L'histoire de l'Algérie colonisée est sans conteste une source inépuisable. La lumière est loin d'être faite sur les vérités de la colonisation mais les historiens, les écrivains et les artistes ne désespèrent pas. Ils ne se lassent pas d'y puiser leurs repères pour la sauvegarde de la mémoire collective mais aussi pour son exploitation dans la création artistique. La dernière tentative en date est celle du cinéaste Ahmed Rachdi qui a tenu, lui aussi, à participer à ce grand projet de reconstruction de l'histoire et de l'identité nationales, à travers la réalisation d'un long métrage historique sur la vie et le combat d'une des figures de la libération de l'Algérie du colonialisme français, Mostefa Benboulaïd. Un long métrage qui a beaucoup fait parler de lui depuis sa conception, il y a près de 6 ans, à travers les tribulations qu'il a eu à vivre, notamment les nombreuses interruptions de tournage dues aux difficultés financières mais aussi aux blessures qu'a reçues l'acteur principal lors de l'exécution de certaines scènes risquées. Blessures qui auraient pu être évitées si seulement l'Algérie comptait parmi ses professionnels des cascadeurs… Très attendue, l'avant-première du film a eu lieu mercredi dernier à la salle El Mouggar en présence du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, de plusieurs membres du gouvernement et d'autres invités : moudjahidine et membres de la famille Benboulaïd notamment. Le moins qu'on puisse dire sur le film, c'est qu'il est captivant et cela en grande partie parce qu'il traite d'une période fascinante et émouvante de notre histoire, celle de la libération du joug français pour la liberté et la dignité des Algériens. Mais il y a aussi la prestance et l'intensité de jeu du rôle principal interprété par Hacen Kechach qui s'est fondu avec passion dans la peau de son personnage. L'acteur au regard hagard et aux gestes mesurés s'est laissé prendre par le vécu de Mostefa Benboulaïd et a su en transmettre les grandes émotions, de son service militaire accompli durant la Seconde Guerre mondiale à sa mort dans un maquis à la suite de l'explosion d'un poste de radio piégé parachuté par l'armée française, en passant par son emprisonnement à Constantine et son vif engagement pour le déclenchement d'une révolte armée contre l'occupant. Durant les trois heures de projection du film, des images saisissantes ont tenu en haleine le public et se sont alternées à d'autres qui l'étaient beaucoup moins et qui ont surtout marqué par des détails fâcheux. Les images saisissantes sont celles qui mettaient en scène le héros Mostefa auprès de ses compatriotes engagés tels que Krim Belkacem, Mohamed Boudiaf, Rabah Bitat, Didouche Mourad, Larbi Ben M'hidi et d'autres grands faiseurs de la révolution algérienne comme Messali El Hadj brillamment interprété par Slimane Ben Aïssa. Les images fâcheuses qui entament quelque peu la crédibilité du film sont celles où le spectateur peut retrouver des objets tels qu'une boîte de chique de la SNTA ou encore des livres des éditions Pocket (éditions qui ont été créées en 1962). L'apparition de ces objets ne correspond pas à la période du déclenchement de la guerre de libération. Ces détails, bien que furtifs et sans grand impact, attestent tout de même d'un manque de perfectionnisme avéré. Le sens du détail a cruellement fait défaut. L'autre point pouvant soulever une polémique concerne les paroles attribuées au personnage de Mohamed Boudiaf lors de la mise en scène de la célèbre «réunion des 22» du 25 juin 1954, tout autant que les réunions du «comité des six» durant lesquelles Boudiaf semblait jouer un rôle secondaire, voire même infime, ce qui n'est pas fidèle à la réalité. Le personnage de Boudiaf a été maladroitement caricaturé et réduit à des scènes d'emportement et de paroles sans grandes conséquences. A travers ce long métrage, Benboulaïd est perçu comme le penseur et grand cerveau de la révolution. Il est idéalisé et glorifié alors que ses compagnons sont souvent relégués aux seconds rôles, représentés plus comme des exécutants ou des révolutionnaires de moindre envergure. Le film nous donne à voir un Mostefa Benboulaïd infaillible, magnifié et irréaliste. A aucun moment, les scènes ne montrent ses faiblesses d'homme, ses moments de doutes et/ou de colère que tout homme engagé dans une pareille lutte devrait vraisemblablement ressentir. Sadek Bekhouch, scénariste du film, a ainsi favorisé une orientation historique quelque peu simpliste qui ne reflète pas la complexité et la richesse de l'histoire de la libération algérienne. C'est donc un long métrage qui soulève des questionnements, qui ravive les consciences et qui devrait marquer le début d'une litanie de films historiques encouragée par le chef de l'Etat. Si ces productions à venir proposaient des visions contrastées de l'histoire, cela devrait participer à l'évolution de la quête inexorable qui mène à la vérité. F. B.