En organisant à la hussarde un référendum sur un projet de constitution fortement contesté, son esprit était plutôt à la pérennisation d'un pouvoir islamiste, qui gomme à sa manière les différences et se maintient par la dictature. Il n'a écouté ni son opposition politique qui exprimait de légitimes revendications, ni les courants d'opinion démocratiques inquiets de la fermeture qui se profilait. Voulu plébiscite pour sa personne, l'essentiel pour lui était que les Egyptiens votent et que le projet passe, fût-ce avec une avance de l'ordre de l'infinitésimal par rapport à l'enjeu sociétal. Ce samedi, il l'a donc eu, son référendum, mais avec un résultat loin d'être à la hauteur de l'espérance des Frères. Organisée en deux étapes, dont la première s'est déroulée samedi, dans dix gouvernorats sur vingt-quatre, le parti des Frères musulmans, loin de tout souci de paix civile, s'est empressé de claironner sa victoire avec un nombre de voix qu'ils situent entre 54 et 56%. Ils prédisaient pourtant un oui massif à leur projet liberticide. Les opposants, eux, pas découragés du tout, soulignent la faible avance du oui et se mobilisent hâtivement pour accentuer le vote négatif de samedi prochain dans les vingt quatre gouvernorats restants. Mais déjà, ils dénoncent les irrégularités qui ont émaillé le scrutin, entre autre l'intervention dans la campagne des religieux islamistes qui ont appelé dans des mosquées à voter pour le projet de constitution. Menée par des personnalités connues (le Nobel El Baradei, l'ancien chef de la diplomatie Amr Moussa et le leader de gauche Hamdine Sabahin, notamment), l'opposition regroupée dans le FSN (Front de salut national) va jusqu'à prévenir que même si le «oui» l'emporte, «une majorité simple ne suffira pas à légitimer un texte devant faire l'objet d'un consensus». Tout le problème est justement-là, pour un pays en proie à des troubles et une instabilité qui durent depuis bientôt deux ans. Le renversement de Moubarek, en février 2011, suivi de la mise sur la touche du Conseil suprême des forces armées, n'a ni calmé les ardeurs de la vieille confrérie islamiste, ni annihilé les réserves démocratiques et libérales. La polémique sur le projet de Constitution n'est que le dernier épisode d'une confrontation permanente entre les Frères musulmans, persuadés que leur heure a sonné après quatre-vingt ans d'opposition, d'une part et les très nombreux Egyptiens qui ne veulent pas assister, impuissants, à la plongée de leur pays dans la régression et l'archaïsme, d'autre part. Entêtement Face à des islamistes élevés dans l'adversité et habitués à resserrer les rangs pour survivre, l'autre camp fait péniblement l'effort de la cohésion pour s'imposer. Même si ce sont des figures connues et d'envergure, avec stature internationale pour Amr Moussa et El Baradei, les chefs de file de l'opposition ont du mal à se remettre de précédentes victoires écrasantes des islamistes, portés par un raz-de-marée (près de 70% des sièges) au parlement, en juin 2012. Mais les erreurs de Morsi, qui apparaît de moins en moins comme un vrai homme d'Etat, vont les fouetter et les conduire vers une coordination a minima de leurs actions de contestation. Une opportunité en or leur est d'ailleurs offerte par le président Morsi qui s'est attribué les pleins pouvoirs par un décret le 22 novembre dernier, soustrayant son action au parlement et aux instances constitutionnelles et judiciaires. Le but de cet «oukase» était de déblayer le terrain à un passage en force de son projet de Constitution, élaboré à la hâte par une commission ad hoc, désertée par les représentants des Coptes ainsi que par l'opposition laïque et libérale. Le Front de salut national a obtenu de Morsi l'abrogation du décret controversé mais pas le report du référendum sur le projet constitutionnel et encore moins sa modification. S'il fallait absolument rappeler aux Egyptiens et imposer dans leur imaginaire l'existence d'un fort courant au pouvoir des Frères musulmans, on ne s'y prendrait pas mieux. C'est grâce, en grande partie, au président islamiste que Moussa, El Baradei et Sabahin, pour ne citer que ceux-là, sont revenus par la grande porte sur la scène politique égyptienne. Et force est de croire que leur action a porté. En à peine une dizaine de jours de mobilisation et d'occupation de la rue, et malgré les provocations et les agressions des islamistes, ils ont réussi à montrer aux Egyptiens, mais aussi au monde entier qui observe ce grand pays, les véritables objectifs du pouvoir islamiste. Ne pas s'étonner donc qu'ils minimisent, en soulignant sa portée, le résultat du scrutin du 15 décembre. Ils comptent même en faire un argument majeur (Risque de division, absence de consensus) qu'ils développent dès à présent pour le «round» de samedi. Ils vont également se saisir de la situation économique dramatique que vit en ce moment l'Egypte pour démontrer l'incompétence du président Morsi. Car, une fois l'étape de la Constitution passée, Morsi devra s'attaquer à un autre enjeu redoutable, celui des mesures économiques à prendre en urgence pour stopper l'aggravation continue du déficit budgétaire. Ayant mal évalué le contexte, il avait commencé à appliquer une hausse des taxes sur nombre de produits et services, décision reportée en raison de son caractère impopulaire et d'un début de mécontentement après sa parution au journal officiel. D'un autre côté, le FMI le presse de mettre en œuvre cette décision pour accorder à l'Egypte un prêt de 4, 8 milliards de dollars. Les réserves de change du pays, faut-il souligner, ont baissé de moitié en un an. Sachant par ailleurs que de nouvelles élections législatives sont prévues dans un délai de deux mois, après l'adoption du projet de Constitution, il est à se demander si le consensus brisé ne prépare pas Morsi et son parti des Frères musulmans à des jours extrêmement difficiles. A. S.