Remugles, miasmes, exhalaisons pestilentielles, puanteurs nauséabondes, émanations putrides, gadoues fétides, déchets imputrescibles, et quoi d'autres encore ? Rejets ménagers en augmentation exponentielle, détritus en vrac et bouteilles en plastic, dont certaines remplies d'urines, jonchant, sans exception, rues, ruelles et grands boulevards citadins. Ici, les amis foisonnant de la saleté humaine sont les rats, les moustiques, les blattes et les cafards, vecteurs de maladies médiévales ressuscitées. Mêmes paysages chaotiques de rejets ménagers en milieu rural ou des centaines de milliers de sacs en polyéthylène non biodégradables ornent, tels des fruits vénéneux, vergers et maquis. Pas un oued, pas un vallon, pas une plaine, pas une colline, pas un mamelon, pas une plage ou même un terrain vague qui ne soit ainsi vérolé par tant de substances domestiques et industrielles en décomposition. Affligeants entassements sordides dans des ghettos misérables et des cloaques insupportables, dont les sols sont surchargés, entre autres saloperies létales, de mercure, d'arsenic, de cadmium, de plomb, de cobalt, de cuivre et de souffre. Mais, pas de panique, respirez un bon coup, restez zen, vous êtes en Algérie, pays aux presque 3 000 décharges sauvages répertoriées. Sans compter, bien sûr, les innombrables lieux de dépôts anarchiques qui pullulent à travers un pays devenu une poubelle géante à ciel ouvert ! En Algérie, les hôpitaux sont des mouroirs et les cités et autres villages, des dépotoirs ! Alger est la troisième ville la plus sale du monde et Tizi Ouzou, la première ville la plus crapoteuse du pays ! A telle enseigne que le nouveau gouvernement, sitôt nommé, s'est mis dans les oripeaux d'Hercule pour nettoyer les Ecuries d'Augias. Ainsi, le cinquième des douze travaux d'Héraclès est le premier chantier géant d'Abdelmalek Sellal. Sale temps pour la saleté, selon Sellal ! Le nouveau Premier ministre, instruit par l'expérience et dûment chapitré par le président de la République, n'ignore pas que les Ecuries d'Augias étaient tellement encombrées de bouses et de crottes qu'on ne pouvait plus y accéder. Elles n'avaient été plus récurées depuis trente ans. Le travail d'Hercule fut donc de laver ces étables encombrées, ce qu'il fit en une seule journée, en y détournant les fleuves Alphée et Pénée dont les flots les décrassèrent de fond en comble. Abdelmalek Sellal, accompagné par un ministre de bonne volonté, un certain M. propre, nommé Amara Benyounes, veut, lui, nettoyer les villes et les villages d'Algérie en les débarrassant des tonnes d'immondes immondices qui les congestionnent. Pour laver plus propre et ôter aux villes algériennes leur aspect de décharges métastatiques, style «zebbala», le gouvernement compte lancer des opérations de nettoyage à grande échelle. Et, pour prendre encore plus au sérieux le problème endémique, installer partout des incinérateurs. Une révolution dans une Algérie où l'on ramasse encore les ordures sur des camions à simple plateau à ridelles, à dos d'âne dans la Casbah d'Alger ou sur des chariots rudimentaires. L'intention est limpide et Abdelmalek Sellal et Amara Benyounes sont admirables dans leur rôle de premiers balayeurs du pays. Mais est-ce bien suffisant ? Une fois les amoncellements d'ordures ménagères enlevés, qui garantirait alors que nos compatriotes, devenus pollueurs pavloviens comme d'autres se transformeraient en citoyens écolos, ne reviendraient pas à leur reflexe de consommateurs compulsifs et de jeteurs de déchets répulsifs ? C'est comme si on voulait soigner une leucémie à l'aide d'un tube d'antalgiques. Ce qui manque surtout au pays, c'est une véritable politique de maîtrise de la salubrité urbaine et rurale. Fondée sur l'éducation, la prévention, la réduction, la valorisation, la stabilisation, le traitement et le recyclage intelligent. Dotée des moyens adéquats comme les incinérateurs, les centres d'enfouissement techniquement régulés, d'usines de broyage et de tri sélectif, de déchetteries et d'unités de recyclage. Et, dans les villes, des bennes à ordures ménagères (BOM), des porte-conteneurs, avec grue et système de compression, des balayeuses mécanisées autonomes et des chariots de propreté, ainsi que des véhicules nettoyeurs à haute pression d'eau. Bref, un véritable plan Marshall, mais pas une politique de rustines comme semble s'y engager le gouvernement. Dans l'état de transformation du pays en gigantesque égout dégoûtant, l'Etat détient la plus grande part de responsabilité, qui a longtemps laissé faire et aller, et mis son service public d'assainissement en situation de perpétuel débordement. Depuis une date indéterminée, les Algériens se sont laissé envahir par la saleté en étant à la fois acteurs et victimes. A telle enseigne que la crasse envahissante s'est transformée en bouillon de culture microbienne et de culture tout court. Telle la civette du proverbe africain, l'Algérien «dépose ses ordures là où il a bu». Et, comme le dit aussi l'adage français, «au pourceau, l'ordure ne pue point». Pour autant, l'Algérien n'est pas congénitalement cracra. Il a juste perdu le lien avec l'espace public, vivant dans un état de schizophrénie permanent. Propre chez lui, sale à l'extérieur, comme si la souillure de l'espace commun dont il est la cible première était une façon de se venger contre on ne sait trop qui et ne sait jamais assez quoi. Comme si, pour reprendre une formule psychanalytique bien tortueuse d'une consœur algérienne, il disait aux puissants qui le gouvernent : «je rends visibles les saletés que vous me faites dans le dos.» Chaque peuple a les ordures qu'il mérite, disait l'académicien français George Duhamel. N. K.