«Ben Laden est bien vivant» et son organisation, Al Qaïda, tente d'étendre ses tentacules dans un certain nombre de régions politiquement instables à travers le monde. C'est le constat que font aujourd'hui, unanimement, les «experts» de la question du «terrorisme islamiste», avec l'émergence de nouveaux «fiefs» d'Al Qaïda, un peu partout dans les cinq continents. Dans la région afghane, plus actuellement à l´intérieur même du Pakistan avec les violents affrontements en cours avec l´armée et les attentats terroristes meurtriers dans ce pays qui possède l´arme atomique, dans le Golfe, dans la corne de l´Afrique sous forme initiale de piraterie, dans le Sahel, la «terre de personne», et bien sûr au Maghreb. Les «branches régionales» d'Al Qaïda C´est dans la région du Maghreb où le GSPC algérien a fait allégeance, en 2007, à l´organisation d'Oussama Ben Laden, qu´a pris forme la nouvelle cellule sous-traitante du terrorisme islamiste international. Une première depuis l´affirmation du terrorisme sur la scène internationale, quelques années plus tôt. Al Qaïda pour le Maghreb islamique (AQMI) tend à servir de modèle d´organisation terroriste, relativement autonome, que Ben Laden est en train de mettre en place là où c´est possible, avec la même structure et les mêmes méthodes. Cette formule a émergé dans les interventions des experts qui ont pris part, aux récentes journées d´études organisées par le département des sciences politiques de l´université de Grenade sous le thème «Sécurité européenne : Terrorisme et radicalisme djihadiste». Le professeur Javier Jordán, spécialiste de renommée mondiale pour ses ouvrages sur la question du terrorisme islamiste, pense qu'«Al Qaïda a été fragilisée en tant qu´organisation internationale». Autrement dit sa taille d´organisation terroriste à l´échelle planétaire est devenue difficilement gérable. Il est, sans doute, fait allusion ici à la débâcle de la stratégie mise en place par Ben Laden en Irak, suite à l´invasion américaine dans ce pays arabe. Ou encore à l´Afghanistan, comme quartier général du terrorisme international, après les opérations directement menées par Al Qaïda, aux Etats-Unis, le 11 septembre 2001, et dans certaines capitales européennes, Londres et Madrid notamment. Dans l´incapacité de rééditer ses «exploits» terroristes en Occident, du fait du démantèlement de ses réseaux dans les principales capitales européennes, parfois avant même leur émergence, Al Qaïda a du changer de stratégie pour parrainer les groupes terroristes qui sévissent à travers le monde. Dans les pays arabes et musulmans. C´est le cas de l´allégeance du chef du GSPC, Droudkal, à l´organisation de Ben Laden. «Les branches d´Al Qaïda sont en train d´émerger au niveau régional», estime le professeur Javier Jordán dont la conclusion de ses travaux de recherche est partagée par ses pairs. Elle l´est, notamment, par le directeur de l´Institut espagnol des études stratégiques (IEES), Miguel Angel Ballesteros, autre expert du terrorisme islamiste qui parle, non plus d'Al Qaïda, mais «des Al Qaïdas régionales», conçues spécialement sur le modèle d'Al Qaïda pour le Maghreb islamique (AQMI). L'Andalousie, Ceuta et Melilla Depuis 2007, cette organisation terroriste reprend systématiquement dans ses communiqués la revendication de l´Andalousie comme «terre d´islam» dont elle appelle à la libération après sa «reconquête par les Croisés» en 1492. L´Espagne prend au sérieux cette menace. Elle prend tout aussi au sérieux la menace de la mouvance salafiste marocaine affiliée à Al Qaïda, le Groupe des combattants islamiques marocains (GCIM), responsable, pour le compte d´Al Qaïda, des attentats du 11 mars 2004 à Madrid, de «libérer Ceuta et Melilla». Ce groupe n'a dû inscrire cet objectif dans son action qu´après les critiques formulées par l´émir de l´ex-GSPC, Droudkal, contre le peu de motivation des terroristes marocains à agir contre l´«occupant espagnol». Le directeur de l´IEES soutient, à juste raison donc, que l´Espagne, bien que ciblée par les attentats du 11 mars, «n´est pas en soi un objectif d´Al