Il faut du temps et de l'argent pour que l'Algérie puisse garantir le respect des droits de l'Homme. C'est la conclusion à laquelle est arrivé le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'Homme (CNCPPDH), Me Farouk Ksentini, qui a animé hier, aux côtés de Me Miloud Brahimi, une conférence-débat à l'occasion de la commémoration du 60ème anniversaire de la proclamation de la Déclaration universelle des droits de l'Homme. «On ne peut pas dire que les droits de l'Homme vont bien en Algérie mais ils se portent de mieux en mieux. Il y a encore des efforts à faire mais la volonté politique existe. Cela demande du temps et des moyens financiers pour y arriver», a dit Me Ksentini qui considère que l'Algérie a une longueur d'avance par rapport aux pays qui lui sont comparables à l'exemple des pays maghrébins et arabes. Pour Me Miloud Brahimi, le combat pour garantir les droits de l'Homme «vient juste de commencer» que ce soit en Algérie ou ailleurs dans le monde. «La Déclaration universelle des droits de l'Homme a été rédigée et signée le 10 décembre 1948 en France, pays colonisateur. Dans la Constitution américaine, il a bien été spécifié que les hommes ''naissent libres et égaux'' au moment même où les Indiens étaient exterminés et l'esclavagisme pratiqué. Ce qui nous amène à nous poser la question : quelle définition donne-t-on à l'homme en parlant de droits de l'Homme ? Y a-t-il des hommes et des sous-hommes ? Les exemples d'atteinte aux droits de l'Homme, comme à Guantanamo ou en Irak, sont légion aujourd'hui ; c'est la preuve que le combat vient juste de commencer», étaie-t-il. Pour Me Brahimi, le citoyen algérien n'est pas en mesure aujourd'hui de prétendre à un procès équitable car, «même si les textes, sur le plan national et international, existent et que nous luttons sans relâche pour atteindre cet objectif, de nombreux procès en Algérie ne sont pas équitables». Les raisons sont multiples, selon lui, à l'exemple des procès-verbaux de police plus étoffés que l'instruction, du manque de preuves scientifiques à même de confondre un suspect ou encore du droit à la défense qui n'est pas assuré. Quant à la détention provisoire, «c'est un serpent de mer. On a tendance à mettre les gens en prison. L'Etat a fait l'effort de réviser cette question, il reste maintenant à sensibiliser la chancellerie pour que ça reste une mesure exceptionnelle car ce n'est pas seulement une atteinte aux droits de l'Homme mais une conséquence de la surcharge carcérale», commente-t-il. Questionné sur les tortures qui se pratiqueraient dans des commissariats de police ou dans des gendarmeries, Me Ksentini a tenu à préciser qu'il n'a aucun moyen d'affirmer que la torture est généralisée : «Les prisonniers que nous rencontrons se plaignent plus de la lenteur de la procédure ou de l'enquête préliminaire que de la torture lors de leur détention provisoire. Jamais un détenu ne s'est plaint des conditions de détention. Il faut dire que l'introduction de la sanction de la torture dans le code pénal est une avancée en soi.» Abordant la question de la condamnation à mort, les deux avocats ont plaidé pour son abolition, affirmant que c'est là une atteinte aux droits de l'Homme. Selon Me Brahimi, pour prétendre adhérer à la Déclaration universelle des droits de l'Homme, il faut répondre à deux conditions : abolir la peine capitale et introduire dans la législation algérienne le crime contre l'humanité avec son corolaire l'adhésion à la Cour pénale internationale. Enfin, à une question relative aux droits sociaux des Algériens qui ont manifesté leur mécontentement à travers de multiples émeutes, Me Ksentini a soutenu qu'effectivement les droits sociaux des citoyens doivent être assurés par l'Etat (éducation, emploi…) et que la commission a déjà établi des rapports à ce sujet : «Il était difficile au début de satisfaire à ces droits mais maintenant que les moyens existent, l'Etat doit faire un effort dans ce sens.»