L'Afrique est devenue ces dernières années le centre de toutes les attentions. Européens, américains et asiatiques s'y intéressent. Comment ne le feraient-ils pas quand le continent présente des opportunités qu'on ne trouve nulle part au monde. Selon les estimations de différents analystes, l'Afrique détient 30% des réserves de ressources minérales du monde, des ressources humaines importantes, une main-d'œuvre à bas coût et ses économies enregistrent une croissance plus rapide que toute autre région du monde, à l'exception de l'Asie de l'Est (la croissance en Afrique subsaharienne s'est maintenue à plus de 5% par an pendant les dix dernières années). Autant d'atouts qui ne peuvent que susciter l'intérêt des investisseurs, et leurs soutiens et promoteurs, les politiques. Revers de la médaille, pour l'Afrique, le continent est toujours miné par des fléaux qui hypothèquent tout essor. Guerre, instabilité politique, corruption, déficience des politiques de l'éducation et de la santé, tribalisme, faillite des systèmes de gouvernance et, dernier fléau, le terrorisme et ses avatars que sont le trafic d'armes et de drogue, maintiennent les pays africains sous la dépendance d'aides et soutiens, voire tutelle, des grandes puissances pour qui cette situation est du pain béni. Si le terrorisme représente un danger pour tous, l'instabilité et le sous-développement, même s'ils constituent un terreau pour les mouvements extrémistes et/ou sécessionnistes, permettent aussi aux multinationales d'exploiter et piller les richesses sans devoir rendre compte à quiconque. Les diamants de sang, les pollutions de cours d'eau et de nappes, les rejets de déchets nucléaires en pleine nature, les exploitations des richesses minières pour une bouchée de pain, les déforestations… sont autant de crimes économiques, environnementaux et crimes tout court qui montrent l'action néfaste des entreprises étrangères, avec la complicité de leurs pays.
L'intérêt économique, premier objectif Aujourd'hui, un début de prise de conscience en Afrique et la mobilisation de nombreuses institutions et ONG ainsi que la conjoncture économique et sécuritaire mondiale ont amené les puissances occidentales à revoir leur copie et à reconsidérer leur position vis-à-vis du continent africain. Désormais, on ne parle plus d'exploitation mais de partenariat. En fait, les «partenaires» de l'Afrique ont fini par comprendre qu'ils étaient en train de scier la branche sur laquelle ils étaient assis et qu'à trop tirer sur la corde, elle finirait par casser. Dès lors, ils réviseront leurs stratégies et consentent, sous la pression, de «moraliser» leurs investissements en contribuant au développement du continent, qui sera aussi le leur. Et même si l'intérêt économique demeure le premier critère dans toute entreprise en direction de l'Afrique, les partenaires parlent aussi de développement durable, sécurité, santé, éducation, et proposent leurs accompagnements pour les améliorer. C'est dans cette perspective que s'inscrit le Forum international «Afrique» (Fica) dont la 14e édition se tiendra du 6 au 13 juin à Paris avec pour thème : «Les conditions d'une stabilité durable en Afrique». L'Union africaine (UA), 6 organisations régionales et 44 Etats africains seront présents à cette rencontre qui est organisée par l'Institut français des hautes études de défense nationale (Ihedn) en collaboration avec les ministères français des Affaires étrangères et de la Défense. Le Fica verra la participation de représentants d'institutions françaises et européennes civiles et militaires, mais aussi du monde de la recherche et du secteur économique. Le forum brasse large pour débattre des problèmes de défense et de sécurité dans le continent africain, mais sans laisser la sphère économique de côté. Ce ne sont pas les Africains qui se rencontrent chez eux pour discuter du sort de leurs pays et de leur continent, mais ce sont les partenaires qui le font pour eux. Pourquoi ? L'UA a pourtant les moyens d'organiser une rencontre, à laquelle seront conviés les partenaires européens, américains et asiatiques, pour débattre des «Conditions d'une stabilité durable en Afrique», ouvrir des voies de réflexions et recueillir des propositions. Les structures comme les ressources humaines existent. Mais ce qui pose problème c'est la capitalisation de ces ressources. Les pays africains ne sont pas encore arrivés à regarder tous dans le même sens et à travailler de concert pour concrétiser l'intégration régionale qui leur permettrait, non seulement de faire face, ensembles, à tous les défis, écueils et fléaux, mais aussi de se développer et de s'imposer, en bloc, sur la scène économique et politique mondiale.
