L'Algérie a tourné le dos à la mer et au Sahara. Elle a aussi tourné le dos aux Hauts Plateaux et aux montagnes. L'Algérie est victime de la navigation à vue de responsables qui se sont imposés comme tuteurs de la nation, de son histoire, de sa culture et de son devenir. Aucune vision globale des enjeux d'un développement équilibré de toutes les régions du pays n'a été dégagée pour servir de repère à tous les niveaux de responsabilité. Beaucoup de responsables ne se considèrent pas comme des mandataires au service du pays et des populations dans toutes les régions sans distinction aucune. Le centralisme est en train de tuer à petit feu tout le potentiel de l'Algérie, qu'il soit humain, patrimonial, culturel ou matériel. L'organisation administrative du pays a atteint ses limites depuis longtemps. La wilaya ne répond plus aux besoins stratégiques de l'espace social, économique, culturel et politique qu'elle englobe. Elle est désormais une structure obsolète qui sert de frein à toute dynamique de développement. Le dernier remaniement des walis du Sud en est la preuve. Cependant, il ne s'agit pas seulement d'incompétence de personnes mais de l'inefficacité même de la structure. La question de la régionalisation a été posée au début des années quatre-vingt-dix comme nécessité stratégique pour mettre un terme au centralisme administratif et décisionnel qui étouffe le pays profond et annihile toutes les initiatives et compétences locales. Est-il normal de parachuter un responsable dans une wilaya dont il ne connaît rien, dont il ignore les structures sociales, les spécificités sociologiques, les subtilités des relations humaines qui la caractérisent…pour en faire le seul centre de décision local ? Si dans les wilayas du Nord où rien ne se cache en raison de la présence de la presse et des traditions de luttes sociales, on constate des carences énormes dans la gestion, une négligence inacceptable, des malversations graves, une corruption endémique, une gestion catastrophique des collectivités locales, qu'en est-il dans le pays profond où les responsables sont loin des feux de la rampe, entourés d'une cour de laudateurs et de notables autoproclamés qui ne pensent qu'à leurs intérêts personnels ? Si la corruption a gangrené les hautes sphères de l'Etat, comment les structures intermédiaires peuvent-elles y échapper ? Si le wali n'est comptable que devant le ministre de l'Intérieur, comment peut-il être responsable devant les citoyens de la wilaya qu'il dirige ? On peut répliquer par l'exemple du maire qui est élu et qui ne rend pas compte de sa gestion à ses électeurs. La réponse est dans le Code communal qui ne fait pas du P/APC le seul responsable de sa commune, qui décide de ses ressources, de son foncier, de ses moyens et, partant, le seul responsable de la situation des populations de sa commune. Le Code de wilaya non plus ne fait pas de l'APW et de son président, les véritables gestionnaires de la wilaya. Ni l'APC, ni l'APW ne sont élues sur la base d'un programme de développement local avec une maîtrise du budget local et des projections viables visant à améliorer le quotidien des populations locales. L'APC et l'APW sont à la merci du wali qui n'a d'instructions à recevoir que du ministre de l'Intérieur alors qu'il préside aux destinées de toute une wilaya dans sa dimension économique, sociale, politique et culturelle. C'est à ce titre que la structure de la wilaya ne répond plus aux objectifs qui lui ont été tracés lorsqu'elle a été créée. Aujourd'hui, et à la lumière des mutations profondes qui ont bouleversé la société algérienne, d'autres formes d'organisation administrative et politique du pays s'imposent comme une nécessité aussi vitale qu'opérationnelle. Aujourd'hui, ce sont les populations du Sud qui se révoltent contre leurs conditions de vie, hier c'était la Kabylie, demain ce sera les Aurès ou l'Oranie. A chaque fois c'est le gouvernement qui doit «réagir» ? Pourquoi le gouvernement n'a pas agit au lieu de réagir ? N'est-il donc pas informé de la situation des populations dans telle ou telle région ? Les walis ne sont-ils pas des commis de l'Etat désignés par le pouvoir central pour jouer au moins ce rôle d'alerte ? Il y a un problème sérieux qui se pose dans la gestion des affaires publiques et dans la prise en charge permanente des préoccupations des citoyens. Il y a un disfonctionnement dans les structures de l'Etat au point où le gouvernement est surpris par des dynamiques sociales pourtant prévisibles. Si à chaque émeute, à chaque révolte, c'est l'Etat qui est visé, c'est parce qu'il n'existe pas un pouvoir local représentatif, démocratiquement élu, disposant de larges prérogatives et de marges de manœuvres pour répondre aux besoins multiformes des populations.
