pour Gazprom si son client le plus important, celui qui achète le gaz au prix le plus élevé, diminue ses importations», explique Saprikine, avant d'ajouter «cela aura un effet marquant sur les résultats financiers du groupe russe». Lorsque l'Ukraine a d'abord envisagé une possible baisse de ses importations en 2011, le patron de Gazprom, Alexeï Miller, avait déclaré que l'Ukraine devrait de toute façon payer pour au moins 33 trois milliards de mètres cubes de gaz, selon les termes du contrat. Mais cette situation serait appelée à évoluer, les livraisons gazières russes vers l'Europe devant augmenter. Ces sept ou huit prochaines années, les fournitures du gaz russe en Europe augmenteront de 100 milliards de mètres cubes. Alekseï Miller, chef du groupe Gazprom, l'a annoncé lors de la rencontre avec le Premier ministre de Russie, Vladimir Poutine. Selon Alekseï Miller, la part du gaz russe sur le marché énergétique européen ne cesse de croître. Elle est passée de 24 % en 2010 à 27 % en 2011. Le montage du deuxième tronçon du gazoduc Nord Stream dans la mer Baltique a été achevé et les livraisons commenceront en octobre. Chaque année les consommateurs européens pourront recevoir par ce pipeline 55 milliards de mètres cubes du gaz russe. Un autre gazoduc, South Stream, passera par le fond de la mer Noire. Y. S.