Le premier tour de l'élection présidentielle au Mali aura lieu le 7 juillet et le second le 21, en même temps que les législatives, a annoncé, jeudi dernier, le ministre de l'Administration territoriale, Moussa Sinko Coulibaly, lors d'une conférence de presse à Bamako. Les deux scrutins seront décisifs pour la stabilisation du pays. Reste à savoir s'ils auront bien lieu. Car, même si les 4 000 militaires français et les 4 300 soldats africains déployés au Mali disent être entrés dans une phase de «sécurisation» après avoir repris les principales villes du Nord, l'intervention au Mali est loin d'être terminée. Dans les villes du Nord, la guérilla vient juste de commencer. Et l'armée française, qui espère se retirer graduellement du Mali à partir du mois de Mars, devra déloger les éléments des groupes armés qui se sont mêlés à la population et occupent avec leurs otages l'imprenable massif de l'Adrar des Iforas. Une opération compliquée : comment, sans bavures ni épuration ethnique, extraire des hommes qui se sont mélangés aux civils, parmi lesquels des Touareg ? D'éventuelles «bavures» risquent d'éclabousser la France. L'armée malienne elle-même risque de poser problème. Elle est déjà accusée d'exactions contre les civils par Amnesty International et Human Rights Watch. Les deux ONG accusent des soldats maliens de «graves atteintes aux droits de l'Homme» et évoquent notamment des exécutions sommaires dans deux rapports publiés le premier février dernier. Amnesty International dit avoir réuni des preuves établissant qu'au moins cinq civils, dont trois enfants, ont trouvé la mort lors d'un bombardement aérien mené le 11 janvier à Kona dans le cadre de l'opération conjointe menée par les forces françaises et maliennes, sans pouvoir préciser quelle armée en porte la responsabilité. Les enquêteurs d'Amnesty, qui se sont rendus dans les villes de Ségou, Sévaré, Niono, Kona et Diabali, ont aussi enregistré des témoignages selon lesquels le 10 janvier, à la veille du déclenchement par la France de l'opération «Serval», l'armée malienne a arrêté et exécuté une vingtaine de civils, principalement dans la ville-garnison de Sévaré, près de Mopti. Plusieurs corps auraient été jetés dans un puits, ont raconté des témoins, interrogés par Human Rights Watch. «Ils ont fait monter un homme âgé et son fils dans une voiture et les ont conduits 100 mètres plus loin jusqu'au puits sur le terrain vide. Ils ont tiré une balle sur le fils... il s'est effondré. Puis ils ont pris son corps et l'ont jeté dans le puits. Puis ils ont tiré plusieurs balles sur le père, mais il n'est pas tombé. En voyant ça, ils lui ont enlevé quelques vêtements, lui ont tiré dessus à nouveau et l'ont aussi jeté dans le puits. Ensuite ils ont à nouveau tiré dans le puits. Des gens ont dit que les militaires ont insisté sur le fait que c'était des islamistes. Mais le fils a essayé d'expliquer que son père, qui agissait de manière étrange, était fou», développe l'un d'eux. Selon l'ONG, au moins 13 personnes ont été exécutées sommairement et cinq autres ont disparu entre le 9 et le 18 janvier à Sévaré, Kona et dans les villages environnants. Les forces de sécurité auraient ciblé des civils souvent à cause de leur origine ethnique ou de leur type de vêtements. L'agence Associated Press (AP) a révélé, pour sa part, la découverte le 8 février dernier, des corps de deux civils à Tombouctou dans une fosse commune. Il s'agirait du directeur de la medersa (école coranique) Nour El-Moubin, Mohamed Lamine Ould Hamoud, et de l'un de ses amis, un commerçant de la ville spécialisé dans la vente de tapis de salon, Mohamed Tidiani. Selon des témoins, les deux civils ont été arrêtés le 28 janvier dernier par l'armée malienne. «C'est ce jour-là, aux environs de 10 heures du matin, qu'ils ont arrêté mon mari, au niveau de sa medersa, avec son ami. Les six militaires les ont d'abord amenés à la maison, qu'ils ont fouillée, puis ont emporté les téléphones portables de mon mari avant de lui bander les yeux avec un tissu blanc. Ils ont ensuite dit à la foule de saccager notre maison et sont partis», a confié à Jeune Afrique Ani Bokar Arby, l'épouse de Ould Hamoud. Les deux victimes sont des arabes, membres de l'un des deux groupes ethniques avec les Touareg. Le directeur de la medersa Nour-El Moubin serait de la même tribu que Sanda Abou Mohamed, le porte-parole d'Ansar Eddine à Tombouctou. Un lien qui aurait été la cause de son assassinat. Les accusations d'exactions commises par l'armée malienne sont nombreuses et continuent de se multiplier, ce qui fait craindre le pire et rappelle les massacres qui se sont produits une vingtaine d'années plutôt comme celui de Léré en 1991. D'ailleurs, il y a lieu de préciser que le parquet de Bamako a rendu publics la semaine dernière 26 mandats d'arrêt contre les chefs du Mnla, du MIA, et les groupes islamistes armés Ansar Eddine (Défenseurs de l'islam), Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao), accusés notamment de «terrorisme» et de «sédition». Ces