La régionalisation contre l'Etat jacobin L'Etat jacobin a fait son temps et a atteint ses limites. Les réformes engagées jusque-là n'ont été que formelles. Elles n'ont rien changé à l'essence d'un Etat hyper centralisé qui entrave l'émergence des potentialités locales. La refondation de l'Etat national nécessitait au lendemain de l'indépendance une certaine forme de centralisation des pouvoirs pour des raisons objectives liées à la réalité sociologique et politique du pays. Analphabétisme, indigence des compétences et état d'arriération du pays ont plaidé ont faveur de l'Etat jacobin. Aujourd'hui, cinquante ans après le début du processus de refondation, la décentralisation n'est ni une vue de l'esprit ni un fantasme. C'est un impératif stratégique qui ne permettra pas seulement de situer les responsabilités et démocratiser la gestion du pays, sans diminuer de la puissance de l'Etat régalien, mais favorisera l'émergence des compétences locales dans tous les domaines de la vie économique, sociale, politiques, culturelle…. Les régions consacrées en entités territoriales administratives avec des pouvoirs exécutifs importants, une autonomie financière large, seraient alors les socles d'un Etat basé sur une démocratie participative et de proximité où le citoyen s'impliquerait davantage non seulement pour défendre ses propres intérêts matériels et moraux mais aussi pour défendre la communauté nationale, ses institutions et ses symboles. La réforme de l'Etat commence par la remise en cause d'une mentalité enracinée chez la majorité du personnel politique et administratif algérien, qui développe et nourrit une culture de pouvoir, d'autorité et d'oppression. Dans le pays profond, l'administration telle qu'elle est conçue et telle qu'elle fonctionne, tient les citoyens en otage parce que les responsables savent qu'ils sont l'unique recours. L'avidité du pouvoir, pousse ces responsables à tous les niveaux, comme par sadisme, à faire souffrir les contribuables qui veulent faire valoir leurs droits. Souvent, l'accès aux droits passe par la corruption. La corruption commence à ce niveau de l'échelle avant d'atteindre des dimensions inimaginables à travers des marchés au niveau des communes, des wilayas et national. Les malversations enrichissent quelques personnes et appauvrissent les populations. Lorsque cette pratique se fait à grande échelle et à tous les niveaux de responsabilité, elle est érigée en système provoquant des soulèvements populaires. Afin que cette mafia puisse se servir impunément et sans retenue, elle s'incruste dans les rouages du pouvoir, place ses pions dociles et écarte les cadres honnêtes et compétents. Au bout du compte, c'est le pourrissement qui commence à dégager ses miasmes dont les odeurs nauséabondes sont perceptibles par le commun des citoyens qui s'interroge sur l'enrichissement de la minorité et l'appauvrissement de la majorité. Au niveau local, il est difficile de situer les responsabilités, au niveau national, c'est l'omerta. Le seul coupable aux yeux des laissés pour compte de ce système, c'est l'Etat qui devient la cible. Lorsque l'Etat est remis en cause, c'est le devenir de la Nation toute entière qui est menacé. Au-delà de ses avantages en terme d'émergence de compétences et d'optimisation des ressources locales et de rationalisation de la gestion à travers l'élaboration d'un plan de développement régional qui intègre la vision globale, la régionalisation est un rempart qui préserve et protège l'Etat national dont le rôle principal n'est pas de penser comment développer telle ou telle région, mais d'élaborer un plan de développement national et de gérer les grands dossiers de souveraineté. Les responsables autochtones connaissent mieux que quiconque les besoins des populations d'une région, en connaissent mieux les spécificités. Lorsqu'ils sont soutenus par des spécialistes dans différents domaines d'activités, ils sont à même de formuler des solutions adaptées et de les mettre en œuvre.