Qaïda». L´objectif final de l´organisation de Ben Laden c´est «le retour à l´islam de tout territoire qui fut musulman à un moment ou à un autre dans l´histoire». C´est d´ailleurs le Royaume-uni, comme allié des Etats-Unis, et non l´Espagne qui a été ciblé le plus grand de fois par le terrorisme islamiste. Les Américains, encore sous le choc du 11 septembre, semblent partager cette vision d´expert de la nouvelle stratégie d´Al Qaïda. Une vision dont l´Algérie avait l´intime conviction depuis le début de la décennie noire lorsqu´elle affrontait, seule, le terrorisme. Une «affaire interne» liée arbitrairement par les Occidentaux à un simple arrêt du processus électoral. Une vision à laquelle, hélas, tous les pays n´adhèrent pas, ou hésitent encore à le faire parce que le terrorisme n´a pas encore pris chez eux. Pour les Etats-Unis, c´est une simple question de temps si la coopération régionale antiterroriste ne s´adapte pas à la nouvelle stratégie d'Al Qaïda. La visite du sous-secrétaire d´Etat américain pour le Proche-Orient, Jeffrey D. Feltman, mercredi à Alger, semble présider de l´intention de Washington d´aider à la mise en place de stratégies de lutte de niveau régional dans le monde. C´est cette formule qui a émergé le plus de sa déclaration à la presse, au terme de l´audience que lui a accordée le président Abdelaziz Bouteflika. Le «soutien des Etats-Unis aux efforts de l´Algérie dans le cadre de la lutte antiterroriste» doit s´accompagner, a-t-il insisté, d´une collaboration des voisins (les Maghrébins) avec l'Algérie qui ne doit pas rester seule sur le front. Plus précis encore, le sous-secrétaire d´Etat américain a parlé d´«action régionale et internationale» contre le terrorisme. Il est notoire qu´un pays voisin comme le Maroc, lui aussi ciblé par des attentats terroristes meurtriers, notamment le 16 mai 2004 à Casablanca, refuse de coopérer avec l´Algérie, pas même au niveau des échanges d´informations sur les activités de terrorisme et le trafic d´armes sur et à partir de son territoire. C´est par l´intermédiaire de pays du «5+5» (la France, l´Espagne ou l´Italie) et des Etats-Unis que les services de sécurité algériens sont informés des activités de terrorisme qui se préparent chez le voisin. Action antiterroriste régionale Le royaume alaouite refuse de s´impliquer aux côtés de ses voisins dans des actions conjointes contre les activités de AQMI dans la région du Sahel, un véritable sanctuaire du terrorisme qui frappe du Tchad à la Mauritanie. Le Maroc mais aussi la Tunisie qui a été ciblée de son côté par l´attentat meurtrier contre la synagogue de Djerba et la prise en otages d´un couple de touristes autrichiens, il y a deux ans, ne veulent pas «être amalgamés», selon cette expression usitée à Rabat et Tunis avec «les pays du Sud (entendre aussi l´Algérie) qui sont confrontés à l´instabilité politique». Récemment, Abdelkader Messahel avait avancé l´idée d´un sommet sur le terrorisme à Alger groupant sept pays, trois du Maghreb (Algérie, Libye et Mauritanie) et quatre du Sahel (Tchad, Niger, Mali et Burkina Faso). Aucune allusion au Maroc ou à la Tunisie. L´objectif de ce sommet, selon M. Messahel, c´est de «coordonner les efforts communs aux pays de la région et de dégager une méthode dans le domaine de la sécurité régionale». Autrement dit, la méthode régionale. C´est à cette coopération régionale que l´émissaire du président Barack Obama a nettement fait allusion à Alger. Cette méthode est déjà bien avancée, puisque l´Algérie apporte un important soutien logistique à l´armée malienne dans ses opérations contre trafiquants d´armes d´Al Qaïda au Mali. En juillet dernier, les chefs d´état-major des armées algérienne, malienne, nigérienne et mauritanienne s´étaient réunis à Tamanrasset autour du thème du renforcement de la sécurité dans le Sahel. Un mois plus tard, la première opération antiterroriste conjointe contre les bases d´Al Qaïda dans le nord du Mali était lancée. «Dans le respect de la souveraineté des pays concernés», comme l´a fait remarquer indirectement le sous-secrétaire d´Etat américain.