En créant une filière et des labels pour stimuler et certifier les produits et services destinés aux seniors, le gouvernement veut doper l'activité liée au vieillissement de la population. Mais sans désigner les vieux... Pour qu'un client consomme plus, il faut plus le solliciter, qu'il soit jeune ou vieux. Aussi, lorsqu'on regarde du côté des seniors, certains voient des bas de laine qu'il serait criminel d'ignorer en période de crise. Et si, après avoir été considérée comme un coût pour la collectivité, la vieillesse se transformait en relais de croissance ? Avec son collègue du Redressement productif Arnaud Montebourg, la ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l'autonomie, Michèle Delaunay, qui estimait lors d'une récente rencontre avec la presse que le pouvoir d'achat des seniors «peut être à l'origine de 0,25 point de croissance par an», multiplie donc les initiatives. Sa cible : les personnes de plus de 60 ans qui, selon l'Insee, représentent aujourd'hui 23,4% de la population -près d'un Français sur quatre, presqu'autant que les moins de 20 ans-, et encore plus particulièrement, les personnes de 75 ans et plus, soit 9% des Français. Mais qu'on ne parle pas de vieux, à peine de seniors, pour ne pas laisser entendre qu'ils composeraient une catégorie à part de consommateurs alors que personne ne souhaite être assimilé à cette cible. Restons dans l'abstraction, la désincarnation, à travers une métaphore empruntée à la langue anglaise pour éviter toute connotation désagréable. Le gouvernement s'en tiendra donc au vocable de «silver économie», sans qu'on sache très bien quelle orthographe -française ou anglaise- doit s'appliquer. Mais ce sont bien les personnes fragiles, âgées et en perte d'autonomie, dont il est question.
Des «gérontechnologies» au «géronmarketing»? Le plan d'action est bien bordé. L'accent est mis sur les services médico-sociaux et les «gérontechnologies», terme barbare qui désigne l'approche spécifique des industries de la robotique et de la domotique vis-à-vis des publics des troisième et quatrième âges. Un comité stratégique (incluant des institutions comme la Caisse des dépôts, la Banque publique d'investissement ou la Poste) a été mis en place en juillet. Il doit aboutir cet automne à la finalisation d'un contrat de filière, en fait une charte pour la silver économie, qui impliquera aussi bien l'Etat que les entreprises qui s'adressent aux seniors. Celles-ci devront, selon les engagements de cette charte, identifier collectivement les meilleures solutions, assurer la formation et l'information des bénéficiaires et respecter une démarche éthique qui préserve les personnes fragiles. Bien peu de contraintes au regard de l'opportunité qui s'ouvre. Car, en dehors des services publics, le marché de la vieillesse peut se révéler un nouveau filon pour de nombreuses sociétés. Bâtiment, robotique, industrie du sport, technologies médicales, agro-alimentaire, télécoms, services à domicile… et même automobile pour les projets de véhicule autonome: tout le monde se presse aujourd'hui au chevet des personnes âgées, dans l'espoir que cette démarche leur ouvre des portes à l'exportation dans tous les pays soumis au vieillissement de leur population. Sur la base des engagements de cette charte, le «géronmarketing» semble être en route. Une «silver économie expo» doit être organisée en décembre à Paris. Une autre exposition, virtuelle cette fois et uniquement accessible sur internet, est prévue en mars 2014, car les papy-boomers sont aussi devenus des wifi-boomers, selon une expression qui court dans les ministères. Et pour orienter aussi bien les utilisateurs que les conseils généraux qui délivrent des aides pour des équipements bien identifiés, l'Association française de normalisation (Afnor) s'est engagée dans une mission de réflexion devant aboutir au printemps à un système de «labellisation» appliquée à la silver économie. Déjà, une norme a été créée définissant la qualité des services en téléassistance pour les personnes fragiles, âgées ou handicapées.
Gérontopôles et géolocalisation des seniors Mais le processus de labellisation devrait aller plus loin. Par exemple, il serait question de labelliser des «gérontopôles» regroupant des entreprises dans des clusters (grappes d'activités) relevant de la silver économie. C'est dans cet esprit que Soliage, le cluster des «solutions innovantes pour l'innovation et la gérontechnologie», qui se présente comme une «Silicon Valley du vieillissement», a été lancé dans le sud-est francilien. Une «Silver Valley» pour inventer les technologies de demain, il fallait y penser! Cette démarche s'inscrit dans le cadre plus large de la politique impulsée par François Hollande consistant à transformer les logements pour qu'ils soient mieux adaptés aux besoins des seniors, afin d'éviter des placements en maison de retraite qui reviennent plus chers à la collectivité. Un objectif qui porte sur l'adaptation de 80 000 logements par an. D'où la nécessité d'introduire des éléments de domotique qui, grâce aux télécommunications et à l'électronique, permettent d'automatiser des équipements et facilitent l'autonomie des personnes âgées chez elles. La gestion du chauffage, certaines tâches ménagères comme le nettoyage des parquets et moquettes, la fermeture des volets... peuvent être ainsi gérées électroniquement. Le projet peut aller jusqu'au développement de bracelets électroniques permettant de géolocaliser les personnes qui, hors de chez elles, ne retrouvent pas le chemin du retour. Il implique aussi de former des aides à domicile, diplômes à l'appui, pour assister ces personnes au quotidien. Au total, on estime à 300 000 le nombre d'emplois nouveaux qui pourraient être créés si le maintien à domicile était développé. Des emplois «non délocalisables», insiste-t-on au gouvernement. Mais rarement bien payés, pour des horaires difficiles… Un label ne résout pas tout.
Impliquer départements et régions Malgré la période de vaches maigres et les coupes budgétaires, Michèle Delaunay imagine même qu'un fonds public pourrait être mis en place pour aider les seniors les moins aisés à s'équiper en produits adaptés. Ce fonds serait accessible sous conditions de ressources. «L'idée d'une aide est validée, mais l'arbitrage n'est pas encore arrêté», commente-t-elle. Elle concevrait sans peine que les conseils généraux soient impliqués dans l'affaire pour les aides qu'ils délivrent; pour beaucoup, ils ont d'ailleurs anticipé la démarche. Et elle ne doute pas que les Régions elles-mêmes soient prêtent à prendre le train de la «silver économie». De là à imaginer que certaines se lancent dans l'organisation de prestations spécifiquement destinées aux seniors, et que certains déserts français se spécialisent dans l'accueil de personnes âgées pour créer des emplois là où la désindustrialisation en a détruit, il n'y a qu'un pas. On pense au Limousin, dans la Creuse ou en Corrèze, ou au nord de la région Midi-Pyrénées, dans le Lot ou l'Aveyron. Le concept existe déjà dans d'autres pays, comme au Luxembourg; il pourrait s'introduire en France, où la prise en charge des seniors n'est pas aussi avancée qu'au Danemark, en Suède et aux Pays-Bas. Car la silver économie, bien sûr, n'est pas une exception française: rien qu'en Europe, on dénombre 180 millions de personnes âgées et qui vivent de plus en plus longtemps. Un marché porteur, en somme. G. B. In Slate.fr