Le Sud, un atout stratégique Tourner le dos au Sud, c'est regarder vers le Nord pour espérer évoluer, changer sa vie, se moderniser et se réaliser. Le Sud, un espace immense, varié, riche et prometteur est maintenu dans un état de sous-développement économique, social, et culturel alors qu'il dispose de tous les atouts pour devenir la locomotive du développement national. La Sahara algérien dispose d'un potentiel énergétique immense. Si les énergies fossiles sont tarissables, les énergies nouvelles sont prometteuses et peuvent, à elles seules, régler le problème du chômage dans toutes les régions du Sud et répondre aux besoins énergétiques de tout le Maghreb et même au-delà. Sous ses apparences de désert stérile, le Sud recèle des ressources hydriques phénoménales pouvant faire du Sahara le grenier de l'Algérie et répondre à tous les besoins agricoles du pays et permettre l'exportation de produits variés en toutes saisons. Le Sud est une destination touristique prisée pour peu que les responsables du secteur fassent preuve d'imagination et laissent les enfants des différentes régions du Sud mettre en valeur les potentialités énormes naturelles, culturelles, patrimoniales que la gestion actuelle étouffe et tue. Le Sud, cet espace immense peut et doit servir de solution aux problèmes de surpopulation dans le Nord qui souffre gravement d'un manque de foncier urbain et d'un massacre systématique du foncier agricole. C'est le Sud qui a besoin de nouvelles villes avec toutes commodités et non le Nord. Pourquoi a-t-on tourné le dos au Sud ? Est-ce parce qu'il est désertique ? Aujourd'hui, le désert est une vue de l'esprit. C'est une perception mythique et culturelle démentie par les avancées scientifiques et les moyens qui peuvent transformer les déserts en un terreau plus fertile que la Mitidja. La vie est rude dans le désert quand on s'en détourne et quand on n'y investit pas pour en adoucir les conditions. Les gens du désert y ont fait des îlots de paradis avec les moyens rudimentaires dont ils disposaient. Un Etat riche ne peut-il pas faire mieux avec les moyens modernes ? Déserter le désert est un choix qui obéit à une politique d'abandon. Quant aux autochtones, il s'y sont habitués, c'est leur espace naturel, c'est leur «destin». Alors, pourquoi a-t-on bouleversé le mode de vie traditionnel de ces populations nomades, pastorales et paysannes ? La modernité de façade a complètement travesti les structures sociales et la gouvernance atavique sans qu'elle crée les conditions d'un développement social et économique qui modifieraient le visage des villes du Sud. Les écoles et les hôpitaux existent mais ne disposent pas d'enseignants dans toutes les matières ni de médecins spécialistes, ni de moyens pour exercer. Et là, il ne s'agit que d'un exemple parmi tant d'autres. Existe-t-il au Sud une faculté de médecine qui réponde aux besoins locaux ? Ce n'est qu'un constat parmi tant d'autres. Existe-t-il une école d'agronomie qui enseigne les techniques de l'agriculture saharienne ? Existe-t-il une école des arts sahariens ? A l'exception de la JS Saoura qui perce, combien d'équipes locales ontatteint des performances de niveau national ? Y a-t-il un théâtre régional de niveau artistique acceptable ? Le Sud est réduit à l'Imzed, au Tindi, à la Sbiba, à la Qaâda et aux fresques de nos ancêtres. Les Zénètes, les Koutama et les Sanhaja sont pourtant venus du Sud pour peupler le Nord. Du Sud l'Algérie est née, au Sud l'Algérie retournera. A. G.