Sur le fond comme sur la forme, c'est Dilem et le Premier ministre algérien qui ont le mieux traduit le geste de reconnaissance par François Hollande des massacres du 17 octobre 1961. Avec son trait et ses formules caricaturales caractéristiques, Dilem représente les deux chefs d'Etat français et algérien tenant, ouvert, le livre rouge de la colonisation. Avec, en guise de légende, le constat que «La France décide de tourner la page» et, dans une bulle, Bouteflika qui dit à Hollande «courage !... on n'en est qu'au début». Exactement ce que Abdelmalek Sellal a dit lorsqu'il a noté «les bonnes intentions» du septième président de la Ve république française. Manière de dire, en pointillés politiques, c'est bien mais ce n'est pas encore assez. Mais, s'il pouvait mieux faire, selon les souhaits d'Alger, François Hollande a déjà fait beaucoup. Dans le sens où c'est la première fois depuis la fin de la Guerre d'Algérie qu'un président de la République française reconnaisse un des crimes de la colonisation. Un crime d'Etat. Un crime majeur. Un chef de l'Etat français, à l'opposé de la culture de réhabilitation du passé colonial, voire même de sa glorification. Chez un François Hollande, réformiste social-démocrate de la plus soyeuses des étoffes, le geste est déjà une audace en soi ! Les réactions de la Droite et de l'Extrême-droite sont d'ailleurs une gravure à l'eau forte de cette audace hollandaise. Celle d'un politique qui avance à pas feutrés et mesurés. Chez Hollande, c'est la méthode douce, par excellence. La preuve, il a déjà commencé avec des roses jetées dans la Seine, le 17 octobre 2011, là même où des dizaines d'Algériens innocents avaient été jetés vivants. Ces roses avaient donc préparé les mots d'aujourd'hui, pesés au trébuchet, soupesés à l'aide d'une balance de laboratoire. Son acte de reconnaissance n'est pas une révolution mais une nette évolution. Ce n'est pas un bouleversement fondamental dans le sens où ladite reconnaissance ne passe ni par une loi ni par un grand discours. Plutôt par un communiqué sobre et un peu restrictif qui ne comporte pas d'excuses, n'annonce pas l'ouverture des archives policières, n'ose pas la repentance. Pas même la dénonciation d'une responsabilité collective, celle de la police et des politiques qui avaient alors couvert leur crime. François Hollande impute les «faits» à la République, avec, en creux, une allusion au régime incarné par le général de Gaulle. L'ex-Premier secrétaire du PS a donc fait beaucoup et pas assez à la fois. Son geste peut être résumé par l'oxymore que serait une «audace timide». On peut même voir dans son attitude, claire et nette comme elle est, un texte à destination d'Alger. Destiné à adoucir encore plus les mœurs et le climat entre Algériens et Français, avant sa prochaine visite à Alger. Toutefois, au point où en sont les relations bilatérales, marquées, à défaut de tensions, par une certaine émollience, pouvait-il faire plus à ce stade ? On en doute. François Hollande est obligé de tenir compte des réactions négatives de l'opposition. Sans oublier de ménager certaines sensibilités au sein de sa majorité, tout en gardant un œil attentif sur le baromètre de sa popularité décroissante. En témoigne notamment la participation de son ministre de la Défense, l'humaniste Jean-Yves Le Drian, à l'inauguration, le 20 novembre prochain, à Fréjus, de la stèle destinée à accueillir les cendres du général Bigeard. Une icône qui est certes une légende. Un tabou même, mais dont la gloire du nom est à jamais liée à la gégène et aux «crevettes Bigeard», ces Algériens torturés à mort et jetés aux poissons de la Méditerranée. Chez François Hollande, prudence mémorielle est donc mère de sûreté politique. On peut s'attendre alors, de sa part, qu'il avance, pas à pas, en reconnaissant officiellement d'autres crimes coloniaux. Par exemple, les massacres du 8 mai 1945, qualifiés comme tels par l'ancien ambassadeur à Alger Bernard Bajolet qui a souligné alors la «très lourde responsabilité de l'Etat français». Et déjà qualifiés de «tragédie inexcusable» par son prédécesseur Hubert Colin de Verdière. Mais, présenter, d'un coup, d'un seul et sans coup férir, des excuses ou aller à Canossa lors de sa prochaine visite à Alger, en exprimant une repentance, ne ferait pas partie de ses plus grandes audaces. Du moins pas durant son premier mandat. Mais, déjà, François Hollande a fait un petit pas pour la mémoire commune de la colonisation qui pourrait être un pas de géant pour les relations bilatérales. Et déjà qu'il n'a pas d'autre part reconnu, officiellement, la responsabilité de la France dans l'abandon des harkis, le 25 septembre dernier, à l'occasion de la journée d'hommage aux anciens supplétifs de l'armée française. Et encore, symboliquement, son premier déplacement dans le monde arabe et au Maghreb, il ne l'a pas consacré au Maroc. La symbolique psychologique du geste n'échappera pas sans doute à ses interlocuteurs algériens, chatouilleux et ombrageux sur la question. Hollande, on vous le dit, c'est les fleurs, les dits et les non-dits. Aussi forts que des actes. N. K.