«Zidane a fait le bon choix en jouant pour la France.» Quand le soleil se couche à Pretoria, le froid australe s'enfonce jusqu'aux os et ce ne sont pas les arbres du High Performance Centre de Pretoria, quartier général de la sélection albiceleste depuis le début du Mondial, qui vont vous réchauffer. Pourtant, en dépit des basses températures, Gonzalo Higuaín est apparu avec la tenue de parade de la sélection d'Argentine, des chaussettes et les fameuses chanclas (claquettes). Sa spontanéité et son humour prouvent qu'il venait de quitter un groupe où respirent la confiance et la décontraction. Un groupe d'amis qui tuent le temps autant que leurs adversaires dans ce Mondial dont ils rêvent tous les yeux ouverts. Pour ce faire, pas besoin de couteau ou de fusil. Juste une play-station et les tournois de Truci, ce jeu de cartes argentin où le mensonge et la ruse sont souvent bien récompensés. Comme pour se préparer à les réaliser aussi sur le terrain. Car pour les Argentins, cette Coupe du monde doit être argentine ! Quels que soient les moyens utilisés ! «Regardez mon bras, j'ai la chair de poule !» Higuain sourit, son regard reflète le bonheur parfait. Celui de réaliser un rêve de gamin, lorsqu'il suivait la sélection de l'autre côté du grillage. «Ça valait le coup d'attendre pour vivre tout cela. C'est comme dans un rêve, mais un rêve qui devient peu à peu réalité», raconte-t-il tout en exhibant le maillot avec lequel il a déjà inscrit quatre buts et qui lui permet de lutter pour le titre de Pichichi du Mondial. «Depuis que j'ai marqué trois buts contre la Grèce, ça ne veut pas quitter ma tête, c'est clair. Toutefois, mon objectif aujourd'hui, c'est de pouvoir ramener la Coupe du monde au peuple argentin. Nous sommes en train de laisser notre peau sur le terrain pour les couleurs de notre pays et on sait très bien ce qui se passe chez nous. On sait qu'à chacune de nos victoires, les gens sortent faire la fête dans la rue et vont à l'Obélisco (Ndlr, monument symbolique qui se trouve au centre de Buenos Aires). J'ai même appris que durant les matchs de l'Argentine, les enfants ne vont même plus à l'école. Regardez ma peau, vous avez vu ?, signale Higuain. Rien que d'y penser, j'ai la chair de poule», dit-il les yeux étincelants. «En sélection, le déconneur c'est Tévez» A quelques mètres de nous, marchait Carlos Tévez, Carlitos pour les Argentins, qui l'affectionnent un peu plus depuis son doublé contre le Mexique. En passant devant Higuain, Tevez ne rate pas l'occasion de lancer une de ses boutades, juste avant d'entamer une interview avec une télé argentine. «Ey, Pipa, habla menos fuerte (parle moins fort), je n'ai pas envie d'entendre ce que tu dis !» taquine le très populaire Tévez. «Tu peux quand même me supporter quelques minutes», lui rétorque posément Gonzalo, en souriant. Séparés par un mur monté à la hâte, les deux amis s'afféraient à répondre, chacun de son côté. L'un aux questions du Buteur et l'autre à celles de la télévision argentine. «Carlitos est un phénomène, il est toujours comme ça, de bonne humeur, c'est lui le déconneur dans l'équipe». «Je dois tout à mon père Jorge» Quand il parle de son père Jorge, ancien professionnel au Stade Brestois, Higuain a les yeux qui brillent, comme un fan devant son idole. Tout ce qui lui arrive aujourd'hui, il le doit à son padre. Et quand il commence à en parler, il ne sait pas comment s'arrêter : «En vérité, je profite des moments de joie avec la sélection, mais je me prépare toujours au pire, que ce soit durant ma carrière ou dans la vie en général. Cela me permet de garder toujours les pieds sur terre. Mon père a été professionnel pendant 15 ans et il m'a appris qu'une carrière de footballeur et jalonnée d'obstacles et de mauvais coups. ‘Il y a des hauts, mais aussi et surtout des bas', me répète-t-il. Je suis donc blindé et prêt pour les mauvais moments, car l'histoire de mon père m'aide à grandir pas seulement comme footballeur, mais aussi en tant qu'homme. Je ne vais pas perdre la tête juste parce que je peux devenir le meilleur buteur de cette Coupe du monde. Si j'y réussis, j'en serai ravi, sinon ce n'est pas grave parce que ce n'est pas ma priorité. Je préfère la réussite