Lakhdar Brahimi était, hier, à Damas où il était arrivé la veille pour sa troisième visite dans la capitale syrienne depuis le déclenchement du conflit, il y a vingt-et-un mois. Médiation internationale oblige, l'émissaire international de l'ONU a été reçu dans la matinée par le président Bachar El Assad. Dans une déclaration à la presse, de retour à son hôtel, le diplomate n'a annoncé rien de nouveau. On ne pouvait pas, du reste, s'attendre de sa part à quelque effet d'annonce au vu du double blocage qui caractérise le conflit. Alors qu'au Conseil de sécurité, les puissances détentrices du veto campent sur leurs positions respectives, sur le terrain des affrontements, la réalité est plutôt celle d'une guerre de position avec basculement erratique dans le mouvement. Les forces gouvernementales n'ont pas complètement affaibli la rébellion et l'opposition armée est de plus en plus tenue à distance. La bataille de Damas qu'elle disait imminente a été stoppée début décembre aux portes de la capitale, dans la banlieue sud et aux alentours de l'aéroport international. A qui profite l'accalmie - même relative - ? Certainement pas aux insurgés, réduits à compenser leur recul militaire par un regain de propagande et de désinformation. Quel lien entre la mission de Lakhdar Brahimi et la désinformation qui n'est qu'un élément de la guerre psychologique que se mènent tous les belligérants d'un conflit militaire ? Bien qu'une médiation, par respect des usages diplomatiques, se doive d'être tenue à égale distance des parties prenantes d'un conflit, celle de l'émissaire de l'ONU est, depuis quelque temps, «mise à contribution» par certains grands medias occidentaux pour prêter à l'émissaire des intentions dont on peut sérieusement douter qu'elles soient les siennes. Un des relais de cette intox, qui peut tout au plus semer un certain doute chez les profanes en matière de diplomatie, soutient dans son blog sur le Figaro en ligne que Lakhdar Brahimi est porteur d'un message commun aux deux grandes puissances jusque-là diamétralement opposées sur le dossier syrien.
L'Arlésienne de Fabius A en croire Georges Malbrunot, Washington et Moscou ont chargé le négociateur de dire à Bachar El Assad qu'il ne doit pas se représenter à l'élection présidentielle de 2014 et, qu'entre temps, il doit céder ses prérogatives à un vice-président et un gouvernement au sein duquel siègeront des représentants de l'opposition. On le remarque tout de suite, le journaliste est ici sur la ligne du Quai d'Orsay et de son chef qui n'arrête pas de fredonner l'Arlésienne sur l'effondrement imminent du régime de Damas. L'épisode ne relevant pas de la vie privée, Malbrunot a été détenu en otage en Irak en 2004, en compagnie du cameraman qui l'accompagnait. Leur libération, négociée par les services français, n'a été obtenue qu'après versement d'une rançon de 15 millions de dollars, ce que les autorités françaises ont nié. A soutenir l'insoutenable et à répandre des allégations aussi peu crédibles, il est permis de supposer que Malbrunot n'est pas briefé par le seul Quai d'Orsay. La guerre psychologique et la désinformation, ce n'est un secret pour personne, instrumentalisent la presse mais naissent la plupart du temps chez des officines qui viennent en appui à l'action diplomatique des gouvernements qu'elles servent. Le matraquage médiatique qui accompagne la propagande djihadiste et l'amplifie semble, toutefois, gagné à son tour par l'essoufflement. Les spécialistes redoutent et connaissent leur effet, l'overdose et la récurrence médiatiques sur un événement déformé ou une vérité travestie et accommodée font naitre des doutes et peuvent inverser l'effet escompté. A fortiori quand, comme c'est le cas en Syrie, des médias alternatifs donnent une autre version des faits et démontent, preuves à l'appui, la mécanique propagandiste actionnée par les capitales occidentales. Il arrive aussi que ce soit l'éthique et la déontologie qui reprennent leurs droits chez des journalistes qui refusent le formatage et brisent des censures