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Pape Diouf (ancien président de l'Olympique de Marseille) : «M'bolhi est parti de l'OM parce qu'on a douté de ses capacités»
Publié dans Le Buteur le 10 - 07 - 2010

«Je fais toujours un reproche à Ziani : il termine mal ses actions.»
On a tendance à l'oublier, mais Pape Diouf, l'ancien président de l'Olympique de Marseille, a été journaliste, puis agent de joueurs. Cette triple casquette lui permet d'avoir un regard pertinent sur les prestations des sélections africaines, lui qui, de par ses origines sénégalaises, est un grand amoureux du football du continent. Rencontrer Pape Diouf a été aussi et surtout une opportunité pour parler de Raïs M'bolhi Ouahab, ce gardien de but qui a été l'une des révélations du Mondial et qu'il a eu à l'OM lorsqu'il en était président, ainsi que de Karim Ziani, autre joueur qu'il avait au club marseillais. On découvre, au fil de cette interview, que Diouf comprend des choses, même techniques, beaucoup mieux que bon nombre de techniciens. De plus, ce qui ne gâte rien, il n'hésite pas à dire ce qu'il pense sans langue de bois.
Quelle appréciation portez-vous sur la participation africaine à la Coupe du monde 2010 ?
Je pense qu'en dépit de la bonne tenue du Ghana et de son accession aux quarts de finale, on peut considérer globalement la participation africaine comme plutôt décevante. Avec six équipes présentes, on pouvait espérer, au vu de la constitution des différents groupes, que deux voire trois équipes africaines sortiraient des groupes pour se projeter sur les huitièmes de finale ou même les quarts de finale, mais il n'en a pas été ainsi. Pour ma part, je suis très déçu par les résultats de l'ensemble des Africains.
Pour vous, qu'est-ce qui n'a pas marché pour les sélections africaines ?
C'est, je pense, cette tendance aujourd'hui que les Africains ont de se tromper dans les priorités et les objectifs. On ne peut pas, en regardant ce qui s'est passé, approuver cela, notamment dans la manière dont différentes divisions ont agi. Je constate qu'hormis Saâdane en Algérie, tous les sélectionneurs qui étaient à la tête des équipes africaines participantes étaient des étrangers. Quand je vois les Ivoiriens prendre Eriksson, qui ne sait peut-être même pas où situer la Côte d'Ivoire sur une carte géographique et qui, à l'occasion de certaines images qu'on a pu voir ici et là, s'appuyait sur Didier Drogba pour parler à ses joueurs, quand je vois cela se passer au sein de la sélection qui constituait le plus grand espoir du football africain dans ce Mondial, je me pose des questions. Quand on voit que le Nigeria se qualifie pour le Mondial avec un entraîneur local et qu'à l'arrivée, on met à la tête de l'équipe un coach étranger qui n'a pas su lui donner sa personnalité, je crois que les problèmes sont déjà là et méritent des réponses. Pour ma part, je crois que les Africains se sont sabordés un peu et c'est dommage ! Quand on regarde la Côte d'Ivoire avec son prestigieux palmarès et sa victoire en Coupe d'Afrique des nations en 1992 avec un entraîneur ivoirien, Yao Martial... Je crois que tout est dit dans ce raccourci.
Pensez-vous que le fait que le Ghana ait été le seul représentant africain à s'être illustré est le fruit d'une stabilité au niveau de l'effectif et du staff technique en même temps ?
La stabilité de l'effectif ne veut rien dire puisque la Côte d'Ivoire, qui évolue presqu'avec le même effectif depuis quelques années, n'a pas percé. La particularité du Ghana est qu'il a privilégié plus que d'autres le sens de la collectivité. On n'a pas vu, avant la compétition, des individualités très marquantes être désignées au sein de cette équipe. Ce n'est que durant le tournoi que certains garçons se sont montrés comme étant des meneurs : Boateng, le petit Ayew, Mensah… C'est une équipe dont on n'avait pas beaucoup parlé et qui a su jouer sur cette sorte d'anonymat qui a entouré sa venue ici.
C'est donc l'insouciance dont les joueurs ghanéens ont fait preuve qui les a servis ?
