Mardi dernier, le Conseil de sécurité de l'ONU s'est réuni pour adopter une résolution sur la paix au Moyen-Orient. Entendez la paix entre Palestiniens et Israéliens. De quelque façon qu'on retourne cette expression de paix au Proche-Orient, c'est à la Palestine que l'on pense et c'est de la Palestine que l'on parle. Existe-il meilleure preuve que la tragédie du peuple palestinien est le problème central ? Mais j'y reviendrai plus loin dans le corps de l'article. Cette résolution est remarquable. C'est la première depuis cinq ans. En réalité depuis que l'ONU par un tour de passe-passe a privatisé la question palestinienne en la confiant au quartette. Ce n'est plus une question onusienne, donc elle ne relève pas des droits des peuples et ne relève plus des normes du droit international. Magnifique cadeau fait à Israël. Pour le mot «privatiser» ? Parce que la solution ne dépend plus que de la bonne volonté des Israéliens, des Palestiniens et des membres du quartette. Il n'y a plus d'agresseur et d'agressé, d'occupant et d'occupé, d'occupation mais des partenaires. Le droit définit ce qui revient aux uns et aux autres et s'appuie sur des normes. Depuis que le quartette a pris le processus en main, seul Israël dicte les termes du débat et le quartette approuve sans barguigner : les Palestiniens doivent lutter contre la violence, leur propre violence évidemment, et se retrouvent dans un procès permanent en terrorisme ou en incapacité. Elle est remarquable aussi car rien ne la justifiait. On ne peut pas confier la question au quartette qui la confie aux Etats-Unis, lesquels réunissent une conférence à Annapolis annulant le processus d'Oslo pour revenir au Conseil de Sécurité qui ne s'est jamais soucié de l'application par Israël de ses dizaines de résolutions, y compris la plus facile, celle de sortir des fermes libanaises de Cheba. Il y a problème. Le Conseil a voté la résolution préparée par la Russie et par les Etats-Unis moins la voix de la Libye. Qu'amène-t-elle de nouveau ? Rien ! Elle soutient juste le processus d'Annapolis et la création de deux Etats qui vivraient côte à côte. Il faut donc chercher les buts réels et dans les déclarations des uns et des autres. Sans plus mais sans les oublier. Commençons par Ban Ki-moon. Il a déclaré : «L'occupation commencée en 1967 doit se terminer, Israël et le monde arabe doivent vivre en paix.» Ce n'est pas tant la justice à rendre aux Palestiniens qui le préoccupe que la place d'Israël dans la région et ses relations avec les pays arabes. Etaient-ils en guerre ? Pas du tout ! L'agression israélienne du Liban a même montré le contraire des pays arabes en phase totale avec Israël et ses buts. La conférence sur le dialogue interreligieux financé par les Saoudiens l'a confirmé. Le zèle égyptien à boucler Ghaza de son côté est une preuve supplémentaire. L'unanimité arabe de classer la question palestinienne sous les rubriques de l'humanitaire enlèverait les derniers doutes de ceux qui croient encore à une sensibilité palaisienne dans les sphères dirigeants arabes qui ont trouvé dans la fiction de négociations entre l'Etat réel d'Israël et l'illusion d'une autorité palestinienne la justification chère à Kouchner : ces dirigeants arabes n'ont pas à être plus palestiniens que les Palestiniens. Ils ne nous disent pas de quels Palestiniens ils parlent, bien entendu ! Sergueï Lavrov y est allé de son couplet. Pour lui, cette résolution ne garantit rien. Si elle ne garantit rien au plus faible, à quoi sert-elle ? Il répond, naïf ou candide, peut-être retors : «Cela dépendra beaucoup de la capacité d'Israël et des Palestiniens à appliquer leurs engagements… notamment dans le domaine de la sécurité.» Nous y sommes. Qui doit garantir la sécurité de l'autre ? Lavrov parle d'un engagement palestinien à prévenir et à réprimer toute action anti-israélienne et, dans ce domaine, Israël va loin puisqu'il exige des Palestiniens qu'ils modifient leurs programmes scolaires, leurs programmes télé et qu'ils inculquent à leurs enfants l'amour des juifs et d'Israël. Les Palestiniens en charge de cet Etat harki auront du pain sur la planche. Pour Condoleezza Rice, «il n'y a d'autre solution que celle de deux Etats vivant côte à côte et en paix». De quels Etats parle-t-elle et pourquoi en ce moment ? Le moment est celui de ces fameuses élections israéliennes qui vont mener au pouvoir le Likoud et les forces qui tiennent au Grand Israël et pour qui la conquête et les colonisations ne sont pas achevées. Cette résolution leur est destinée. Elle rappelle qu'une démarche est en cours, insérée dans un plan plus global, donnant à Israël un nouveau rôle dans la région et dans le monde et un statut hégémonique sur le monde arabe. Les Palestiniens paieront le prix fort de cette visée. En réalité, G. W. Bush l'a annoncé dans son discours à la Knesset en célébrant le soixantième anniversaire de la création d'Israël. Il a réaffirmé le caractère juif de cet Etat. Je me souviens de ce papier que j'ai écrit immédiatement pour dire qu'un président américain ne déclare pas n'importe quoi et que G. W. Bush venait de tracer une feuille de route : créer à terme un Etat juif, c'est-à-dire un Etat sans citoyens non juifs, donc sans citoyens arabes. Je l'avais souligné à ceux qui n'avaient pas compris que T. Livni précisait trois jours plus tard que les Arabes israéliens devaient admettre le caractère juif de l'Etat d'Israël. Livni annonçait un nouveau plan d'épuration ethnique. Les Arabes israéliens