«Quand on n'a plus rien à perdre, on peut y aller ! Et inversement, quand on a tout à perdre, on a la peur au ventre et on joue de manière plus crispée» Il n'a pas été toujours facile de tenir le Cap jusqu'à l'Afrique du Sud pour pour une équipe de France naviguant le plus souvent à vue. Seconde de son Groupe 7 derrière la Serbie, elle a notamment failli couler au détour d'un barrage difficilement négocié contre la République d'Irlande. Mais elle est finalement parvenue à tenir la barre pour atteindre le Sud du Continent Mère et participer à la treizième Coupe du Monde de la FIFA de son histoire. Symbole de ce bateau français qui a tangué mais qui n'a pas sombré, son sélectionneur, Raymond Domenech. Contre vents et marées, le tacticien natif de Lyon s'est accroché à son gouvernail. A raison, puisqu'il a finalement su dompter l'adversité en amenant le navire français à bon port. Il faut dire que cet homme de 58 ans n'en était pas à ses premières expéditions en qualifiant notamment son équipe pour deux grandes compétitions internationales consécutives, la Coupe du Monde de la FIFA 2006 et l'UEFA EURO 2008 : une première pour un sélectionneur français. Reste que le palmarès de ce loup de mer est toujours vierge. Après avoir échoué sur l'écueil italien en finale en Allemagne, il espère gravir le dernier échelon en Afrique du Sud. Des vagues de critiques, à l'analyse de son équipage, en passant par le délicat barrage irlandais, Raymond Domenech a accepté de répondre sans détour aux questions de FIFA.com. M. Domenech, à quelques semaines du coup d'envoi de la Coupe du Monde de la FIFA, Afrique du Sud 2010, comment jugez-vous son organisation ? Sur ce que j'ai vu, aucun problème ne se pose. Les terrains sont superbes, et si toutefois il devait y avoir des ajustements, il reste encore plus de deux mois pour les faire. Au cours de son parcours qualificatif, l'équipe de France était sous le feu des critiques. Cette situation peut-elle servir à souder l'équipe davantage ? Les joueurs sont habitués à ce genre de critique. Ils savent que quand c'est moins bien que ce que les gens imaginaient, ils seront attaqués. D'ailleurs jusqu'à présent, c'est moi qui ai été la cible des critiques plutôt qu'eux ! Mais la Coupe du Monde leur appartiendra, ce sont eux qui seront sur le devant de la scène. Moi, je vais leur rendre les clés quand la compétition va commencer. Avant, je vais tout faire pour les protéger, les préparer au mieux à cet évènement, mais après c'est entre leurs mains. D'ailleurs, je ne crois pas qu'il y ait de médaille prévue pour l'entraîneur ! (rires). A titre personnel, comment avez-vous vécu ces critiques ? Comme tous les entraîneurs... Je raconte toujours l'histoire de la grenouille qu'on plonge dans l'eau bouillante : sur le coup, elle va crier, elle va souffrir. Mais si on la met dans l'eau froide et qu'on fait monter la température de l'eau petit à petit, elle va tenir beaucoup plus longtemps ! Quand on est entraîneur, on est un peu comme ça : on vit dans le stress permanent, on ne vit que comme ça, tous les jours et tout le temps. C'est un état naturel ! Durant les qualifications, votre équipe a donné l'impression de ne pas jouer au niveau qui pourrait être le sien au vu de ses individualités. Qu'est-ce qui lui manque pour exploiter pleinement ce potentiel ? Il y a un renouvellement de générations qui se met en place. A part pour le Brésil, qui a un immense réservoir, et qui assure un renouvellement naturel sans que le niveau de l'équipe en subisse les conséquences, tous les autres pays fonctionnent par cycle. Nous nous trouvons peut-être dans un cycle un peu plus difficile, avec des joueurs majeurs qui ont duré, qui ont arrêté et qu'il faut maintenant remplacer. On est simplement dans cette situation-là, et si des gens ne veulent pas l'admettre c'est qu'ils ne sont pas lucides. Aujourd'hui on travaille, on s'accroche pour retrouver un cycle haut. Le 18 novembre dernier contre la République d'Irlande, l'équipe de France donnait l'impression de jouer avec la peur au ventre malgré les joueurs expérimentés qui la composent. Est-ce que cela vous a surpris ? C'est tout à fait compréhensible. Quand on est battus chez soi 1-0, comme l'a été l'Irlande, qu'il y a une Coupe du Monde au bout, et que l'on sait qu'il faut marquer un but pour se qualifier, qu'il faut jouer pour marquer, on est complètement libérés. Il n'y a même plus de question à se poser : il faut marquer. C'est la situation idéale pour produire du jeu ! A l'inverse, l'autre équipe, qui est presque qualifiée et qui joue son avenir sur cette même rencontre, elle, sait que tout est remis en question à la moindre erreur ou au moindre but encaissé. Elle se pose plus de questions et a plus de mal à se libérer. C'est exactement la situation dans laquelle nous étions. L'expérience et le vécu des joueurs-cadres ne changent rien à cette situation ? Quelle que soit l'expérience des joueurs, quelle que soit leur maturité, ça ne change rien ! Il y a à ce moment-là une certaine fébrilité. Et puis, on oublie tout de même de dire que l'Irlande a des joueurs de qualité… Donc le niveau de l'un et de l'autre s'équilibrent en raison du facteur psychologique. Quand on n'a plus rien à perdre, on peut y aller ! Et inversement, quand on a tout à perdre, on a la peur au ventre et on joue de manière plus crispée. Le sort a voulu que dans le Groupe A de la Coupe du Monde de la FIFA, Afrique du Sud 2010 vous rencontriez le pays hôte. Est-ce quelque chose qui vous enthousiasme, ou qui vous effraie ? Disputer une Coupe du Monde en Afrique, jouer contre l'Afrique du Sud et les affronter dans ce contexte-là, c'est quelque chose de fabuleux ! Mais on se dit aussi que c'est le troisième match et que c'est un match forcément décisif pour la qualification de l'un ou de l'autre, voire des deux... Ce n'est donc pas un match qu'il faut prendre à la légère, comme une fête, comme un match de gala, parce qu'on ne sait pas ce qu'il peut arriver. En 2006, avant la Coupe du Monde de la FIFA en Allemagne, vous donniez rendez-vous le 9 juillet. Cette année, donnez-vous rendez-vous aux supporters des Bleus le 11 juillet ? Quand j'ai des convictions, je les défends. Mais seuls les joueurs peuvent me donner ces convictions. En 2006, quand j'ai vu et entendu mes joueurs, je me suis dit «on va aller en finale, c'est sûr !» Or, pour le moment, mon équipe se met en place, et il y a encore trop d'incertitudes et trop de choses autour d'elle qui la polluent. Dès qu'on aura regroupé les joueurs et qu'on aura passé suffisamment de temps ensemble, je le saurai. La Coupe du Monde, c'est comme quand un match commence : au bout de cinq minutes, je sais à peu près comment cela va se terminer. Là, ça sera pareil ! Attendons le début du tournoi, et je pourrai dire à peu près comment on le terminera…