Quatre pays : la Syrie, la Jordanie, Israël et la Palestine se disputent des ressources en eau parmi les plus faibles au monde. Le Jourdain et sa source, sur le plateau du Golan, vidé de ses eaux par Israël et la Jordanie, se réduit aujourd'hui à un mince filet d'eau. Le Yarmouk, son affluent, retenu dans les innombrables barrages syriens, n'irrigue plus la Jordanie. Dans ce contexte, l'eau attise toutes les convoitises. Le contrôle de ces ressources est un enjeu majeur. Au Proche-Orient, l'eau a été au centre de toutes les guerres, elle a été gagnée par la force des armes. L'Etat sioniste y jouait sa survie. On consomme 350 litres d'eau par jour et par habitant à Tel Aviv ou à al-Qods occupée. En face, dans les territoires occupés, on ne dispose pas même de 20 litres. Le Proche-Orient concentrera de ce fait, toutes les tensions. Au Moyen-Orient, on peut même affirmer sans risque de se tromper que tous les conflits qui opposent les cinq pays depuis le début du XXe siècle, ont pour cause principale ou seconde, avec le pétrole, l'accès durable à cette source de vie. L'eau au Proche-Orient provient de trois sources qui coulent dans trois rivières qui se réunissent dans le Jourdain. Le premier affluent du Jourdain, le Hasbani, prend naissance au Liban. Son débit annuel est de 140 millions de mètres cubes. Le second, le Banias, prend sa source en Syrie, avec un débit annuel de 140 millions de mètres cubes. Le troisième, le Dan, se forme sur le territoire israélien à partir de diverses sources, dont un certain nombre se situent sur le plateau occupé du Golan. Son débit est de l'ordre de 250 millions de mètres cubes. Ces trois rivières se rejoignent à 6 kilomètres en amont de l'ancien lac Houleh pour former les deux bras du Haut Jourdain. Le débit annuel moyen atteint alors 640 millions de mètres cubes. 15 kilomètres plus bas, le Jourdain atteint le lac Tibériade. Lorsqu'il sort du lac, son débit tombe à 500 millions de mètres cubes, principalement à cause de l'évaporation. 10 kilomètres en aval, il est rejoint par son principal affluent, le Yarmouk, qui lui apporte un débit supplémentaire de 538 millions de mètres cubes. Pour en arriver là, celui-ci, dont la source se situe en Syrie (Djebel Druze), aura traversé la Jordanie. Dès lors, le Jourdain suit pendant encore 50 kilomètres la «frontière» entre la Jordanie et la Cisjordanie puis se jette dans la mer Morte. Au bout de ce parcours, le débit annuel moyen du Jourdain est de l'ordre de 1 880 millions de mètres cubes. Ce volume apparaît bien dérisoire comparé à ceux de l'Euphrate (32 milliards de mètres cubes) et du Nil (74 milliards de mètres cubes). D'autant que ces ressources doivent être partagées entre tous les pays riverains, constitués à partir de découpages territoriaux fluctuants au gré des évolutions politiques locales et internationales, depuis le démantèlement de l'Empire ottoman à la fin de la 1re Guerre Mondiale, la création de l'Etat sioniste en 1948 et les conflits récurrents dans la région. Quelle est la politique de ces pays en matière de gestion des ressources d'eau ? Comment ces pays, certains encore en guerre, gèrent-ils cette situation ?
Main basse israélienne sur les sources de l'eau Déjà en 1941, le sioniste Ben Gourion déclarait : «Nous devons nous rappeler que, pour parvenir à enraciner l'Etat juif, il faudra que les eaux du Jourdain et du Litani soient comprises à l'intérieur de nos frontières.» A la création de l'Etat sioniste, tout a été manigancé dans cet objectif. Dès 1953, Israël commence à dériver les eaux du Lac de Tibériade pour irriguer la côte et le Néguev, sans consulter la Syrie ni la Jordanie, et prélève une partie des eaux du Jourdain. En 1964 le «National Water Carrier» (transport de l'eau par canalisations) est opérationnel. La Syrie et la Jordanie entreprennent alors la construction de barrages sur le Yarmouk et le détournement du Baniyas pour retenir l'eau en amont du Lac de Tibériade et ainsi empêcher Israël de l'y siphonner. Israël les accuse alors de l'agresser et bombarde les travaux jusqu'au déclenchement de la guerre des Six Jours. Le Liban suspecte aussi Israël de pomper son eau souterraine depuis le Bassin de Hasbani River. La guerre de 1967 permet à Israël d'accaparer les ressources de Ghaza, de la Cisjordanie et du Golan. L'annexion du Golan, surnommé le «château d'eau», permet le contrôle du bassin d'alimentation amont du Jourdain, et se traduit par l'expulsion de la majorité de la population (100 000 personnes), ce qui, du même coup, permet à Israël de récupérer l'eau qui n'est plus localement consommée. La Syrie, bien entendu, exige le retrait sur les limites fixées par la décision de cessez-le-feu des Nations unies du 4 juin 1967. Ce qu'Israël refuse. Pour les Syriens la question est présentée comme une affaire de souveraineté sur un territoire lui appartenant, avant d'être un problème d'eau. Il est vrai qu'elle ne tire que 2% des eaux du Jourdain et qu'elle dispose d'autres ressources à partir de l'Euphrate, dont la source se trouve en Turquie. Toutefois, cette dépendance de la Turquie n'est pas sans risque malgré l'accord signé entre les deux pays en 1987 garantissant un débit minimum du fleuve à la frontière syrienne. La Syrie exige donc le retrait d'Israël avant toute discussion sur l'eau. Au contraire, pour Israël, aucun accord de retrait ne peut se concevoir sans une garantie d'approvisionnement en eau à partir du Golan. En 1994, Israël et la Jordanie signent un traité de paix avec un volet sur l'eau défavorable aux Jordaniens. Avec la Syrie qui propose de tout négocier, notamment l'eau, contre un retrait total de l'occupant du Golan, les discussions reprises en 1999 ont été brusquement interrompues par Ehoud Barak. Quant aux accords d'Oslo de 1993, s'ils reconnaissent (formellement) «les droits de l'eau des Palestiniens», ils renvoient leur négociation aux discussions finales sur le statut des Territoires palestiniens...! Même des responsables israéliens dits modérés ont refusé de s'engager sur l'eau dans le protocole de Genève.
