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Entre fétichisme et désespérance(3)
Le Salon international du livre d'alger
Publié dans La Tribune le 13 - 11 - 2008


Photo : Riad
Par Mohamed Bouhamidi

L'indépendance n'a pas seulement exacerbé le rêve d'une école algérienne ouverte à tous en lui promettant des perspectives concrètes. La soif de justice et de savoir générait un mouvement puissant fait de volontarisme et de dédain à l'égard des moyens et des nécessités pédagogiques.
Quand, des décennies plus tard, j'entends des critiques à l'égard de ce sous-encadrement, je deviens perplexe. Je me demande si les critiques mesurent le côté «révolution» de notre guerre de libération au-delà de ses dirigeants, de leurs conflits, de leurs limites ou de leurs attitudes. Il faut bien rappeler, une fois pour toutes, que notre peuple n'a pas assumé le poids écrasant de cette guerre pour les dirigeants mais pour l'indépendance. L'idéal et l'espérance qui soulèvent des montagnes sont différents des mises en œuvre concrètes conditionnées par les visions, les pratiques, les héritages politiques. Et cet idéal comme cette espérance pouvaient agir en dépit des limites des dirigeants. Décembre 60, en ruinant les espoirs gaullistes et l'effort de guerre des généraux français en reste la plus belle illustration. Ce côté révolution a mené à deux grands faits historiques : l'occupation des terres coloniales par les travailleurs agricoles aidés par des maquisards et des secteurs progressistes et socialisants et l'occupation des écoles par le peuple aidé par
les instits algériens porteurs d'une mystique scolaire. Autrement, l'école algérienne se serait développée selon les possibilités, en reconduisant les inégalités sociales entre villes et campagnes, entre familles aisées et familles nécessiteuses, etc. l'occupation des terres et de l'école ont été les seules réalisations immédiates et concrètes de la révolution.
Celle de l'école a brisé toute velléité d'arracher au peuple le fruit le plus désiré de son combat. Vous savez ce qu'il est advenu de la terre et vous constaterez que la pire des remises en cause des résultats de la guerre n'osera pas toucher frontalement à l'école. Je reste perplexe aussi parce que cette critique de l'école de l'indépendance part des normes européennes élaborées et construites dans d'autres processus historiques dont le rappel ne serait pas toujours flatteur. Si la tâche de cette école de l'indépendance ne devait être que d'assurer une forme développée d'alphabétisation, elle aurait répondu à une aspiration révolutionnaire de notre peuple. Je vous disais que l'école ne fut pas la seule action culturelle.
Des centaines de jeunes, de lycéens, d'étudiants, de travailleurs instruits ont repris le chemin des écoles, des usines et des champs pour alphabétiser les ouvriers agricoles, les paysans, les ouvriers ; non seulement ils donnaient ce qu'ils savaient, non seulement ils perpétuaient une culture de solidarité séculaire mais amenée à son plus haut par la guerre de libération, ils vivaient le rêve qui nous a maintenus debout face à une armée surpuissante et à une colonie de peuplement particulièrement féroce.
Le grand paradoxe reste que cette toute jeune école algérienne et cet extraordinaire mouvement pour l'alphabétisation apprenaient à nos paysans et à nos ouvriers la langue… française. Aucun pays ne fera autant que l'Algérie pour la langue de son ex-colonisateur avec quelques conséquences lourdes, très lourdes pour la vie culturelle et politique.
Il faudra attendre longtemps pour que les deux passent à la langue arabe. Ces deux mouvements spontanés dont on peut lire la force dans la photo de Kouaci n'étaient pas les seuls acteurs sur la scène. Les deux premiers pouvoirs algériens, celui de Ben Bella et celui de Boumediene, allaient tenir en grande partie la promesse des révolutionnaires qui postulaient que l'Etat algérien indépendant allait mener les réformes sociales et culturelles que les réformistes pensaient préalables à la naissance de cet Etat. Ces deux hommes portaient ce message de la révolution et avaient la ferme intention de faire émerger un Algérien nouveau libéré des idées rétrogrades, féodales et obscurantistes qui avaient longtemps, sous la férule de certaines zaouïas et des caïds ou bachagas, freiné l'émergence d'une conscience nationale. Les maîtres mots qui pourraient résumer le mal absolu aux yeux des révolutionnaires en armes sont l'obscurantisme et le charlatanisme. Or, toute projection d'une culture nouvelle, d'un homme nouveau, d'une société débarrassée de ses maux inclut la primauté du message, la prééminence de l'idéal, la supériorité de l'enseignement sur l'enseigné. Elle instaure une situation de prophétie d'un monde nouveau.
Par essence, ce type de projection s'obsède de sa «vérité». Naturellement, il sélectionne les livres en fonction de ses buts. Peu importe qu'il les appelle livres engagés, littérature de combat, art révolutionnaire ou art authentique pour dire musulman. Ce qui importe, c'est la bonne lecture, la lecture édifiante et formatrice. Le livre n'est plus qu'une fonction. Que les dirigeants de l'Etat algérien aient mis sous les mêmes mots des significations différentes, voire opposées ou contradictoires ne change rien à l'affaire. Le trait principal est que cette projection d'une société nouvelle débarrassée du charlatanisme et de l'obscurantisme pouvait s'entendre aussi bien comme une réparation par le salafisme et le modèle des califes bien guidés que par la modernisation de l'économie et l'instauration d'une société socialiste. Ce flou représente une sorte de revanche des questions théoriques et culturelles brutalement écartées au profit de la seule action révolutionnaire.