devaient se préparer à partir. Ces élections anticipées l'ont obligée à être plus explicite. Le jeudi 9 décembre face à des lycéens, elle est on ne plus claire : «Ma solution pour préserver le caractère juif et démocratique d'Israël, c'est deux entités nationales distinctes.» Elle continue : «Nous pourrons dire aux citoyens palestiniens d'Israël, ceux que nous appelons les Arabes d'Israël, la solution à vos aspirations nationales se trouve ailleurs», c'est-à-dire dans la nouvelle entité nationale palestinienne. Livni règle deux problèmes d'un coup. La création d'un Etat palestinien signifie la déchéance immédiate pour les Arabes israéliens de leur citoyenneté israélienne. Ils ne constitueront plus ce «risque démographique» dans la vie politique d'Israël. Ils deviennent des citoyens étrangers, donc sans droits politiques et certainement pas le droit de s'opposer à des décisions de cet Etat. Elle prépare ensuite le transfert soft ou hard du million quatre cent mille Arabes israéliens vers les réserves indiennes qui prendront pour nom : Etat de Palestine. C'est cela la solution américaine, pas spécialement la solution Bush car les Américains travaillent sur le long terme pour les questions internationales. En termes clairs, les Américains et les Israéliens se sont entendus sur une nouvelle Naqba, sur un nettoyage ethnique radical au sens physique et au sens politique. Et c'est cela qui va se passer. Voilà pourquoi cette résolution en ce moment et dans ces termes. Faut-il rappeler que le nettoyage ethnique est un crime ? Qu'il a servi de prétexte à l'agression contre la Serbie et à la création de l'Etat du Kossovo en deux temps trois mouvements ? Et ce Conseil de sécurité ne pipe mot sur ce crime gravissime mais ceux qui ont créé Israël pour en faire leur colonie commune et collective, la première colonie multinationale de l'histoire, prendraient–ils fait et cause contre eux-mêmes ? Pourtant, cette résolution marque une gêne, une difficulté à résoudre ce qui paraît si simple au regard des rapports de force sur le terrain, dans les médias et dans les forums internationaux. Pourquoi le surarmement d'Israël ne suffit-il pas à résoudre la question, pourquoi la condition infra-humaine des Palestiniens ne suffit-elle pas à leur ôter le rêve d'une terre restituée, pourquoi la complicité massive des Palestiniens -fathaouis ou hamsaouis– dans l'entretien du leurre d'une Autorité palestinienne et des négociations avec Israël ne suffisent-elles pas à régler le problème du Proche-Orient ? Car la résolution parle de paix au Proche-Orient. Elle ne parle spécifiquement des Palestiniens et des Israéliens. Cela veut surtout dire que la suprématie israélienne, sa domination alimentée par l'arsenal nucléaire offert par les Français, son aviation payée par les Américains, ses véhicules blindés de poche offerts par les Allemands, l'argent qui lui parvient à flots en aides militaires diverses des Etats-Unis et d'autres pays et l'argent qui lui parvient et lui est parvenu à flots pour créer une agriculture dans le désert et les colonies la plus chère du monde ne suffiront pas à régler le problème. Ne suffiront pas à régler le problème la guerre idéologique et la complicité de l'écrasante majorité des médias occidentaux en charge de brouiller les pistes et de cacher les crimes israéliens, notamment ceux perpétrés régulièrement contre des enfants. (En annexe, je vous livre un extrait du bilan de ces crimes). Bien sûr, les Israéliens peuvent soumettre les Palestiniens et créer des réserves indiennes reliées par des ponts et des tunnels, comme l'a proposé sans rire le gouvernement d'Ehud Olmert. Israël peut réduire les Palestiniens et créer un pseudo-Etat chargé de réprimer ceux des siens qui voudraient encore résister. Bien sûr, Israël a déjà l'accord des puissances arabes les plus significatives dont la dernière expression est la poignée de main chaleureuse entre le ministre saoudien des Affaires étrangères et Shimon Peres. Cela ne semble pas satisfaire Israël et ses parrains. Ils ne cherchent pas seulement la domination d'Israël sur les Palestiniens. Ils veulent leur hégémonie sur le monde arabe. Il leur faut une reconnaissance globale de cet Etat dans le monde arabe et une reconnaissance de son nouveau rôle qui s'est affirmé en Colombie, en Géorgie et dernièrement en Inde quand une mission des services secrets israéliens a obtenu d'aller enquêter sur les fusillades de Bombay. Ce nouveau rôle revient à créditer cet Etat d'une expertise et d'une capacité d'intervention antiterroriste vitales en ces temps de risques réels ou artificiellement amplifiés. Le piranha est devenu un grand barracuda. Mais il n'a rien tenu du fond de ses promesses initiales : faire barrage à tout velléité d'indépendance, d'autonomie, bref de libération des peuple arabes. Les Etats se sont bien rendus mais les peuples ? Il est clair qu'Israël doit jouer un rôle de premier plan dans la reconfiguration politique du monde arabe qui doit déboucher sur la création de petits émirats artificiels et soumis à des familles sans forces et sans légitimité, qui seront bien contents de trouver en Israël un défenseur et un mentor. Il y a loin de la coupe aux lèvres. Pour jouer ce rôle, Israël doit régler la question des réserves indiennes pour Palestiniens. Sans cela, les ambitions stratégiques de ses parrains risquent d'être compromises par la voracité de quelques centaines de colons. Cette résolution vient de mettre les poids sur la balance. M. B.