Encore plus audacieux et créatif que jamais, Haroun El Kilani, metteur en scène de génie, natif de Laghouat, a surpris toute une salle, dimanche dernier, avec son dernier spectacle, Madha satafâal el'an ? (Que feras-tu maintenant ?), produit par le théâtre régional de Sidi Bel Abbès et présenté en compétition officielle du 7e Festival national du théâtre professionnel (Fntp) d'Alger. C'est à 15h30, face à une salle archi-comble que le rideau se lève pour transporter le public dans une autre dimension, celle du fantastique, de l'irréel où la cruauté règne en maîtresse.Sur une scène nue, Djellab, le personnage principal, assiste impuissant à la manifestation du spectre d'un jeune homme. Revenu d'outre-tombe, le jeune Moussa cherche vengeance. Il veut rendre justice à sa mère, une ancienne prostituée malmenée par Djellab. Mais Moussa n'est pas seul. Le revenant est accompagné d'autres fantômes errants qui n'arrivent pas à trouver le repos éternel.Inspirée des romans Haouess de Hmida Layachi et Chahquate el faras de Sarah Haïder, cette pièce explore l'univers d'un homme au bord de l'aliénation. Dépourvu de tous repères spatio-temporels, Djellab se laisse martyriser par ces spectres, visiblement très en colère. Chacun de ces fantômes a une histoire ou plutôt une tragédie. Angoissante, étouffante, mais superbement mise en scène, cette œuvre, qui s'inscrit dans le genre du théâtre de la cruauté, est l'aboutissement d'une réflexion poussée autour du thème de l'aliénation de l'homme et de la rédemption comme ultime recours pour sortir d'une situation infernale. Mise à part quelques lacunes dans la diction, le texte étant interprété en arabe classique, les comédiens se sont montrés très énergiques. Avec des personnages sombres et mystérieux, Haroun El Kilani a joué à fond la carte du fantastique. S'agissant de la scénographie qui se réduit à une baignoire servant de bénitier, un seau d'eau et quelques objets hétéroclites épars, le metteur en scène a exploré une technique innovante qui consiste à faire jouer l'éclairage au maximum. En donnant un rôle majeur à la lumière, le metteur en scène a ouvert de nouvelles perspectives pour celui qui a conçu la lumière du spectacle. En introduisant des effets surprenants, comme faire descendre les perches des projecteurs ou l'utilisation de lampes-torches, Haroun El Kilani est sorti des sentiers battus prouvant, encore une fois, l'étendue de sa créativité, même si certains puristes et adeptes des genres théâtraux académiques lui reprochent de faire dans l'excès d'originalité et d'être trash. Disqualifié l'année dernière, lors de la précédente édition du Fntp par le jury, qui a invoqué la durée du spectacle (50mn) jugée trop courte - décision que beaucoup ont estimé injuste vu qu'aucun article du règlement intérieur ne précise clairement qu'une pièce doit dépasser 60mn -, Haroun semble déterminé à enlever tout argument de disqualification au jury et à en mettre plein la vue à tous ses détracteurs en prenant soin, cette année, de présenter une pièce de plus d'une heure. W. S.