A l'approche de la fin de chaque saison footballistique, la violence prend des propensions alarmantes en Algérie jusqu'à menacer l'ordre public comme c'était le cas à Oran, qui a vécu une semaine de troubles extrêmes suite à la rétrogradation du MCO en division inférieure. Les observateurs s'accordent à dire que cette décision n'est qu'un prétexte. Comprendre par là que la violence était déjà dans l'air. Il a donc fallu un élément pour déclencher le désordre. Et cet élément attendu est le football, le créneau qui draine autant de population. Le lien entre le football et la violence poserait alors problème. Le football favorise-t-il la violence civile en Algérie ? A priori, non. Pour la simple raison que lorsque les conditions d'un déroulement d'un match sont réunies, le rendez-vous sportif se passe dans le respect des règles. Les exemples sont légion même quand la rencontre au programme draine une grande foule à l'image du derby algérois entre Mouloudéens et Usmistes, qui, même quand l'enjeu est important, se joue dans la sérénité. C'est à comprendre que, si un travail d'organisation est fait aussi bien par les instances que par les clubs concernés, les choses se passeraient de façon régulière. Cela n'exclut nullement la possibilité de voir les choses échapper à tout contrôle suite à un acte banal. Cela s'est produit à maintes reprises cette saison dans les stades algériens. L'exemple le frappant est ce qui s'est passé à Tlemcen où le trio arbitral ainsi que l'équipe adverse, l'OM Ruisseau, ont dû attendre plus de cinq heures dans les vestiaires avant de pouvoir sortir. Le match ASO-MCO, dont dépendait le sport de la formation oranaise s'est déroulé dans une ambiance de guerre. L'on peut citer mille et un exemples. Il reste, néanmoins, plus que plausible que cette forme de violence ne soit pas spontanée. Elle est généralement préparée par un environnement qui gravite autour de la discipline en profitant de la misère sociale dans laquelle évolue une grande partie de la population du football. Cette dernière se recrute souvent chez les jeunes ayant quitté les bancs de l'école très tôt et sans aucune perspective sociale. Cette catégorie qui accumule les frustrations de tout genre se rend au stade pour se venger de toutes les agressions qu'elle ressent. Et dès que la jeunesse est convaincue qu'elle doit se venger, tout le monde devient adversaire. Des acteurs de l'intérieur du stade, comme l'arbitre, le joueur, le pompier, le policier, deviennent des cibles. A l'extérieur, le rapport est identique. Le supporter se met à ne plus supporter personne, du simple piéton au bus de passage. C'est dire que les enceintes sportives reçoivent la frustration et le malaise social pendant la durée de la rencontre avant de le libérer avec un risque de dérapages plus inquiétants. C'est à ce niveau que l'on peut comprendre que le football en Algérie s'est transformé ces dernières années en terrain de toutes les violences. Les pouvoirs publics se plaisent à voir la communauté juvénile fréquenter en masse les stades de football. Mais rien n'a été fait pour que ce mouvement soit, d'abord, celui du plaisir et de la passion et de vaincre l'adversaire si l'on est meilleur. En l'état actuel des choses, les jeunes se rendent au stade pour des considérations autres que celles citées précédemment. Aujourd'hui, le jeune ne va pas au stade pour apprécier le football développé et applaudir les gestes techniques, quelle que soit la couleur de son auteur. Il va au stade pour insulter «l'autre», narguer l'agent de sécurité et, pourquoi, pas défier l'ordre public. Tout cela au nom d'un quartier ou au nom d'une appartenance… Détourne-t-il les mobilisations populaires ? C'est un fait indiscutable : aucun empire n'a mieux dominé la planète que le football. C'est la raison pour laquelle des dirigeants politiques déboursent de grosses sommes d'argent juste pour permettre un mouvement de jeunes même quand il finit par créer des situations imprévues et difficiles à gérer. Cela se produit en Algérie : les autorités s'empressent plus à réagir à une annonce de démission d'un club de football qu'à un préavis de grève lancé par l'enseignant de l'école du coin. L'administration estime que rétablir le courant dans un lycée n'est pas une urgence devant la pression qu'exercerait un club local. Cela s'est produit aussi en Algérie du 3e millénaire : on a libéré les écoliers pour pouvoir organiser un match de football dans la sérénité. Les autorités se cachent ainsi derrière le phénomène football et sa capacité à étouffer toutes les autres mobilisations. C'est à ce niveau qu'il existe des gens qui se posent la question de savoir si les jeunes d'Oran, à titre d'exemple, se sont révoltés juste parce que l'équipe de la wilaya était reléguée en deuxième division. Les arguments de cette thèse ne manquent pas. Les motifs de la contestation sont multiples et les jeunes n'ont pas à attendre le résultat d'un match de football pour exprimer leur colère. Le statut de chômeur est à lui seul suffisant pour justifier leur colère. Il est ainsi du devoir de l'Etat de garantir un emploi stable à tous les citoyens. Mais nous n'en sommes pas à ce stade. Manifestement, nous sommes dans une phase où le football est utilisé pour détourner les mobilisations populaires. La jeunesse se dévalorise, se discrédite, dès qu'elle se retrouve en train de jouer pour que d'autres gagnent. On ne le dira jamais assez : à Oran, le football n'était qu'un prétexte pour les émeutes qui ont ébranlé toute la ville. Pour laisser éclater la colère, on n'a pas trouvé mieux que le football. Surtout que cette discipline est composée de personnes soupçonnées de toutes les corruptions et de toutes les malversations. Les jeunes sont ainsi intégrés dans des batailles dont ils ignorent les tenants et les aboutissants. Le football se transforme en une machine dont personne ne comprend le fonctionnement jusqu'à ce qu'elle s'arrête et que soit établi le bilan final, souvent dramatique. Notons, par ailleurs, que l'environnement du football algérien est riche en matière d'acteurs de nuisance. Ces dernières années, une bonne partie des médias, particulièrement de la presse écrite et spécialisée, excellent dans l'art d'attiser le feu. On retrouve une dose assez importante de cette violence du verbe qui n'honore pas le métier. Les médias auront beaucoup à gagner en s'initiant à la compréhension des rudiments du football plutôt que de recourir à une terminologie guerrière, qui illustre une misère intellectuelle galopante dans la corporation. A. Y.