suggérées ou imposées. Les médias britanniques, sur ce plan, développent des approches qui tranchent avec celles de leurs voisins, français notamment. L'effort d'objectivité de la BBC, par exemple, fait apparaitre, par comparaison, tout le caractère propagandiste et mensonger d'une chaine de télévision comme «France 24», totalement alignée sur l'Elysée et le ministère des Affaires étrangères. Pourtant, les deux chaines partagent un statut identique qui les place sous tutelle étatique. L'approche est également «clivante» dans la presse écrite. Le journal français en ligne Atlantico.fr, qui assume son nom et sa ligne occidentalo-atlantiste vient de se faire l'écho, le 18 décembre, d'un retour de vérité outre-Manche. Aux propos incontrôlés et manipulateurs de Laurent Fabius et du secrétaire général de l'Otan, il oppose le témoignage de Patrick Cockburn, journaliste lauréat de plusieurs récompenses pour ses articles et ses livres sur le Moyen-Orient. Ce dernier, après un séjour en Syrie de 10 jours, décrit une situation en Syrie qui contredit, voire détruit une certaine doxa médiatico-diplomatique, occidentale. «Les Syriens et les diplomates étrangers les mieux informés déclarent, au contraire, que les attaques les plus récentes des rebelles sur la capitale ont été repoussées par une contre-offensive gouvernementale», écrit le journaliste largement cité par Atlantico qui, il y a quelques jours seulement, avait encore une ligne qui n'était pas en contradiction avec l'hystérie ambiante anti-Bachar, anti-russe et en faveur de la rébellion dominée par les islamistes dont beaucoup se comportent en terroristes.
Coup de grâce Sur l'offensive avortée de la rébellion pour prendre pied à Damas et ses «fulgurances» dans des localités comme Alep, Hama ou Homs, Cockburn apporte l‘explication, puisée à bonne source. Pour le journaliste, «Les dernières avancées rebelles qui ont nourri les spéculations à l'étranger sur le fait que le gouvernement syrien serait sur le point d'exploser, sont à expliquer en partie par une nouvelle stratégie de l'armée syrienne qui se retire des avant-postes et des bases indéfendables et concentre ses troupes dans les villes et les villages». On est donc loin de ces hauts faits d'armes d'une résistance magnifiée, régulièrement célébrée par la presse française. Un autre titre français, l'hebdomadaire Le Point, ne va pas jusqu'à se dédire mais ouvre ses colonnes à un chercheur spécialiste de la Syrie et dont les analyses sortent des sentiers battus du conformisme auquel se plient les médias français. Pour Fabrice Balanche, les dernières avancées rebelles sont également à attribuer à une stratégie délibérée de l'armée de Bachar el-Assad. «L'armée régulière adopte une méthode de contre-insurrection», explique-t-il au Point.fr. “Elle se retire des zones où les populations lui sont hostiles et où elle pourrait donc facilement être la proie des rebelles, pour se replier sur les grandes villes. Diagnostic partagé par Elizabeth Kennedy, représentante à Beyrouth de l'Associated Press, illustre et ancienne agence de presse américaine basée à New York. La journaliste américaine, habituée de la Syrie où elle séjourne régulièrement, estime que Bachar et son gouvernement sont loin d'être finis. Elle appuie son argument sur la puissance de feu du régime syrien et une population de plus en plus nombreuse à le soutenir. Enfin, il y a eu, à la mi-décembre, ce véritable et plutôt inattendu coup de grâce porté à la propagande des insurgés et des monarchies du Golfe, porté par la publication d'un rapport de l'ONU. «La guerre en Syrie a pris un tour nettement communautaire, avec une opposition manifeste entre la minorité alaouite au pouvoir et la majorité sunnite», estiment les enquêteurs des Nations unies qui ne manquent pas d'attirer l'attention sur «la présence de plus en plus marquée de combattants étrangers (qui) contribuent à aggraver les divisions et risque de provoquer un débordement dans les pays voisins du conflit entre le président Bachar El Assad et les insurgés». A. S.