Pendant longtemps, l'Algérie et la France se sont, l'une comme l'autre, abstenues de célébrer le 19 mars 1962 comme une date marquant la fin de l'état de belligérance entre les deux pays. Pour les deux Etats, cette date correspondait stricto sensu au cessez-le-feu consécutif à la signature des Accords d'Evian, un jour avant. S'agissant d'abord de l'Algérie, le choix, arbitraire, se porta sur la date du 5 juillet de la même année. Pas même sur le 1er juillet, jour du référendum d'autodétermination du peuple algérien qui a choisi, dans un vaste élan plébiscitaire, l'Indépendance sans l'association à la France. Encore moins sur le 3 juillet, date de la reconnaissance officielle par la France de l'Indépendance de son ancienne colonie. Dans l'esprit de l'ex-président Ahmed Ben Bella, le 5 juillet devait boucler la boucle de la colonisation alors même qu'à ce stade, les troupes françaises n'avaient pas encore quitté définitivement le territoire algérien. Dans l'esprit de Si Ahmed, la symbolique était claire : les Français sont venus un 5 juillet, ils repartent un 5 juillet. Les troupes coloniales s'étaient en effet emparées d'Alger le 5 juillet 1830, après avoir débarqué sur la côte ouest trois semaines auparavant. Le choix du 5 juillet correspond pourtant à la capitulation du dernier dey d'Alger et la remise symbolique du sceau de la Régence ottomane au maréchal Louis Auguste Victor de Ghaisne, comte de Bourmont. Le choix de ce jour est d'autant plus surprenant qu'il y a eu tout de même des choses moins déshonorantes, à défaut d'être glorieuses. Les troupes de la Régence et la population algéroise se sont bel et bien battues notamment à Staoueli (19 juin) et à Sidi Khalef (24 juin). Le 5 juillet 1830 n'est pas seulement le jour de la signature du Traité de capitulation. C'est aussi le moment où le Dey Hussein refusa l'offre de Hadj Ahmed Bey Ben Mohamed Chérif, dernier gouverneur du Beylik de l'est algérien, de l'accueillir dans sa province et de continuer la lutte contre le colonisateur. Le 5 juillet correspond certes au début et à la fin d'un processus d'occupation, mais, s'il renvoie à l'arrêt définitif d'une épreuve collective, il évoque aussi un acte infâmant majeur, celui d'une capitulation et d'un refus de résistance précédant l'exil doré à Naples. La France, elle, a fini par reconnaître en 1999, sous l'autorité politique et morale du président Jacques Chirac, que la guerre d'Algérie fut un conflit armé en bonne et due forme. Non pas les euphémiques «événements», la «pacification» ou les «opérations de maintien de l'ordre». Elle vient encore de faire un pas de plus sur la voie d'une reconnaissance plus affirmée de la guerre d'Algérie. En effet, le sénat français, sous l'impulsion de députés socialistes et communistes, vient de reconnaître le 19 mars 1962 comme «journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.» Le rapport de la Commission des Affaires sociales, à la base de la décision de reconnaissance, admet que la guerre d'Algérie a «d'abord été occultée, longtemps minimisée» et que sa reconnaissance est «trop tardive et encore incomplète.»L'idée des promoteurs de cette décision est de «ne jamais oublier l'injustifiable». Il s'agit donc, avant tout, d'un geste de gratitude envers la troisième «génération du feu» qui a combattu en Algérie. Dans l'esprit des législateurs hexagonaux, la boucle de la guerre d'Algérie est ainsi bouclée. Elle l'est, avec la reconnaissance de la guerre en 1999 et la commémoration du 19 mars comme journée officielle du souvenir qui permettra «d'honorer toutes les victimes» françaises et de «mettre un terme définitif à la cécité trop longtemps assumée de la France sur cette période.» Comme le souvenir est voisin du remord, disait Victor Hugo. C'est ainsi que la France n'a pas choisi le 5 juillet comme date symbolique du souvenir national des morts de sa dernière guerre coloniale. Un repère pourtant glorieux pour son armée qui conquit Alger à cette date qui évoque, à l'inverse, un trauma historique pour le peuple algérien. Il n'est certes pas question pour les deux pays de communier dans le souvenir commun et dans l'harmonie de la réconciliation des ennemis séparés. Il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Dans l'opposition des mémoires, on le voit bien, même les dates font la différence. A chacun donc ses propres souvenirs et les mémoires respectives de la colonisation seraient, semble-t-il, à ce jour, bien gardées. N. K.