L'arrêt du tribunal fédéral suisse validant la poursuite devant une juridiction helvétique de M. Khaled Nezzar, ancien membre de la pentarchie présidentielle que fut le Haut Comité d'Etat (HCE), pour «crimes de guerre» et «torture», a suscité un flot de commentaires souvent hâtifs, spéculatifs et expéditifs. Nombre d'écrits ont en effet préjugé des résultats auxquels aboutirait une éventuelle procédure judiciaire, par définition, longue et complexe. Rares furent donc les approches raisonnables et circonspectes qui ont respecté le bénéfice du doute. Dans les faits, la justice fédérale a invalidé le recours de l'ancien général major de l'ANP. Elle a du même coup reconnu la compétence du Ministère public de la confédération (MPC) et jugé que le recourant n'est au bénéfice d'aucun type d'immunité. La décision du tribunal fédéral, fondée sur une interprétation très souple du droit suisse, qui a intégré depuis le 1er janvier 2011 la compétence de juger les auteurs de crimes les plus graves, pose nécessairement des questions. Sur le fond, l'arrêt en question éclaire sous un jour nouveau les notions de compétence universelle, de l'exception d'immunité et de la non-ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat souverain dont est issu le requis bénéficiaire de ladite immunité. Il pose également le problème de la rétroactivité par rapport aux faits incriminés et la question du «lien étroit» avec la Suisse qui est un des éléments essentiels de la recevabilité de l'action judiciaire. Au-delà des considérations de forme et des fondements de la procédure, la «cause pénale SV. 11.0231», ouverte contre Khaled Nezzar, est surtout significative des liens étroits entre le droit pénal suisse, le droit international humanitaire et les droits de l'Homme. Ce qui permet les lectures les plus libres qui soient et les interprétations les plus souples possibles. Ce dont ne semblent pas s'être privé les auteurs de l'arrêt en question. Il est vrai que la justice suisse a, depuis le 1er janvier 2011, compétence universelle pour connaître des crimes de guerre à l'étranger, mais cette compétence n'est pas quasi-illimitée. Loin s'en faut. Les juges fédéraux ont considère de ce fait que la compétence universelle est exercée, à titre subsidiaire, lorsque une autre juridiction ayant un lien juridictionnel plus fort, à savoir la territorialité et la nationalité, ne peut poursuivre l'auteur présumé des crimes en cause. Ce qui est le cas de l'Algérie depuis l'adoption en 2005 de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. La justice suisse s'est notamment basée sur le principe de territorialité du fait qu'une des parties plaignantes est un ressortissant suisse, naturalisé depuis peu. Ce principe de territorialité a été appliqué aussi à M. Nezzar, sous la forme d'une lecture généreuse du «lien étroit» avec la Suisse (résidence, famille, intérêts économiques). Ce qui est loin d'être le cas du retraité de l'armée algérienne, appréhendé le 20 octobre 2011, lors d'un séjour ponctuel à Genève. Or, sur la base de la coutume de droit suisse, pour agir contre un étranger soupçonné de crimes de guerre, la justice doit respecter trois conditions : la personne doit se trouver sur le territoire suisse, qu'elle ne puisse être extradée ou livrée à un tribunal pénal international et qu'il existe en particulier un lien étroit avec la Confédération. La défense de M. Nezzar, portée par trois valeurs sûres du barreau suisse, est justement fondée sur l'incompétence du MPC, appréciée par rapport à la compétence du tribunal de céans qui doit apprécier souverainement les questions du lien étroit et de l'immunité, les deux autres piliers de la défense de M. Nezzar. Le tribunal fédéral a estimé, in fine, que le recourant n'est au bénéfice d'aucun type d'immunité. C'est-à-dire l'immunité personnelle qui le couvre pour la période de présence au HCE (janvier 1992, janvier 1994) et l'immunité fonctionnelle qui concerne sa vie après. Avant même d'ouvrir une enquête préalable à une instruction, la justice suisse est déjà mise en accusation pour irrespect du droit international relatif aux immunités. Le général à la retraite Nezzar avait rang de chef d'Etat, au titre de membre de la présidence collégiale, de fait, que fut le HCE. Ses avocats n'auraient pas de peine à exciper alors du fait que les faits en accusation sont recensés au cours d'une période qui excède largement la fin de mission officielle de M. Nezzar, alors même qu'il n'avait plus de fonction depuis le 30 janvier 1994. Ils pourraient arguer également de l'existence de simples indices, même concrets, d'une infraction. Ils auraient ainsi à faire constater l'absence de soupçons suffisants, autant que les conditions irréfragables de la poursuite. Ils pourraient faire valoir par ailleurs que lorsque l'auteur des crimes n'est pas de nationalité suisse et que l'acte commis à l'étranger n'était pas dirigé contre un citoyen suisse, les autorités seraient en droit de suspendre la poursuite pénale ou y renoncer. De même pourraient-ils arguer que l'exception juridique suisse ne peut être considérée comme une norme établie en droit international qui garantit les immunités établies. Jusqu'ici, la justice suisse n'a jamais prononcé d'inculpation, en dépit de l'activisme sélectif de l'ONG suisse TRIAL, à l'origine de l'action, déclenchée par deux plaignants algériens qui n'étaient pas des citoyens suisses au moment du déroulement des faits reprochés à M. Nezzar. En ne reconnaissant pas les principes d'immunité d'un homme d'Etat, en se substituant à la justice pénale internationale, la justice suisse donne l'impression de sortir du cadre étroit du droit, pour celui, plus large, de la politique. Et si derrière la personne de M. Nezzar, dont il reste à la justice helvétique d'apporter les preuves tangibles et irréfutables de sa culpabilité, c'est l'armée et l'Etat algériens qui seraient le vrai cœur de cible ? Question banale, posée en ces moments troubles de recomposition complexe, autoritaire, violente et intéressée de l'ordre mondial par l'Empire. N. K.