mandats d'arrêt sont lancés alors qu'à Kidal, fief touareg à 1 500 km au nord-est de Bamako, le Mnla et des dissidents d'Ansar Eddine contrôlent une partie de la ville, où sont aussi déployés des militaires français et tchadiens. La France a même reconnu que ses soldats avaient à Kidal «des relations fonctionnelles avec le Mnla». Bamako, et son armée, semble être dans une logique de «vengeance» contre le Mnla ce qui risque de compliquer sérieusement la situation. En fait, le fond du problème malien demeure politique et ne pourra être résolu si les revendications des Touareg ne sont pas prises en compte. D'éventuelles représailles ne pourront que nourrir de futures révoltes. Pas besoin d'être un as dans la stratégie militaire pour savoir qu'une révolte touareg en ces jours de guérilla enliserait la situation. L'armée française et l'armée malienne doivent se préparer aujourd'hui à la «vraie guerre» qui commence dans le Nord. Les premières semaines de l'intervention se sont déroulées, certes, sans combat. Les villes libérées semblaient avoir été désertées par leurs occupants. Mais très vite, la deuxième phase a démarré avec les attentats-suicides qui ont été commis en plein centre de Gao, ou encore les combats de rues qui ont eu lieu à quelques pas du marché local. La situation au nord du Mali est telle que l'ONU a déclaré redouter «une spirale de violence catastrophique». Le Canada a, quant à lui, affiché sa crainte d'un scénario comme en Irak et en Afghanistan, et les Etats-Unis ont annoncé d'urgence qu'ils devaient «aider» leurs alliés contre Al-Qaïda. Hier, l'Union européenne a annoncé le déblocage de 20 millions d'euros en faveur du Mali, dans le cadre du programme de stabilisation et de soutien à ce pays. Ce programme a pour objectif d'aider le Mali à rétablir la démocratie et la paix, à restaurer les services de base, à promouvoir le dialogue et la réconciliation, et à soutenir les premières phases du processus électoral. Cette enveloppe est une première contribution qui s'inscrit dans le cadre de la réponse globale de l'UE à la crise au Mali. Sur le plan humanitaire, éclipsée par l'intervention militaire franco-malienne, la situation préoccupe. Alors que des dizaines de milliers de personnes continuent de fuir les zones d'affrontements, les besoins ne cessent de croître. Pour ces déplacés et réfugiés, la galère ne fait que commencer. Malnutrition, risques de choléra, accès aux soins, le manque est partout et l'ONU a déjà annoncé qu'il faudrait au minimum 373 millions de dollars pour la seule année 2013. À Bamako, le nombre de déplacés atteint désormais les 50 000 personnes, selon le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR). Le HCR a recueilli des témoignages d'horreur auprès des déplacés qui évoquent les vols, les amputations, les violences sexuelles faites aux femmes et des exactions. Des enfants auraient été enlevés à leur famille et formés au combat par les rebelles. Ils servent de boucliers. Selon les derniers chiffres du HCR, depuis le début du conflit dans le nord du Mali il y a un an, plus de 150 000 réfugiés ont fui vers les pays voisins, la Mauritanie, le Niger et le Burkina Faso. Par ailleurs, près de 230 000 personnes déplacées ont trouvé refuge à l'intérieur même du Mali. Depuis le début de l'intervention française, plus de 9 000 nouveaux réfugiés ont quitté le pays. La plupart des organisations humanitaires travaillant au Mali s'accordent pour dire que la situation humanitaire dans le pays avait déjà atteint un stade critique, et ce avant même la récente série de combats. Selon David Gressly, un haut responsable des efforts de secours des Nations unies, la possibilité qu'environ 10 millions de personnes vivant dans la grande région du désert du Sahel puissent risquer la famine cette année est sérieuse. «Nous devons nous préparer à ce que la situation empire. Ce n'est pas une prédiction voulant que les choses s'aggravent effectivement, mais nous devons nous y préparer», a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse à Genève. La communauté humanitaire a réclamé des dons de plus de 1,6 milliard de dollars pour aider les millions de personnes dans le besoin dans la région, a précisé l'ONU. Au Mali, les combats entre putschistes et rebelles ont plongé environ 500 000 personnes dans l'insécurité alimentaire, et plus de 4,3 millions de personnes ont besoin d'aide humanitaire, et ce depuis l'éclatement du conflit, en janvier 2012. Au cours des dernières semaines, les efforts militaires d'une coalition approuvée par l'ONU ont permis de reprendre le contrôle du centre et du nord du pays, permettant d'améliorer l'accès humanitaire. Les vols onusiens nationaux ont repris et des évaluations des besoins sont en cours dans les villes de Gao, Kidal, Mopti et Segou, soutient-on. Malgré ces améliorations, l'accès au nord du Mali demeure limité. Des rapports faisant étant de mines terrestres et d'explosifs artisanaux ont conduit à la fermeture de routes importantes, et la frontière algérienne est fermée. H. Y.