La poésie, grande victime de l'expansion romanesque ? Sans conteste ! Le roman est le genre qui règne majestueusement sur le monde des lettres. De plus en plus de romans s'écrivent, s'achètent et se lisent chaque jour au détriment des autres genres qu'ils écartent. Et c'est en partie parce que le roman, tel que l'explique le théoricien russe Michail Bakhtine, est «un genre qui se cherche éternellement, s'analyse et reconsidère toutes ses formes acquises. Ce n'est possible que pour un genre qui se construit dans une zone de contact direct avec le présent en devenir». À côté, la poésie, genre ô combien noble, a de plus en plus de mal à exister et à séduire les éditeurs. D'ailleurs, rares sont ceux qui prennent le risque d'en publier. Et pourtant ! Les plus fortes images, nuances et subtilités de la langue se concentrent dans les textes de poésie. Mais heureusement que certains éditeurs s'entêtent à maintenir ce genre en détresse sur les étals de nos libraires, à travers quelques parutions, chaque année. Parmi les rares recueils de poèmes édités en 2008 figure Effets secondaires, paru aux éditions Hibr, sous la signature d'un Algérien, Nacer Khelouz, installé à l'étranger. Dans un lyrisme plein de nostalgie mélancolique et paradoxalement empreint d'espoir, le recueil que nous propose cet enseignant, qui a mis de côté, le temps de cette parution, la critique littéraire pour se lancer dans la création poétique, s'ouvre sur un poème d'absence dédié à sa mère. «Œil en souffrance En cette nuit Du vendredi Pour écrire ton nom Toi Ma mère Entendre encore Encore une autre fois Juste une seule Le chant de ta voix Courbée par les ans Tes mots qui chevrotaient Tes aphorismes apeurés Tes rires innocents…» Après ce premier poème d'amour, anaphores, images abstraites, retour aux sources de l'enfance et éléments de la nature se succèderont pour parler d'amour et de beauté, prenant plusieurs formes exacerbées par les maux de l'exil. A travers de courts poèmes mais aussi de brefs récits allégoriques aux titres évocateurs : «du bout de la langue, voici du temps, moi, Cunégonde vierge cent fois violée, situations, de semblables impuissances, de mon étrangeté, ma raison d'être…» Le recueil comprend également une pièce théâtrale sur les mariages forcés, ça… ou le crime légal, écrite en collaboration avec Nissa Antar. L'autre particularité intéressante que propose ce texte où se rencontrent plusieurs genres, récits, poèmes, théâtre et même essai, est le fait d'y retrouver les trois langues en pratique en Algérie : le tamazight, le français et l'arabe. Ce qui pousse l'universitaire Philip Watts, auteur de la préface du recueil, de dire de la poésie de Nacer Khelouz qu'elle est «une bohème et un opéra fabuleux, une œuvre en déplacement». Car c'est un recueil où se concentrent «une multitude de voix, de genres, de langues et d'intensités». Et d'expliquer : «Une grande partie de la richesse de ces poèmes vient de leur mélange et leurs déplacements linguistiques et géographiques.» Une poésie à découvrir… F. B. Qui est Nacer Khelouz ? Après une année à étudier les sciences politiques à l'université d'Alger, il entame des études de lettres modernes en France (Paris VIII) qu'il poursuivra aux Etats-Unis (Pittsburgh) jusqu'à l'obtention d'un doctorat en littérature française et francophone. Une expérience dans l'enseignement secondaire en France (en zone d'éducation prioritaire) l'a amené à réfléchir sur la problématique de l'école et de l'insertion sociale en milieux défavorisés. Il est actuellement professeur à l'université du Missouri-Kansas City. Membre fondateur, en 2002, d'une revue de recherche universitaire, l'Ancrage, et membre actif de la revue RAL, M (Revue d'art, de littérature et de musique), Nacer Khelouz reste attaché à son pays natal auquel il rend d'ailleurs hommage dans un roman à paraître. F. B.