Israël veut assoiffer les Palestiniens La Cisjordanie recèle en son sous-sol d'importantes nappes phréatiques, immédiatement mises à profit. Aujourd'hui, selon la Banque Mondiale, 90% de l'eau captée dans ces nappes passe de l'autre côté du mur de séparation pour irriguer les cultures israéliennes, les Palestiniens n'ayant droit qu'aux 10% restants. A l'Est enfin, l'occupation de la Cisjordanie permet à Israël de contrôler les eaux du Jourdain aux dépens de la Jordanie, accentuant les tensions entre les deux pays. En 1995, le traité de paix a instauré une collaboration entre ces deux Etats sur le problème de l'eau. Un espoir pour cette région où la paix ne semble pas pouvoir se dessiner sans un partage plus équitable des ressources. Depuis la deuxième Intifada, la situation s'est encore dégradée, puisque l'armée israélienne et les colons attaquent de manière presque systématique les puits, empêchent les Palestiniens d'accéder à l'eau et à terme essaient de les pousser à quitter leur terres. L'eau des aquifères de Cisjordanie est revendiquée par les Palestiniens, qui soulignent qu'Israël exploite par ses puits profonds et 80-90% des nappes qui devraient leur revenir, car elles sont situées sous les collines de Cisjordanie. Ils estiment de plus que l'Etat israélien a violé la Convention de Genève (stipulant le statu quo des sols de territoires occupés) en creusant des puits pour ses propres implantations, tandis qu'il gelait l'exploitation palestinienne de l'eau. Par ailleurs ces puits auraient asséché ceux moins profonds de villages traditionnels. Pour Ghaza, le problème provient des puits creusés dans la nappe phréatique. Selon l'Autorité palestinienne, les Israéliens ont pompé dans les nappes aux abords immédiats de la bande de Ghaza, causant ainsi la forte salinisation actuelle des puits. Le tracé du Mur suit une logique délibérée : maximum de terres, minimum de population, en vue de l'annexion et de l'expansion future des colonies. Le tracé de ce dernier suit soigneusement les principales colonies, mais est aussi calé sur la mainmise sur les meilleures terres et sur la récupération optimale des accès à l'eau. Séparer les puits des terres conduit d'abord à assécher ces dernières, à la perte des investissements et des récoltes, puis à l'abandon et donc à la récupération par Israël au titre de la «loi» sur les «terrains non cultivés». Par exemple, dans les régions de Qalqiliya et Tulkarem, en juin 2003, plus de 50 % des terres irriguées sont isolées et plus de 5 % détruites, 50 puits sur 140 et 200 citernes se retrouvent isolés ou en zone tampon, 30 km de réseau d'irrigation et 25 puits et citernes ont été détruits, affectant 51 communes, soit plus de 200 000 personnes, dont 40% sont maintenant sans ressources. Un rapport de l'ONU indique qu'entre la signature des accords d'Oslo en 1993 et 1999, 780 puits fournissant de l'eau à usage domestique et pour l'irrigation ont été détruits. Quant aux secteurs, où, malgré tout, subsistent quelques productions, comme les serres à Qalqiliya, la fermeture des voies de communication rend impossible toute commercialisation. Israël refuse à ce jour toute négociation sur ce sujet, tant avec l'Autorité Palestinienne qu'avec ses voisins, comme le prouve sa politique au sud-Liban et au Golan. La politique internationale de l'eau, qui avait été initiée dans les années 50 avec le Plan Johnston, a été mise sous le boisseau par Israël. Ce statu quo ne peut déboucher que sur une catastrophe annoncée. Selon les experts la prochaine guerre dans la région sera certainement celle de l'eau. G. H.