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Enjeux stratégiques et impératifs de sécurité
Afrique subsaharienne
Publié dans La Tribune le 05 - 06 - 2008

La toute récente visite à Alger du ministre de la Défense et des Anciens combattants malien, M. Natié Pléa, a notamment montré que deux pays voisins, l'Algérie et le Mali, se concertent régulièrement au sujet de l'Afrique subsaharienne, ensemble géopolitique instable et crisogène. Elle aura surtout été une nouvelle occasion pour rappeler que l'arc sahélien impacte concrètement la stabilité régionale et affecte inéluctablement la sécurité internationale. Terrorisme, banditisme, trafics illicites, immigration clandestine, rébellions de minorités
ethniques, risque de sécessions territoriales, misère et pauvreté, sous-développement, uranium, gaz et pétrole, sont désormais autant de noms pour des enjeux stratégiques majeurs.
Depuis le 11 septembre 2001, le Sahel, zone tampon entre une Afrique «noire» et une Afrique «blanche», est devenu un espace hautement stratégique dans la démarche globale de lutte contre le terrorisme international.
Cette démarche, impulsée essentiellement par les Etats, est fondée sur le principe de la responsabilisation des Etats et la gestion in situ par les grandes puissances des menaces de tous ordres, le risque terroriste
étant placé au premier rang des priorités.
Il a fallu le choc du 11 septembre et l'intérêt stratégique que les Etats-Unis portent assidûment à cette vaste zone grise pour se convaincre davantage de sa transformation progressive en aire de prédilection pour des groupes terroristes, mafieux et séditieux. Les nombreux facteurs crisogènes propres à ce vaste territoire aux frontières poreuses, difficilement défendables et contrôlables, le prédisposent à devenir une région à hauts risques, propice à la multiplication de groupuscules terroristes, séparatistes et criminels à la recherche de sources de financement illégal et d'enrichissement illicite. Dans cette espace interlope où le désert favorise la dilution des frontières et la dissémination des populations, les intérêts des uns et des autres peuvent à un moment donné faire jonction. Le risque de connexion des mouvements de rébellion touareg avec le terrorisme labellisé Al Qaïda et des groupuscules de narcotrafic, de trafiquants d'armes, de traites d'êtres humains, de réseaux d'immigration clandestine, de contrebandiers de tous genres (cigarettes, voitures volées…) n'est plus un risque mineur. Toute cette nébuleuse est aujourd'hui en quête de nouveaux espaces incontrôlables pour s'installer, déployer sa menace, se redéployer, trouver de nouvelles sources de financement, établir des bases de repli et d'entraînement, des rampes de lancement, etc.
Pendant trois décennies et jusqu'à l'apparition brutale de la menace terroriste islamiste au début des années quatre-vingt-dix du siècle dernier, l'Algérie, pour sa part, a organisé son système de défense nationale sur la base d'une menace militaire classique à sa frontière ouest. Elle fait désormais face à un faisceau de menaces protéiformes. La première, majeure, est constituée par le développement d'un terreau islamiste, transformé ces deux dernières années en sanctuaire pour le terrorisme international portant le label de la nébuleuse Al Qaïda. Depuis septembre, date de l'allégeance du Groupe salafiste pour la prédication et le combat, le tristement célèbre GSPC, le terrorisme algérien, consanguin de naissance, s'est régionalisé en intégrant progressivement des recrues maghrébines et subsahariennes, dont certaines ont connu leur baptême du feu dans les abcès de fixation du nord de l'Algérie, notamment dans les Aurès, la région limitrophe d'El Oued et la Kabylie.
En se transformant ainsi en Al Qaïda au Maghreb islamique et en troquant le sigle local GSPC pour «l'international» AQMI, l'organisation de Abdelmalek Droudkal (Abou Mossaab Abdelwadoud) a transformé de fait le Maghreb et son prolongement subsaharien en démembrement stratégique pour le consortium terroriste d'Oussama Ben Laden, en troisième région d'Al Qaïda après les théâtres irakien et afghan. Avec le recours inédit aux attentats kamikazes, précisément à l'usage de jeunes et vieux amants de l'Apocalypse, ces human bombs qui sèment le chaos dans les grandes villes, AQMI a marqué symboliquement son nouveau caractère «international», transfrontalier et suprareligieux. Elle le fait, depuis, de manière sporadique avec l'utilisation du
suicide sanctificateur et du martyre, si étranger à l'islam sunnite, en général, et au rite malékite dominant au Maghreb, en particulier.
L'Algérie, spécifiquement son armée et ses services de sécurité, sont donc confrontés à l'existence d'un couloir sahélien qui constitue une rampe de lancement d'attaques terroristes contre les pays maghrébins et ceux de la rive méditerranéenne de l'Europe. Notre pays fait ainsi face à une zone grise propice à la multiplication de trafics illégaux en tous genres (armes, stupéfiants, cigarettes, véhicules, matières premières, etc.).
