L'eau source de vie, au cœur de toutes les convoitises, est à l'origine de nombreux conflits et la cause inavouée de certaines guerres. D'ailleurs pour tenter d'éviter la guerre de l'eau, de longues discussions entre les Etats ont été menées pour aboutir à la création d'un forum mondial de cette source naturelle. Le lancement officiel de la 7e édition du forum et dernier en date s'est tenu en mai dernier en République de Corée. Il s'agit du plus grand événement au monde sur l'eau et il marque le début d'un processus préparatoire de 2 ans qui mènera jusqu'à la semaine du Forum en avril 2015. Près de 500 représentants de la communauté internationale de l'eau participeront à cet événement. Le but du forum qui a déjà réussi à faire reconnaître le droit à l'eau pour tous, tentera de traduire ce droit dans les législations nationales des pays qui ont ratifié la convention et enfin généraliser l'accès à l'eau d'ici 2015, date limite pour les Objectifs du Millénaire pour le Développement. Malgré ces tentatives de codifier l'accès à l'eau, les appétits insatiables des Etats continuent de faire des remous. Certains pays s'approprient une ressource en faisant fi de leur voisin en aval, d'autres pompent en amont les nappes souterraines. C'est notamment le cas en Afrique du Nord, une région où la disponibilité de l'eau est parmi les plus faibles au monde. Avec une ressource en eau douce de 45,6 milliards de m3 soit 586 m3/an/habitant, le Maghreb n'apparaît pas comme particulièrement bien doté. Il se situe très en dessous de la norme de 1 000 m3/an/hab qui détermine, le seuil de pénurie. Avec l'accroissement attendu de la population (94 millions d'habitants en 2025), la norme tombera à 485 m3/an/hab. Ce potentiel n'est en réalité que très partiellement utilisable. Les volumes régularisables sur lesquels peuvent compter véritablement les pays du Maghreb tombent à 28 milliards de m3 seulement, soit 62% des possibilités. Dans cette région, l'eau est donc un bien précieux impliquant nécessairement des conflits frontaliers pour son contrôle, du plus grand fleuve au moindre cours d'eau en cas de crise due à une pénurie. Cela aurait dû être le cas avec le projet lancé par la Libye, mais les Etats voisins ont choisi la sagesse à la guerre. Il s'agit du pompage de l'eau du désert, qui est considérée comme une réserve hydrique pour les futures générations. L'ex-président libyen, le défunt Kadhafi, avait lancé, rappelons-le, son gigantesque projet de la Grande rivière artificielle (GRA). Le gouvernement libyen a entrepris l'extraction d'eaux souterraines. Ainsi, la GRA fournirait 500 000 m3 d'eau par jour aux villes côtières du pays grâce à un réseau de canalisations en béton d'un diamètre de quatre mètres pesant chacune 73 tonnes, sur une distance de 3 500 km. Coût initial estimé du projet : 25 à 30 milliards de dollars. Entre le dessalement de l'eau de mer qui coûte très cher et dépendant de la technologie étrangère, et le pompage de l'eau des nappes, il n'a pas fallu longtemps à l'ancien dirigeant de la Jamahiriya pour choisir : les Libyens vont pomper l'eau située entre 500 et 800 mètres de profondeur comme ils pompent le pétrole. Le projet de la Grande Rivière Artificielle a été décliné en plusieurs phases sur une période 25 ans (1985 à 2010); les deux premières phases du programme ont été confiées au Sud-coréen Dong Ah. Le 28 août 1991, l'eau arrivait à Benghazi. En 1997, les canalisations relièrent Tripoli. La troisième phase, à laquelle participèrent des entreprises comme la canadienne SNC-Lavalin, allait permettre le raccordement entre la cyrénaïque et la tripolitaine. Le fleuve artificiel libyen a fourni, selon une étude publiée par la direction du projet du Grand fleuve, depuis sa création en 1991, 4 milliards de m3 d'eau. Ce projet a connu de fortes oppositions. Des voix se sont élevées dans les pays voisins sans toutefois arrêter le «carnage» opéré par Kadhafi sur l'environnement en raison de l'absence d'une règlementation rendant cette surexploitation des aquifères illégale au niveau international. Kadhafi a lancé un projet grâce auquel la Libye a pompé les eaux souterraines du désert maghrébin que se partagent trois pays. Il s'agit du Système aquifère du sahara septentrional (Sass). Son étendue de plus de 1 million de km2 est inégalement répartie : 700 000 se trouvent en Algérie, 250 000 en Libye et près de 80 000 en Tunisie. Ce bassin englobe des couches aquifères regroupées en deux réservoirs, le Complexe terminal et le Continental intercalaire. Selon de récentes études, la nappe du complexe terminal est plus exploitée dans les trois pays. La sonnette d'alarme a été tirée pour rationaliser cette exploitation. Selon des experts, d'ici 2020, 75 à 250 millions de personnes pourraient être exposées à un stress hydrique du fait du changement climatique en Afrique. C'est ce qui fait que le projet libyen de la Grande rivière artificielle est mal vu par les pays voisins. Mais pas seulement. L'Egypte voisine percevait avec beaucoup d'inquiétude le projet libyen, du fait des conséquences sur le Nil, qui risque de perdre de son débit à cause du pompage excessif des eaux souterraines. Mais en l'absence de réglementation, le projet de Kadhafi a été mené à terme. La Tunisie et le Maroc, de leur côté, ont misé sur la construction des barrages. Au Maroc, 85 barrages qui ont une capacité de stockage totale de l'ordre de 13 milliards de m3, ont été construits. La Tunisie a opté aussi pour la politique des grands barrages réservoirs. Les premières décisions ponctuelles ont été prises dans les années 60. Aux 4 barrages hérités de la colonisation, la Tunisie indépendante en a ajouté 18 entre 1957 et 1995. Le total des capacités de stockage est de 2 100 millions de m3 dont 1 424 régularisables soit 83% des eaux de surfaces régularisables dans le pays. L'Algérie apparaît en très net décalage par rapport à ses deux voisins en matière de barrages. Mais comme réaction au projet libyen, l'Algérie a décidé de lancer l'immense projet de transfert d'eau d'In Salah vers Tamanrasset. Le projet mise sur un transfert de 50 000 m3/jour et jusqu'à 100 000 m3/jour d'ici à 2025. Tripoli ne semble pas apprécier cette opération. H. Y.
L'inexorable montée de la demande et du déficit à partir de 2010/2015 Au cours de la décennie 1990, les trois pays (Algérie, Tunisie, Maroc) ont tenté des prévisions sinon de consommation d'eau, du moins de demande d'eau à l'horizon proche des années 2010/2015. Les données de base à l'établissement de ces prévisions sont partout les mêmes : on se place dans l'hypothèse d'une poursuite de la politique d'irrigation avec donc une augmentation des superficies irriguées et surtout on tient compte de l'évolution probable et même certaine de la population urbaine. Partout différentes hypothèses sont avancées avec un maintien du niveau de consommation urbaine proche de la situation présente (150 litres/jour/habitant). C'est l'hypothèse basse alors qu'avec l'hypothèse haute on se fonde sur une dotation journalière de 250 litres. Pour ne pas trop alourdir la présentation nous nous bornerons à évoquer les hypothèses basses. En Algérie tellienne (Sahara exclu), l'objectif de 500 000 hectares irrigués pour 2010 nécessitera un volume d'eau agricole de quelque 3,2 milliards de m3. Les besoins urbains et industriels sont évalués pour cette période à 2,2 milliards de m3, donc au total 5,4 milliards de m3 soit une augmentation de 60% de la consommation par rapport au début de la décennie 1990 (3,4 milliards de m3). Satisfaire ces besoins ne paraît pas insurmontable car le volume algérien régularisable est de 8,5 milliards de m3 mais atteindre cet objectif suppose une politique soutenue de mobilisation des eaux et aucun relâchement dans l'effort entrepris depuis les premières années de la décennie 1980. Au Maroc la poursuite du programme d'irrigation, notamment en grande hydraulique et les besoins urbains exigeront la mobilisation de la quasi-totalité des ressources actuellement régularisantes : entre 16 et 17 milliards de m3. La marge de manœuvre marocaine en dépit de l'abondance de la ressource est bien plus restreinte qu'en Algérie. C'est en Tunisie que la situation sera la plus tendue, le niveau de la demande excédera sans doute le volume actuellement mobilisable de 3,4 milliards de m3. Certains auteurs ont même tenté des prévisions pour 2040 d'après lesquelles, la seule satisfaction des besoins urbains absorberait la totalité des ressources du pays.