Résumons. Aux facteurs sociologiques, historiques, politiques qui expliquent en grande partie une vision restrictive du livre à partir de ses fonctions éducatives, nous pouvons rajouter ce facteur idéologique d'un «projet» de société différente. Tous ces facteurs convergent pour que, de décennies durant, société et pouvoir, pour des motifs différents, ne voient dans le livre que ses fonctionnalités idéologiques et culturelles et deviennent littéralement aveugles à sa réalité d'objet matériel, produit industriel et commercial, et d'objet idéel, produit d'une organisation éditoriale qui ne fonctionne pas du tout à l'inspiration des «auteurs» mais à la planification d'une réponse aux besoins sociaux, ceux de la formation comme ceux des loisirs, ceux de la distinction sociale comme ceux de l'évasion ou du rêve. Pourtant, ce facteur idéologique, ce projet de transformation de la société, aurait dû lutter contre les facteurs précédents. Changer la société, c'est changer ses déterminations. Il va au contraire agir pour les «fixer» comme on dit en chimie, les rendre durables et les laisser agissants.
L'Etat avait bien ouvert des imprimeries comme celle de Réghaïa, il avait bien entrepris des efforts pour le livre scolaire. C'était bien là une juste priorité, une priorité indiscutable mais, du point de l'organisation de l'Etat, cette tâche relevait du ministère de l'Education, premier demandeur avec l'enseignement supérieur, et les deux départements avaient pour cela des offices et des imprimeries qui fonctionnaient bien ou mal mais qui existaient. Ils s'étaient donné des outils. Et s'ils ne l'avaient pas fait, la masse des étudiants et des lycéens se serait fait entendre. Qu'en était-il du ministère de la Culture ?
Nous sommes en 1986. Je découvre le ministère de la Culture. Je ne connais pas tout de ce secteur, je ne connais pas tout de son histoire. La première réalité qui me frappe est qu'il s'occupe de tout, de l'animation comme des semaines culturelles, des menus achats des musées comme de la gestion à distance des maigres instituts qui végètent. Pour moi, c'est phénoménal. Ma première réaction fut d'expliquer simplement que le ministère de l'Agriculture ne laboure pas mais agit pour réunir les conditions juridiques, techniques, matérielles, financières pour que des agriculteurs labourent. Je ne comprenais pas que des cadres supérieurs, directeurs, sous-directeurs, voire le secrétaire général, perdent des semaines à organiser des semaines culturelles, toutes semblables et
répétitives quand cela aurait être le travail d'un office ou du palais de la Culture.
La deuxième chose qui m'a frappé était la fermeture totale sur la société. Rien, aucune indication des buts sociaux du travail du ministère.
Absolument rien sur la distinction des programmes en direction des différentes catégories sociales : enfance, jeunesse, etc.
A la sortie d'une réunion pendant laquelle j'avais parlé d'un programme pour l'enfance, l'un des directeurs les plus perfides parla
suffisamment haut pour que je l'entende dire qu'on allait faire une crèche du ministère de la Culture.
La deuxième chose qui m'a frappé était l'absence totale d'indicateurs de l'activité culturelle. Quelle était la fréquentation des musées, des cinémas, des théâtres, des bibliothèques ? Qui lisait quoi en dehors de l'obligation scolaire ?
Le ministère n'avait pas d'outils de travail à part ceux hérités de l'époque coloniale et de la Cinémathèque, acquis plus militant que vision de l'Etat. Il n'avait pas d'outils pour mesurer, évaluer, agir. Cette absence indiquait plus que tout discours la conception éthérée que portait la tête des responsables. Pis, l'absence de ces indicateurs «naturels» dans une activité industrielle et commerciale montrait crûment que le mépris pour la mise en place d'un marché de l'art –cinéma, peinture, théâtre, livre– et d'industrie culturelle et d'industrie de la culture.
Enfin, reprenez l'organisation administrative de la culture mis en place par le gouverneur général avec ses statuts, ses réglementations. Vous la retrouvez presque telle quelle en 1986. Pour tous, il était naturel que le concept de culture n'englobe que les arts, y compris le folklore et le patrimoine. Exactement le concept colonial. La part de la science avec ses musées et ses espaces de la découverte dans le concept de la culture en France indique la différence faite pour «sa» colonie.
Je ne vous dis pas le tollé sous terrain qui a accompagné mes propositions de créer des musées des sciences et de la découverte –de l'électricité, des hydrocarbures, du rail, de la marine et de la course, etc. et d'ouvrir les musées existant aux enfants sous forme d'ateliers de lecture adaptés d'initiation aux arts–, ce n'est pas le cours de dessin ou de musique de l'école. Le nœud du problème était là : quelle conception de la culture guidait le ministère et pouvait-on en finir avec ses charges et ses héritages coloniaux ? Surprenant qu'une révolution reconduise les idées de son colonisateur ? Fanon en avait déjà dit quelques mots.


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