De notre correspondant à Paris Merzak Meneceur L'avocat Jacques Vergès a tiré sa révérence mercredi soir à l'âge de 88 ans. Il a rendu son dernier souffle à l'approche d'un dîner chez des amis. Pas n'importe où. «Jacques Vergès est mort dans la chambre de Voltaire, Quai Voltaire», a confirmé son éditeur, Pierre-Guillaume de Roux, pour qui c'est «un lieu idéal pour l'ultime coup de théâtre que devait être la mort de cet acteur né, ce dont témoignaient ses plaidoiries spectaculaires mais aussi son one-man show dans Sérial Plaideur», pièce donnée dans deux théâtres parisiens. Vergès était malade depuis un certain temps, souffrant d'une bronchite. Mais c'est le cœur qui a cédé en cette soirée du15 août. Selon l'ancien bâtonnier de Paris, Christian Charrière-Bournazel, Mansour, le nom de guerre que lui a donné le FLN, «était très amaigri, il marchait lentement, il avait des difficultés à parler mais était intact intellectuellement». Les pompiers ont constaté son décès à 21h30, là où s'est éteint le philosophe Voltaire, le 30 mai 1778. La disparition de l'avocat qui n'était pas comme les autres a été rapidement médiatisée dans la nuit par les radios et les télévisions, et a fait l'objet des grands titres de plusieurs journaux du lendemain. Ce qui est frappant est l'hommage quasi unanime de ses confrères voyant en lui un «immense avocat, courageux, indépendant», comme l'a souligné Christian Charrière-Bournazel, actuellement président du Conseil national des barreaux de France. Pour Me Eric-Dupont Moretti, un des ténors du barreau de Paris, Jacques Vergès avait «risqué sa peau quant il s'agissait de défendre le peuple algérien» et que «l'histoire lui a donné raison». «En ce qui concerne la défense des peuples opprimés, nous, nous sommes des avocats de salon», a-t-il ajouté. Pour Me Georges Kiejman, «Il n'y a pas beaucoup de géants au barreau, mais lui incontestablement en était un, avec une période glorieuse quand il défendait le FLN algérien et une, moins glorieuse, quand il a commencé à défendre des mouvances terroristes comme la bande à Baader». Comme pour répondre à Kiejman, Me Paul Lombart, un autre ténor du barreau de Paris, a estimé que pour Vergès «personne n'est indéfendable», et «tout le monde a droit à un avocat quel que le passif qui pèse sur lui». Francis Vuillemin, ancien défenseur de Maurice Papon voit en Jacques Vergès «l'unique monstre sacré du barreau de Paris». «Monstre pour ceux que sa liberté totale, son indépendance intégrale et son audace radicale, ramenaient à leur médiocrité. Sacré pour ceux qui savent ce qu'est un avocat.» Mais, inévitablement, Vergès a quelques détracteurs, ceux qui lui reprochent d'avoir défendu le nazi Barbie en 1987. Par exemple Alain Jakubowicz, qui représentait le Consistoire israélite de France lors de ce procès, tombe dans l'excès en affirmant que Vergès «n'a jamais été un modèle d'avocat». Toute autre est la réaction de Me Alain Lévy, avocat de la Fédération nationale des déportés et internés, qui tout en s'étonnant «des louanges entendues» souligne que Vergès «s'est servi des procès comme une tribune politique pour défendre ses idées» et qu'«il s'est servi du procès Barbie pour faire le procès de la colonisation». Au moment d'écrire ces lignes, la disparition de l'avocat inventeur de la défense de rupture, pourfendeur absolu du colonialisme et soutien sans réserve à la cause du peuple palestinien n'a suscité aucune réaction de la classe politique française, qui profite certainement des plaisirs des vacances en ce long week-end de l'assomption. Synonyme de quatre jours les plus calmes de l'année. M. M.