L'intégration régionale, une solution ignorée La quasi-inexistence de cette intégration régionale a d'ailleurs été soulignée par des experts africains participant à un forum organisé sous le thème «Promotion des investissements intra-régionaux en Afrique», lors des Assemblées annuelles de la Banque africaine de développement (BAD), le 29 mai dernier à Marrakech (Maroc), rapporte l'agence PR newswire Africa. Le panel d'experts relèvera que le commerce entre les pays africains est très faible, en comparaison avec les pays asiatiques et européens, et cette faiblesse des échanges commerciaux intra-régionaux est en partie due à la faiblesse de l'intégration régionale qui est la pierre angulaire de la compétitivité du continent. Par conséquent, l'Afrique doit développer les investissements interafricains, selon les panélistes qui ont planché sur la question. Or le commerce interafricain n'est que de 15% sur tout le continent. Ce qui constitue un taux très faible comparé aux autres pays du monde. Les raisons de cette faiblesse des échanges commerciaux sont multiples, selon le Dr. Abbi Mamo Kedir, consultant en économie au sein de l'organisation School of management university of Lelcester. «Les pays africains sont confrontés au manque de capitaux, d'infrastructures et à la mauvaise gouvernance. Sans compter les taxes douanières qui coûtent très chers», a-t-il affirmé. Ces problèmes de logistiques empêchent le commerce interafricain de se développer. Pourtant des politiques de soutien existent dans le continent pour promouvoir les investissements intrarégionaux. Mais elles ne sont pas concrétisées, ont souligné les intervenants. Alors, quelles solutions ? Selon les panélistes, il faut avant tout réformer les politiques d'investissement pour promouvoir les échanges. Face à ce constat, il est primordial que l'Afrique s'unisse si elle veut améliorer sa compétitivité sur le marché mondial, estime pour sa part le ministre ougandais de la Justice, Kahinda Otafiire. «Jusqu'à présent, l'Afrique a toujours exporté des matières premières. Il faut qu'elle diversifie son marché et qu'elle construise par exemple ses propres voitures», a-t-il défendu. Prenant l'exemple de l'Afrique du Sud, il dira que ce pays a connu un essor économique très important ces dernières années qui lui permettait d'atteindre un meilleur niveau de développement. Mais, il ne s'est pas suffisamment imposé sur le marché africain alors qu'il a le potentiel pour le faire. «C'est la preuve qu'on ne pourra pas parler de croissance en Afrique tant qu'on n'aura pas développé l'intégration régionale», a assuré le ministre. Autre écueil que les pays africains doivent dépasser : la circulation des personnes qui a fait l'objet d'une autre rencontre à Marrakech. Un panel de haut niveau, constitué conjointement par le Forum économique mondial et la BAD s'est penché sur les avantages qu'offrirait un assouplissement des restrictions en matière de visas sur le continent. «L'Afrique est l'une des régions du monde qui exige le plus de visas. Les restrictions en la matière entraînent la perte d'opportunités économiques, tant au niveau du commerce intrarégional que dans le secteur des services tels que le tourisme, les services médicaux ou l'éducation sur le plan national», a d'emblée souligné le Professeur Mthuli Ncube, économiste en chef et vice-président de la BAD. «Les mouvements des talents et des populations sont au cœur de l'intégration régionale, et au cœur de la Stratégie décennale de la BAD», ajoutera-t-il.
Les Africains, étrangers chez eux Dans le même ordre d'idées, Ibrahim Bocar Ba, commissaire de la Cedeao en charge de la Politique macroéconomique, renchérira en indiquant que les Africains émigraient principalement vers les pays d'Afrique. Néanmoins, les Africains ont besoin de visas pour se rendre dans 80% des pays africains, et ces restrictions sont encore plus poussées pour les Africains voyageant en Afrique, que pour les Européens ou les Nord-américains qui se rendent sur le continent. Abdul Awl, membre du conseil d'administration du Groupe Dabashill, confirme en affirmant que «les visas constituent un frein et un obstacle majeur à l'activité commerciale». Pour soutenir le propos, Leonard Rugwabiza, directeur général de la Planification nationale au ministère des Finances et de la Planification économique du Rwanda, convoquera les chiffres et indiquera que depuis que son pays a ouvert ses frontières, «le tourisme en provenance des pays africains a augmenté de 24%». En outre, «les activités commerciales sont désormais orientées vers nos pays voisins, tandis que par le passé, elles l'étaient davantage vers l'Europe et l'Amérique du Nord», ajoutera-t-il. Les échanges commerciaux avec les pays voisins ont en effet augmenté de 50% l'année dernière, atteignant même 73% avec la République Démocratique du Congo voisine. Mais le Rwanda fait figure de cas isolé. Combien de pays africains accordent à l'intégration régionale et aux échanges interrégionaux l'importance qu'ils ont ? Combien de pays misent sur l'exploitation optimale de leur potentiel et de leurs ressources pour se développer et assurer à leur population une meilleure vie ? Quels sont les décideurs africains qui ont misé sur l'investissement dans les ressources humaines pour assurer la croissance économique au lieu d'investir pour garantir une croissance économique en ignorant le développement humain ? Très rares. Cette marginalisation des compétences africaines a d'ailleurs poussé ces dernières vers l'exil. «La captation de l'Occident et les difficultés de s'épanouir dans son propre pays à cause de certains carcans sont les deux facteurs qui agissent négativement sur les intellectuels de l'Afrique», a indiqué à ce propos Bernard Founou-Tchigoua, directeur de recherche au Forum de l'Afrique (Cameroun) au colloque international intitulé : «L'Afrique aujourd'hui et Fanon» qui s'est tenu à Alger. «Le système politique doit aller de pair avec la stabilité économique et l'équité sociale, sinon personne ne croira aux discours théoriques», argue-t-il. Or, «le pouvoir politique en Afrique ne repose pas sur l'élite, contrairement en Occident où 90% des intellectuels ont des liens organiques avec les forces qui dirigent», déplore le chercheur. Et «si l'aspiration à émigrer devient massive au niveau de la jeunesse et si l'élite veut émigrer parce qu'elle n'a pas la culture de vouloir rester au pays, alors les peuples seront sans berger», conclut M. Founou-Tchigoua. Hartmut Enselhans, professeur émérite à l'Université de Leipzeig (Allemagne) et chercheur associé au Cread, ira dans le même sens et affirmera que «les tensions sociales sont intimement liées à la mauvaise politique économique», du coup, «les appels moraux sont insuffisants» vis-à-vis des populations à la recherche d'amélioration de leurs conditions socioéconomiques. Pour conclure, on citera Daho Djerbal, professeur au département Histoire de l'Université d'Alger et directeur de la revue Naqd, qui a résumé la problématique de l'Afrique et de ses rapports avec ses «partenaires» en une phrase : «L'idéologie de la terreur et du terrorisme est utilisée par les puissances étrangères contre les Etats ou les nations qui résistent aux stratégies de domination.»