Oui, c'est bien ça. Le fait de jouer de manière insouciante, sans complexe et, surtout, sans pression particulière a joué en sa faveur. Il y a aussi la stabilité de l'effectif et du staff technique qui a joué un rôle dans ce beau parcours.
Vous avez dit que les équipes africaines se sont sabordées. Ne pensez-vous pas que l'exemple type de l'«auto-sabordage» est ce qui est arrivé à la sélection du Cameroun ?
C'est vrai que l'équipe du Cameroun nous a habitués depuis fort longtemps à ce type de comportements incohérents, ou bien à la veille d'une compétition ou bien durant une compétition. En l'occurrence, il était difficile, c'est vrai, d'imputer toute la responsabilité de l'échec à Paul Le Guen puisque ce dernier avait pris l'équipe à un moment crucial où elle était distancée dans la course à la qualification pour le Mondial. Le Guen a su fédérer certains talents et conduire l'équipe à la qualification. Probablement, le fil des choses a dû lui échapper par la suite. On est alors retombé dans les travers connus au Cameroun, c'est-à-dire l'existence de certains clans, l'immixtion dans le sportif de certaines autorités, divergences entre certains joueurs… Oui, là il y a, il m'a semblé, un véritable sabordage dans cette équipe qui, au départ, avait des individualités importantes et, surtout, une expérience que peu de sélections africaines possèdent.
Qu'en est-il de la participation de la sélection algérienne ?
Personnellement, lors de mes pronostics initiaux, j'avais assez bien placé l'Algérie. Cette équipe me faisait penser à ce que j'ai dit du Ghana, à savoir qu'elle n'était pas destinée à s'illustrer dans ce Mondial mais qui, lors de la dernière CAN, avait fait montre de vertus collectives. Tous les joueurs jouaient pour chacun d'entre eux et chacun s'investissait pour le collectif. C'est une équipe qui marchait bien, comme cela avait été constaté contre la Côte d'Ivoire. Moi, j'aime bien Saâdane. C'est un homme pour lequel j'ai beaucoup de respect. D'abord, il connaît son job, qu'on le veuille ou non, qui n'a pas toujours eu la reconnaissance qu'on a bien voulu donner à certains de ses pairs étrangers. Je pense qu'il a la compétence et aussi la courtoisie, ce qui ne gâte rien dans ce monde de brutes aujourd'hui. J'avais donc exprimé pour l'Algérie davantage un pronostic de cœur qu'un pronostic de raison. A l'arrivée, c'est vrai que le dernier match des Algériens a avivé des regrets et montré que, abordé différemment, peut-être que les Algériens auraient pu animer la compétition beaucoup plus qu'il ne l'ont fait.
Vous pensez donc que l'Algérie a raté sa qualification pour les huitièmes de finale en perdant son premier match face à la Slovénie ?
C'est évident ! C'est dans ce match-là que les Algériens ont laissé passer leur chance. C'est mon sentiment. Face à un adversaire qui était largement à leur portée, ils n'ont pas répondu à l'attente. Cela fait regretter un peu que cette équipe-là, qui a su se reprendre complètement lors de la CAN après avoir raté ses débuts contre le Malawi, n'a pas su le faire au Mondial. Il est vrai que ce n'est pas le même niveau. Autant on peut se permettre, dans une CAN, de prendre un mauvais départ, autant c'est beaucoup plus délicat lorsqu'il s'agit d'un tournoi de niveau mondial.
L'Algérie a raté son premier match à cause, entre autres, d'une erreur commise par le gardien de but Faouzi Chaouchi, ce qui a valu à ce dernier d'être écarté des deux autres matchs et d'être remplacé par Raïs Mbolhi, inconnu du public algérien à ce moment-là, mais que vous connaissiez, vous, puisqu'il était à l'Olympique de Marseille lorsque vous étiez président de ce club. Son rendement vous a-t-il surpris ?
C'est vrai que j'étais agréablement surpris de revoir ce garçon. Il était dans le groupe de l'OM lorsque je suis arrivé à la tête du club. C'est un garçon qui avait comme marque absolue chez lui cette volonté de réussir et d'y arriver, même si, à l'Olympique de Marseille, certains techniciens ont douté qu'il puisse arriver au plus haut niveau. Il faut être honnête : si on n'avait pas douté de lui à l'OM, il serait resté.
