Photo : Riad De notre correspondant à Constantine Nasser Hannachi Quelle proposition sur la professionnalisation des métiers du livre et des manifestations qui s'y rapportent pourrait émerger des hauteurs de la ville des Ponts si l'on sait que rares sont les libraires -pour ne pas dire qu'ils se comptent sur une main amputée de trois doigts- qui y activent professionnellement ? Pour le reste, c'est dans un brouhaha de «braderie», mêlé à la confusion propice aux affaires juteuses que vit, terni, le monde du livre à Constantine. De leur côté, les rares importateurs, dont certains organisent des expositions de vente illégales, souvent avec la complicité des responsables des sites accueillant ce genre de manifestations, participent au sabordage des libraires. Avec cette ambiance de concurrence déloyale et de pratiques commerciales irrégulières, le marché du livre est miné par la surenchère qui handicape l'application des marges bénéficiaires requises sur la vente de ce produit. A voir cette désorganisation qui caractérise le monde de l'édition, on ne peut que juger inopportune cette volonté de brûler des étapesà la base, pour aspirer à une professionnalisation au sommet. Ce serait inverser une pyramide et tenter de la faire se tenir en équilibre sur son sommet. Le 1er Salon du livre de Constantine était l'exemple local le plus édifiant du ratage d'une telle entreprise. C'était un échantillon de la braderie, sans thématique ni philosophie, hormis la vente. Mieux, les différents importateurs qui s'y présentaient proposaient, pour la plupart, des «best-sellers» vraiment off. Ce salon n'était en fait qu'une occasion d'écouler les stocks de livres invendus importés par containers entiers. Un registre du commerce et des milliards peuvent-ils suffire à professionnaliser le monde du livre ? Loin s'en faut. En ouvrant la voie à tous les commerçants et marchands qui ont investi l'espace livresque, on a fini par transformer le livre en une vulgaire marchandise. Ainsi, pour redonner au livre le statut et la place qui lui reviennent, une régulation dans le fonctionnement du marché s'impose. Cela apporterait assurément un plus au caractère professionnel d'un quelconque salon, qu'il soit national ou local. Le professionnalisme ne se décrète pas dans un centre de décision ni ne se conçoit en une édition, quand bien même on aurait, pour ce faire, exclu les libraires et autres importateurs. La concertation avec tous les acteurs du livre à l'échelle locale et/ou nationale est nécessaire et souhaitée. Car, si on maintient l'exclusivité du salon aux éditeurs, on ne peut cependant écarter du revers de la main tous les importateurs et libraires - les professionnels parmi eux du moins-, envers lesquels on devrait faire montre de disponibilité et les impliquer en tant qu'acteurs habilités à donner le vrai baromètre sur les exigences, voire les attentes des lecteurs. Cela suppose évidemment la professionnalisation, d'abord, des importateurs et des libraires, dont nombreux n'ont de nom que leurs enseignes lumineuses. En effet, pour l'heure on ne peut que relever qu'on se trouve dans un microcosme livresque provincial, prédominé par une anarchie dans la distribution des rôles, aussi confuse que douteuse. En fait, l'importateur joue sur les deux fronts dès qu'il s'agit d'organiser des salons : il brade son produit comme bon lui semble et, par ricochet, annihile les efforts consentis par des librairies qui essayent de survivre… Mieux, sur le plan commercial, les institutions publiques ne «répartissent pas les budgets alloués, équitablement, entre les professionnels au sens propre du mot». A maintes reprises, il est révélé par ceux-là que «toutes les commandes publiques se trament de gré à gré». Il suffirait cependant de faire la tournée de toutes les bibliothèques publiques et même universitaires, pour voir si vraiment les commandes effectuées répondaient à la demande. «Il est des ouvrages qui n'ont pas leur place en ces lieux», soutient un enseignant. Le développement intellectuel et culturel s'acquiert par une osmose et une synergie entre les différentes parties. La définition préalable des contours et des missions de chacune des parties constituantes jalonnerait le chemin de la professionnalisation des métiers du livre en Algérie, tout en lui assurant une longévité. C'est un travail de longue haleine nécessitant des constats négatifs du passé qui appellent à des amendements et un encadrement. Mais pas la censure. Sur ce dernier point, Constantine amoureuse du conte et «fondatrice du roman moderne», n'a pas vraiment attendu l'ouverture du SILA pour «s'approprier» ce qui sera censuré ou interdit. Tuez les tous, de Salim Bachi, en guise d'exemple, a été bel et bien «dévoré» par la majorité des universitaires constantinois bien avant son interdiction à cette manifestation internationale. «Pourquoi interdire un livre qui a été autorisé à la vente ? C'est franchement absurde. Sansal ou Bachi méritent d'être lus et c'est à chacun d'avoir son appréciation sur le thème. Ce n'est pas par cette “répression” que l'on va rendre service au Salon international du livre d'Alger. Au contraire, par ces agissements, le SILA risquerait de perdre non seulement ses visiteurs, mais les professionnels venus de l'étranger», affirmera un féru de lecture. Sur un autre registre, la majorité des lecteurs adeptes de ce genre de rencontres déplore l'absence de cafés littéraires alors que c'était stipulé sur la fiche technique élaborée à l'occasion de cet événement. De surcroît, selon d'autres avis, la représentation des éditeurs internationaux par des délégués relevant du marketing a fait trébucher le SILA, qui faisait ses premiers pas vers la professionnalisation… Les commerciaux qui se trouvaient dans les stands, là où les éditeurs étaient censés se trouver, ont donné au SILA un air de «foire», ce que les organisateurs s'étaient promis d'éviter.