collective à la mienne», assure-t-il. «Marquer un but durant une Coupe du monde provoque des sensations uniques, c'est impossible de les décrire avec des mots, c'est vraiment spécial. Je mentirais si je vous disais que ça m'est égal… mais je dois rester zen, c'est important pour la suite. Les objectifs du groupe doivent être au-dessus de toute autre considération.» «Sans le Real, je ne serais même pas ici» Au moment de la séance photos, Higuain, toujours aussi aimable, affiche son plus beau sourire et accepte volontiers d'être mitraillé par la rafale de flashs de Gustavo le photographe. Il a le regard d'un adolescent rêveur, qui se ravise vite pour déclarer : «Je sais que si je n'avais pas réussi au Real Madrid, je ne serais pas là aujourd'hui. Si je n'avais pas joué, on ne m'aurait même pas donné ma chance, il y a tellement de bons joueurs en Argentine. Le meilleur exemple, c'est mon coéquipier Benzema qui n'a pas été retenu en équipe de France à cause du temps de jeu réduit en club.» Revenant un peu sur le parcours du Real Madrid, Higuain ne semble pas avoir de regrets : «Nous avons tout donné, nous avons lutté jusqu'au bout pour remporter la Liga, mais il y avait en face une grande équipe, ça il faut le reconnaître. Aujourd'hui, je n'ai pas trop envie d'en parler, car je veux gagner la Coupe du monde et pour y arriver, je dois être concentré à fond.» «Zidane a fait le bon choix en jouant pour la France» Dès lors qu'il s'agit de l'équipe de France et de sa rencontre à Buenos-Aires avec Raymond Domenech, Higuaín évite soigneusement de rentrer dans les détails : «Mon choix a été fait, pourquoi revenir sur un épisode qui fait partie du passé ?» justifie-t-il. «Pour moi, c'était clair dès le départ, mon rêve a toujours été de porter le maillot ciel et blanc de l'Argentine.» Que pense-t-il du choix des nombreux joueurs algériens nés en France comme lui, mais qui ont choisi de défendre les couleurs de la France ? «Quand on choisit une sélection, c'est normalement un choix du cœur, mais il y a des joueurs qui ont un plan de carrière et il faut les respecter.» Zidane en fait partie. Qu'en pense-t-il ? «Lorsqu'on voit ce qu'il a fait durant sa carrière, on ne peut pas dire qu'il a fait le mauvais choix, Zidane est un joueur impressionnant qui a laissé sa trace en équipe de France et au Real Madrid», dit-il admiratif : «C'était un plaisir de le voir sur un terrain de football.» «Les Algériens ont tout donné, je leur dis bravo !» Sur le parcours de l'Algérie, Gonzalo Higuain se montre compréhensif : «Les Algériens n'ont aucun regret à se faire, car ils ont tout donné durant les trois rencontres qu'ils ont jouées. J'ai l'impression que cette équipe se transcende lorsqu'elle est face à une grande nation du football. Elle l'a fait contre l'Argentine en amical et durant ce Mondial face aux Anglais. Je suis footballeur et je valorise tous les efforts consentis par les joueurs algériens pour faire bonne figure. Ne serait-ce que pour ça, je leur dis bravo !» Concernant l'arrivée au Real de Di Maria, son coéquipier en sélection, Higuain refuse de se mouiller sans perdre de sa gentillesse : «Par respect à la sélection, je préfère attendre à ce que Di Maria soit présenté officiellement comme nouveau joueur du Real avant de me prononcer.» Par contre, Higuain ne tarit pas d'éloges sur Mourinho qui a été, lui, déjà présenté comme le nouvel entraîneur des Mérengues : «Mourinho est un gagneur et il l'a déjà démontré dans tous les clubs qu'il a entraînés.» «Argentine-Allemagne ? Une finale avant la lettre» Avant de nous quitter, Higuain reparle de la Coupe du monde et du quart de finale qui attend l'Argentine face à l'Allemagne : «A partir des quarts de finale, tout devient très difficile. Argentine-Allemagne est pour moi une finale avant la lettre. Je ne sais pas si je vais leur marquer encore après l'avoir fait en amical, mais ce n'est pas mon obsession, le plus important c'est la qualification.» C'est par cette phrase que Higuain a pris congé : «Il est 21h, c'est le moment d'aller dîner», lâche-t-il avant de s'engouffrer dans le bunker albiceleste. Tévez le regarde, mais il ne pouvait rien lui dire. Il était en direct sur le journal télévisé argentin.