Peut-être est-il parti parce qu'il y avait une forte concurrence à son poste à ce moment-là…
Certes, il y avait une forte concurrence, mais je pense qu'à cette époque-là, comme cela a toujours été le cas à l'Olympique de Marseille, les jeunes issus du centre de formation n'avaient pas toujours leurs lettres de créances. On ne leur fait pas autant confiance qu'on le fait à des joueurs venus de l'extérieur. En tout cas, j'ai été ravi de le voir jouer au Mondial, à ce haut niveau, et que les qualités que nous avions décelées chez lui existent bel et bien. En plus, il fait tout ça avec beaucoup d'humilité. Je pense que c'est ce qui manque un tout petit peu à son prédécesseur dans le but, Chaouchi. Ce dernier a beaucoup de qualités, mais il lui faut faire montre de plus d'humilité dans sa tenue, dans sa manière de faire, dans ses déclarations. Personnellement, j'avais noté ce manque d'humilité chez lui, ce qu'on ne retrouve pas chez M'bolhi.
On sait que vous avez comme ligne de conduite de ne jamais vous immiscer dans le travail des entraîneurs, mais si on vous avait consulté sur le cas M'bolhi à l'époque, l'auriez-vous laissé partir ?
Je ne veux pas ici jouer à celui qui savait et qui ne voulait pas parce que j'étais assez loin du domaine de la promotion des jeunes vers l'équipe première. Il y avait des techniciens dont c'était le travail et je leur faisais confiance. Ils venaient me parler des jeunes qui méritaient des contrats pro pour être gardés. S'il n'avait pas été retenu, cela a dû être le résultat de deux volontés : la sienne, puisqu'il avait souhaité se donner plus de chances ailleurs, et celle du club qui n'était sans doute pas prêt à miser complètement sur lui. C'est donc l'addition de ces deux volontés qui ont amené M'bolhi à partir. Personnellement, je ne pouvais pas prévoir, à l'époque, qu'il pourrait jouer à ce niveau-là. Même ce qu'il a fait au Mondial n'est qu'un ballon d'essai. C'est à lui maintenant de confirmer et traduire ce qu'il a fait en un prolongement qui puisse être permanent.
Ce prolongement, vous le voyez comme gardien de but d'une équipe de Ligue 1 ou en Premier League anglaise puisqu'on parle de lui à West Ham ?
Je pense que c'est un garçon qui a le potentiel et je dirai même le physique que les Anglais affectionnent : présent physiquement, costaud athlétiquement, appliqué… C'est un garçon qui peut être fait pour le championnat anglais. C'est tout le mal que je lui souhaite.
Il y a un autre joueur algérien que vu avez connu à Marseille : Karim Ziani. C'est alors qu'il s'était imposé au sein de ce club qu'il avait décidé de partir à Wolfsburg, où il a réalisé une saison plutôt mitigée. Pensez-vous qu'il aurait mieux fait de rester à l'OM ?
C'est le genre de réflexion qu'on se fait malheureusement toujours après. Au moment où il part, on ne peut pas savoir s'il fait un très bon choix ou pas. Vous avez raison de dire une chose : il a quitté l'Olympique de Marseille à un moment où, après une première saison assez mitigée, il avait réalisé une deuxième saison plutôt réussie. A-t-il bien fait ou pas de partir à ce moment-là ? Je ne le sais pas. Ce qui est certain, c'est que ses relations avec Gerets (l'entraîneur de l'époque, ndlr), autant elles étaient bâties sur une forme de malentendus au départ, autant elles s'étaient nettement améliorées au fil de la saison au point de devenir excellentes. C'est à partir de ce moment-là que Gerets a fait de Ziani l'un des piliers de son équipe. Je pense que si Gerets était resté, il ne serait pas parti.
Il aurait eu peur de Deschamps, le nouvel entraîneur ?
Non, pas de Deschamps en tant que personne, mais de la perspective de tout recommencer avec un nouvel entraîneur, avoir à nouveau à prouver. Je crois que cela a dû motiver son départ davantage que l'argument financier. C'est sûrement l'aspect sportif qui a dû prévaloir dans son choix. On sentait que c'est un garçon qui voulait progresser. Cela dit, le football allemand a ses particularités que Ziani n'a peut-être pas pu maîtriser.