Cette vaste région de l'ancienne Afrique soudanaise est également devenue une zone d'exportation d'une immigration clandestine de masse en direction de l'Afrique du Nord et de l'Europe du Sud à travers notamment les deux pays de passage préférés, l'Espagne et l'Italie. Cette émigration procède d'un mouvement plus vaste de transfert de populations conséquemment aux cycles de sécheresse et de famines et à la pauvreté endémique qui sévit dans ces contrées inhospitalières. La région constitue aussi un terreau favorable aux rébellions et aux dissidences. L'année 1963 fut celle du premier soulèvement touareg, maté dans le sang, dans l'Adghagh des Ifoughas. Les années 1980 et 1990 seront plus tard celles de l'expansion de l'irrédentisme touareg avec l'émergence de rébellions inaugurée au Mali par l'emblématique mouvement Azawed (ARLA). Malgré les trêves et autres accords périodiques de paix, conclu sous le parrainage sollicité de l'Algérie, notamment en 1993 et 2006, la région est confrontée à une récurrence de rébellions à fort degré de déstabilisation régionale. Au Mali, la région du Nord, avec les trois abcès de fixation de Tombouctou, Gao et Kidal, soit près des deux tiers du territoire malien et dix pour cent de la population, constitue le ventre mou de la zone. Son pendant au Niger, est, rappelle-t-on, le MNJ, le Mouvement des Nigériens pour la justice qui a conclu avec le pouvoir central à Niamey les fragiles accords d'Alger de 2000.
Malgré la dissémination des Touareg à travers une très vaste zone transfrontière, le risque de jonction et d'imbrication des mouvements de rébellion n'est pas une simple hypothèse de travail. L'unité linguistique (système d'écriture consonantique, les tifinagh), et l'homogénéité ethnique (Kel Tamahak en Algérie, Kel Tamajak au Niger et Kel Tamashaq au Mali), favoriseraient d'éventuelles connexions futures entre les mouvements irrédentistes touareg. Ce n'est d'ailleurs pas un simple hasard si, depuis 2006, une rumeur récurrente avait évoqué l'existence hypothétique d'une Alliance Touareg Niger-Mali, l'ANTM, dont le présumé porte-parole serait Hamma Ag Sid-Ahmed, un des artisans des accords avec le gouvernement malien. Dans la même veine, il y a eu par ailleurs l'apparition sur Internet d'une brumeuse «République touareg Tumoujgha. Manifestations virtuelles ou réelles, ces rumeurs exprimeraient tout de même l'idée, même évanescente, d'une volonté réelle ou d'une simple velléité de créer un jour un vaste ensemble touareg, homogène et viable auquel pourrait se joindre un futur éventuel mouvement algérien dont l'embryonnaire organisation des Jeunes pour l'autonomie du Sahara à laquelle des informations de presse avaient prêté notamment l'organisation et l'exécution de l'attentat contre un avion militaire à l'aéroport de Djanet en 2007.
Pour l'instant, l'Algérie n'a pas beaucoup à redouter du renforcement de l'idée autonomiste dans le Tassili et le Hoggar, les structures d'intermédiation tribales assez fortes encore et l'action multiforme de l'Etat se conjuguant pour conjurer sa transformation en péril politique réel. Redoutable, la piste du narcotrafic constitue, d'autre part, une menace stratégique certaine. Des publications spécialisées, s'appuyant sur des notes d'alerte et d'évaluation de services de renseignements européens et américains de 2007 et 2008, signalent à ce propos une augmentation croissante du trafic empruntant les routes sahéliennes contrôlées par les Touareg. Ces feuilles renseignées n'hésitent pas évoquer une probable alliance objective entre un cartel colombien de Medellin et des chefs rebelles. Ce cartel, qui viserait des «marchés émergents» comme l'Algérie, le Maroc et la Tunisie, préférerait emprunter les voies sahéliennes plutôt que les routes maritimes qui se heurtent aux programmes de lutte contre l'immigration clandestine mis au point par le Maroc, la Mauritanie et le Sénégal. Selon ces mêmes sources, certains chefs rebelles percevraient une dîme sur chaque mouvement, l'argent perçu servant à acheter des armes et des moyens de communication et de transport en s'appuyant notamment sur les trafiquants et la diaspora touareg.
La région subsaharienne, c'est aussi les énergies fossiles et surtout l'uranium dont le Niger est un des plus gros producteurs mondiaux. Dans cette région, s'affrontent désormais deux ambitions et des intérêts forcément contradictoires d'une ancienne puissance coloniale, la France, et d'une superpuissance émergente, la Chine, future hyperspuissance. Désormais, le quasi-monopole du français Areva est un tant soit peu battu en brèche par la Chine. Des acheteurs chinois font désormais des déplacements réguliers à Niamey, et Pékin, légaliste à
souhait, appuie le pouvoir central nigérien face à la rébellion touareg qu'Areva semble appuyer en sous-main.
L'Algérie et la communauté internationale sont interpellées par des questions portant sur la stratégie à adopter pour sécuriser la région, neutraliser les rébellions, assurer donc la paix, la sécurité et le développement. Faire face surtout au risque de fixation durable du terrorisme qui aurait alors assuré une nette jonction avec le banditisme, le narcotrafic et la rébellion avec toutes les répercussions et les débordements des troubles dans les pays limitrophes et la rive nord de la Méditerranée.
N. K.


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