Les femmes tunisiennes, libérées du carcan traditionnaliste régressif par Bourguiba, seront les premières perdantes de la «Révolution du jasmin», si les islamistes d'Ennahda, qui contrôlent l'Assemblée constituante et le gouvernement, arrivent à imposer dans la loi fondamentale leur vision du statut de la femme inspiré quasi-exclusivement de la charia. Depuis deux ans et le départ de Ben Ali du pouvoir, il s'est créé une atmosphère surréaliste où la femme tunisienne, régulièrement attaquée sur sa place et son rôle dans la société, est devenue un sujet de débat et de préoccupation central. Alors que la majorité du peuple tunisien attend surtout de voir venir les retombées positives promises et attendues du changement, une fixation malsaine sur la gent féminine assombrit le devenir de cette composante essentielle du peuple. Il suffit d'en juger par les projets suggérés ou en préparation la concernant pour prendre la mesure de la régression qui l'attend. Polygamie, mariage coutumier (ôrfi), excision, constituent la trame de ces débats d'un autre âge. Les islamistes d'Ennahda ont bel et bien l'intention de remettre en cause les lois modernistes qui plaçaient la femme tunisienne parmi les plus émancipées du monde arabo-islamique. Dimanche dernier, deux jours après la célébration de la Journée de la femme, Mohamed Ali Fakih, le président du parti islamiste Rafah, nouvellement créé, a ajouté sa voix à celles qui ont appelé à un référendum sur la polygamie. A l'entendre, la polygamie réglera le problème du célibat considéré comme un problème social crucial. L'argument du cheikh a de quoi renvoyer à leurs pénates les meilleurs économistes : une femme sur cinq, en Tunisie, n'a pas de mari, car les femmes sont plus nombreuses que les hommes. Avant que les islamistes aient traduit en lois leurs projections, dans les faits les pratiques régressives ont commencé, dans le sillage de l'activisme sur la question, depuis le 14 janvier 2011. Ainsi, le mariage coutumier, encouragé, a acquis droit de cité dans les universités et les localités pauvres. Cerise sur le gâteau, le gouvernement aussi s'y met. La polygamie figure, depuis peu, parmi les thèmes de la formation continue des médecins de la santé. «La polygamie dans la pensée de l'homme et de la femme», est le thème d'un document distribué il y a quelques jours dans les centres de santé. A croire qu'il n'y a pas plus prioritaire à régler en Tunisie. On appréciera aussi, dans ce florilège d'insanités, ce bon conseil du député Habib Louz selon qui «l'excision des filles (khitan) est une pratique légitime d'ordre exclusivement esthétique». Citant à l'appui de son argumentaire, le prédicateur égyptien Wajdi Ghanim, qui a fait de l'excision sa spécialité, l'important responsable d'Ennahda explique que «l'excision des filles s'apparente davantage à un traitement médical, notamment dans les régions chaudes du globe, et que cela n'est pas un moyen de réduction du plaisir sexuel chez les filles». Si après cela, il s'en trouverait encore pour penser que le parti de Rached Ghannouchi prône un islamisme «modéré» et est soluble dans la démocratie…