On parle d'un retour en France, au sein d'un club de Ligue 1. Pensez-vous que c'est un environnement qui lui sied beaucoup mieux ?
Oui, même si je pense que Karim a des qualités pour s'imposer un peu partout. Je dois dire que j'ai été un peu déçu par ses prestations durant ce Mondial. C'était le garçon qui devait être le leader de son équipe, mais Karim a toujours ce petit défaut que je lui reprochais déjà à l'époque : un manque de détermination finale. Autant il est capable d'actionner une offensive, d'avoir une présence et de provoquer le danger, autant il lui manque ce côté tueur qui caractérise les grands joueurs. Je parle surtout de ses frappes de balle : elles sont parfois décochées au hasard, au petit bonheur la chance, alors qu'il a une très bonne frappe qui peut ramener des buts. A mon avis, il lui manque cette application finale qui pourrait faire du très bon joueur qu'il est aujourd'hui un grand joueur. C'est la volonté de conclure efficacement ses actions et de les mener à bout qui lui manque.
Mis à part M'bolhi, y a-t-il des joueurs algériens que vous avez découverts durant la CAN et dans ce Mondial ?
Durant la CAN, il y a eu un joueur qui m'avait plu : celui qui porte le numéro 13.
C'est Karim Matmour…
Oui, c'est Matmour. Je l'avais découvert en tant que joueur. Je lui trouve beaucoup de qualités. De plus, j'ai bien aimé la personne qu'il est puisque j'ai découvert, en discutant avec lui, qu'il est intelligent. J'ai beaucoup aimé également en défense le défenseur central qui joue en Algérie.
Il s'agit de Rafik Halliche. Il jouait en Algérie, mais il évolue au Portugal depuis plus de deux ans…
J'ai beaucoup apprécié son rendement. Je ne le connaissais pas. Il y a aussi un autre défenseur qui m'a plu. Il a joué comme arrière droit et on m'a dit qu'il jouait en Algérie.
C'est Abdelkader Laïfaoui, qui est arrière central de prédilection, mais qui peut aussi évoluer comme latéral droit…
Oui. Il est petit de taille, mais son rendement m'avait beaucoup frappé.
Si vous étiez encore président de l'Olympique de Marseille, l'un de ces joueurs vous aurait-il intéressé ?
Oui, le petit arrière droit. Si j'étais encore en poste, j'aurais demandé à mes techniciens de le suivre après la CAN. Il évolue à un poste où on ne veut pas investir de très grosses sommes et on préfère donner à de jeunes joueurs la chance de s'y imposer et d'y faire carrière. Donc, je l'aurais pris lui. J'aurais également gardé un œil sur le défenseur central.
Quel est votre favori pour la finale entre l'Espagne et les Pays-Bas, deux équipes techniques et très joueuses ?
On a tendance à donner l'Espagne comme favori. C'est vrai que les Espagnols ont fait preuve, de nombreuses fois, d'un redoutable réalisme depuis le début de la Coupe du monde. L'Histoire dit que jamais une équipe qui a perdu son premier match en Coupe du monde est parvenue à remporter le trophée au final. Est-ce que l'Histoire va changer ? Je ne le sais pas.
L'Histoire connaîtra déjà deux premières puisqu'aucun des deux finalistes n'a été champion du monde par le passé et ce sera la première fois qu'une sélection européenne sera sacrée en dehors de l'Europe. On dit «Jamais deux sans trois». Pourquoi pas donc une troisième première, avec l'Espagne qui remporterait le Mondial après avoir perdu son premier match ?
Alors, je vais essayer de faire le contre-pied de tout le monde en faisant de la Hollande mon favori.
Pourquoi ?
Parce que, si on prend les Hollandais individuellement, on voit qu'ils sont très forts eux aussi. De plus, ils auront un peu moins de pression que les Espagnols. Je crois que c'est à ce niveau-là que ça va se jouer, même si les Espagnols sont des joueurs super confirmés et super expérimentés.


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