«L'Algérie aurait pu marquer un ou deux buts face aux Anglais» Pour ceux qui eu la chance de le voir jouer, Giancarlo Antognoni était tout simplement un charmeur du ballon rond. Un artiste, comme on n'en voit rarement. Un numéro 10 qui pouvait vous marquer sa génération à vie. Il est l'égal de Zico, Zidane, Cruijff et Maradona, tant par sa vision du jeu que par la fluidité de ses dribbles. Pour les supporteurs de la Fiorentina, Antognoni est tout simplement la star la plus fidèle qu'ils aient vu défiler dans leur club. Même Baggio et Batistuta ont fini par les tromper en changeant de club. Mais pas lui. Jamais lui, malgré toutes les sollicitations des grands d'Europe. Aujourd'hui Giancarlo Antognoni est une légende vivante du football florentin, mais aussi de toute l'Italie qu'il mena aux côtés de Bruno Conti et Paulo Rossi au titre suprême de champion du monde en 1982. Le Buteur l'a rencontré à Monaco, lorsque Son Altesse Sérénissime Albert II l'a consacré aux côtés de Beckenbauer, Hugo Sanchez et Carlos Dunga. Voilà une vraie star qui ne prend pas les journalistes du Buteur pour des mouches ! Appréciez l'échange et surtout l'humilité… Avant tout, nous vous félicitons pour votre distinction de la part de Golden foot… Merci beaucoup. Franchement, je ne m'attendais pas à ce que mon nom soit retenu parmi ces géants du football mondial que sont Maradona, Zidane, Di Stefano, Zico, Rummenigge, Kopa, Fontaine, Romaria, Wheah et d'autres grands noms que le public a chéris et aimés partout à travers la planète. Concernant la distinction dont vous parlez, je suis vraiment honoré d'être associé dans cette soirée à des joueurs comme Beckenbauer, Hugo Sanchez et Dunga. Que pensez-vous du sacre de Francesco Totti ? Totti est un joueur exceptionnel qui a réalisé une carrière de très haut niveau, que ce soit avec la Roma ou l'Equipe d'Italie. Il a été champion du monde en 2006 en Allemagne et son jeu fait encore rêver beaucoup d'amateurs du beau football. Totti a été élu par un ensemble d'observateurs appartenant aux quatre coins du monde. Son titre est amplement mérité, au vu de ce qu'il a réalisé jusque-là, mais aussi ce qu'il représente tant en Italie que dans le monde entier. Que connaissez-vous du football algérien ? Je ne prétends pas connaître beaucoup de choses sur le football algérien. Mais je ne peux pas oublier l'exploit tonitruant réalisé par l'Equipe d'Algérie en 1982, notamment contre les Allemands, puisque cette année-là, j'ai été champion du monde avec mes coéquipiers. C'est donc logiquement que je me rappelle encore des détails de cette édition et donc de la surprise sensationnelle qu'a créée l'équipe d'Algérie. En plus de cela, je connais aussi l'incontournable Rabah Madjer qui a fait les beaux jours du FC. Porto et qui devait signer à l'Inter, avant qu'un problème de santé l'en empêcha. Je sais aussi que Zidane est d'origine algérienne et cela me suffit pour reconnaître que votre pays est un vivier de talents extraordinaires. Il m'est arrivé de croiser également l'Equipe d'Algérie en d'autres circonstances. Lesquelles ? C'était l'an dernier au centre de Coverciano. L'Equipe d'Algérie était venue à Florence pour préparer son match de qualification contre l'Egypte. Et comme je m'occupe des jeunes catégories au centre de Coverciano, je ne pouvais donc pas les rater. J'ai été très content d'apprendre que c'est l'Algérie qui s'était qualifiée au Mondial, car forcément, lorsque vous recevez une équipe chez vous et que vous la voyez se préparer, vous avez automatiquement le réflexe de la soutenir. La ville de Florence vous a porté bonheur et j'en suis ravi ! (Il sourit) Avez-vous vu les matchs de l'Algérie au Mondial ? Oui, j'ai vu l'intégralité du match de l'Algérie contre l'Angleterre et quelques séquences des deux autres, face à la Slovénie et aux USA. Je trouve que votre équipe ne s'est pas mal débrouillée dans ce Mondial, notamment face aux Anglais de Capello que les Algériens ont bien malmenés dans ce match. Il ne faut pas oublier que les Anglais faisaient partie des prétendants les plus sérieux pour le sacre final. Et qu'est-ce qui a retenu votre attention dans cette équipe d'Algérie ? C'est surtout la combativité affichée face aux Anglais. L'Algérie a montré beaucoup de détermination et de maîtrise. La circulation du ballon était fluide de la défense vers les attaquants. C'était agréable à suivre. Surtout qu'en face, il y avait des Anglais qui ne s'attendaient pas à être bousculés de la sorte. C'était une totale surprise pour eux. Les Algériens auraient bien pu marquer un ou deux buts, car ils avaient pris le contrôle du match, contrairement aux Anglais qui me semblaient en grande difficulté à chaque fois. Vers la fin du match, je me suis dit que ces Algériens avaient beaucoup de ressemblances dans leur manière de jouer aux Italiens. Ils ne lâchent rien du début à la fin. C'est un caractère propre aux Méditerranéens. Et quels sont les joueurs algériens qui vous ont marqué ? Je me rappelle d'un très bon gardien de but en plus d'un grand défenseur qui ressemble un peu à Cannavaro. Un défenseur au crâne rasé qui a brillé par son assurance et son abattage physique face aux Anglais. J'ai surtout apprécié le milieu du terrain et la défense dans cette équipe d'Algérie. Mais les Algériens ont été un peu frustrés de l'élimination de leur équipe, surtout qu'on n'a pas marqué le moindre but… Mais c'est cela le football. Regardez l'équipe d'Italie, le tenant du titre, qui s'est fait éliminer sans avoir brillé. La désillusion aussi était grande chez nous. Mais il faut parfois admettre que son équipe n'est pas la plus forte du moment. Il ne faut jamais dramatiser, tant qu'il y a la volonté de se remettre en question juste après. Que pensez-vous des joueurs algériens qui évoluent dans le Calcio ? Celui dont le nom me revient en premier est Mourad Meghni qui est arrivé très jeune en Italie, je crois que c'était à Bologne, il y a de cela une dizaine d'années. On a beaucoup parlé de lui, en disant que c'était un prodige et qu'on le surnommait le petit Zizou. On parle souvent des jeunes qui émergent en les galvaudant un peu trop à mon avis. Mais en ce qui concerne Meghni, je peux témoigner que c'est un joueur qui sait tout faire avec un ballon. Il est très doué, mais malheureusement, les blessures ne l'ont pas épargné jusque-là. La preuve, c'est qu'il a été empêché de jouer le Mondial. Mais je suis sûr qu'il a encore du temps pour rebondir. Ce serait bien qu'il se rétablisse une bonne fois pour toutes, afin de montrer tout son talent. Et Ghezzal le joueur de Bari ? Oui, Ghezzal ! Il jouait à Sienne la saison dernière, avant de rejoindre Bari cette année. C'est un joueur très combatif qui ne s'arrête jamais de courir de la première à la dernière minute. Il a une endurance impressionnante qui l'aide beaucoup à s'imposer. C'est un joueur très utile dans une équipe. Et Mesbah de Lecce ? Je ne l'ai pas bien suivi, Malheureusement. Je ne peux donc pas vous dire ce que j'en pense. Mais j'estime que s'il a pu gagner une place de titulaire dans l'équipe championne de la Serie B, ce n'est sans doute pas pour ses beaux yeux. Beaucoup de gens pensent que la Serie B est facile. Détrompez-vous ! C'est toujours très dur d'accéder en Serie A. Et Yebda de Naples ? Lui aussi, je ne l'ai pas encore vu jouer assez pour porter un jugement crédible sur sa valeur. Je ne l'ai vu que dans un seul match face à la Roma. Ce n'est pas suffisant pour donner un avis juste sur un joueur. Mais si Naples l'a intégré dans son projet de rebâtir une grande équipe qui jouera les premiers rôles, ce n'est pas par hasard. J'attends de le voir un peu plus pour vous en parler. Revenons au joueur exceptionnel que vous étiez. Vous êtes resté fidèle à la Forentina jusqu'au bout, alors que tous les grands clubs d'Europe rêvaient de vous faire signer. Pourquoi cet attachement ? Tout simplement parce que la Fiorentina a été plus qu'un club de football pour moi. C'est toute ma vie, ma famille. Je ne pouvais pas m'imaginer aller ailleurs, même si j'avais gagné un deuxième titre de champion du monde. Aucun club ne pouvait me faire changer d'avis. C'était impensable pour moi et pour les supporteurs qui me le rendent bien à ce jour. Florence, c'est ma ville, ma famille et toute ma vie. Tout est beau dans cette ville et je m'y sens encore très bien chez moi. Mais la Fiorentina n'a gagné qu'un seul titre en 15 ans de carrière avec la Fiorentina. N'avez-vous pas de regrets aujourd'hui ? Sincèrement, je n'ai aucun regret dans ce sens, même si comme vous dites, je n'ai gagné que la Coupe d'Italie en 1975 contre le Milan AC (3-2) dans un match très palpitant dont je me rappelle à ce jour les sensations. Mais au-delà de ces titres que vous évoquez et que j'aurais sans doute pu gagner si j'étais allé dans un autre club à l'époque, il y a autre chose que j'ai gagné à Florence, c'est l'amour du public. Lorsque je me balade dans la ville, croyez-moi, je vois encore dans les yeux des gens cet amour qu'ils me vouent, en plus d'une reconnaissance infiniment plus grande que tous les titres du monde. Je me sens bien dans ma ville et à chaque sourire, je gagne un autre titre. C'est cela que j'ai gagné à Florence et pour rien au monde, je ne changerai cela par des titres. Je fais partie des gens qui pensent que l'Honneur est plus grand que les honneurs !