«Certains joueurs sont encore des gamins» «Une élimination à la CAN ne sera pas une catastrophe» Dans un long entretien accordé au site footafrica.com, Rabah Saâdane donne son avis sur le match Algérie-Maroc et revient sur les chances des joueurs algériens qu'il connaît si bien de gagner ce match. Une chose est sûre, les analyses de Cheïkh Saâdane sont précieuses. Entretien ! M. Saâdane, l'Algérie a accumulé les mauvais résultats depuis le Mondial. Ces Fennecs, que vous connaissez si bien, peuvent-ils inverser la tendance ce dimanche face au Maroc ? C'est un match compliqué et très indécis. Sur le plan psychologique, l'Algérie joue à domicile, elle est clairement sous pression maximale, il faut gagner pour se relancer. Il est vrai que les mauvais résultats se sont accumulés pour l'équipe qui ne s'est pas regroupée depuis quatre mois. Et là, elle se retrouve directement balancée sur un match officiel, il est vrai que c'est un gros point d'interrogation. Comment peut-on expliquer cette baisse de régime des Algériens ? Au sortir de la Coupe du monde, les joueurs algériens étaient en méforme. Je l'avais prédit en dénonçant le délai trop court entre le Mondial et la reprise en match officiel. Personne n'avait rien vu venir, alors que j'ai expliqué aux médias qu'il fallait nous soutenir à ce moment-là, car les joueurs n'étaient pas au top. C'était évident. Les Marocains étaient aussi face à cette problématique, ils ont d'ailleurs été accrochés à domicile par la Centrafrique (0-0). Alors qu'eux n'avaient pas participé à la Coupe du monde. Aujourd'hui, la situation est différente. Les joueurs sont maintenant en forme car la saison bat son plein et qu'ils ont des matchs dans les jambes. A quelques jours de la rencontre (ndlr : entretien réalisé mercredi 23 mars), toute l'Algérie ne vit plus qu'au rythme de ce match. Cette attente et cette passion peuvent-elles, selon vous, être contre productive ? C'est la clé du match. Reste à savoir comment les joueurs et le staff vont-ils gérer cette forte pression imposée par la presse et le public. 14 000 personnes présents aux premiers entraînements des Verts, et peut être encore plus dehors. L'entraînement a été arrêté avant son terme en raison de débordements. Est-il possible de préparer sereinement une rencontre dans cette ambiance ? Les Algériens ont un amour fou pour leur Equipe nationale. Du coup, il y a trop de pression. Et ce n'est pas une critique, mais nous avions opté pour une préparation à l'étranger avant les deux rencontres face à l'Egypte. Et par la suite, on a débarqué au pays à 48 heures du coup d'envoi. Car je pense que les joueurs doivent être libérés en ayant évacué la pression des jours précédents. Peut-être aurait-il été utile de faire la même chose ? A y regarder de plus près, on a l'impression que tous les indicateurs sont au rouge pour les Fennecs. Toutefois, on y croit fort de la part des supporters algériens ? Individuellement, les joueurs sont en forme. Le problème qui se pose est le fait que les joueurs ne se soient pas retrouvés depuis quatre mois. Cependant, ils peuvent compenser cela par de la volonté. Les Algériens sont capables de se surpasser sur un match. Mais ils peuvent être aussi tétanisés par la forte pression. Je le répète, nous sommes imprévisibles. On peut faire un grand match comme on peut passer complètement à côté. Pour la première fois depuis très longtemps, l'Algérie quitte son jardin de Blida pour jouer à Annaba. Cela peut-il perturber les joueurs ? Et Annaba est-elle plus fervente que Blida ? Oui, je pense que ça compte. Car les joueurs avaient leurs repères au stade Tchaker. Mais Annaba est une ville qui respire très fort le football. Je dis cela car le stade du 5-Juillet d'Alger est quant à lui catastrophique à ce niveau-là. Quand ça se passe mal, les supporters commencent à réclamer la présence des joueurs des clubs de la capitale. J'avais été le premier à avoir fait le choix de domicilier les matchs des Verts à Annaba. C'était en 1999 et ce fut un succès, car nous nous étions qualifiés pour la CAN-2000. Je pense que l'ambiance sera même plus chaude qu'à Blida, car le stade est situé dans une cuvette, on a l'impression que les supporters sont au-dessus de la tête des joueurs. C'est impressionnant. Mais cette histoire de stade est un paramètre important, mais pas essentiel. Il y a aussi les absences de Halliche et de Matmour… C'est-à-dire ? Je regrette les absences de ces deux joueurs. Même s'ils ne jouent pas dans leurs clubs respectifs, ce sont des gens importants qui peuvent faire la décision, en ne jouant qu'une partie du match. D'ailleurs, je le faisais par le passé pour Ziani qui ne jouait pas à Marseille. Pour moi, Halliche et Matmour sont deux grands messieurs et ils sont indispensables à l'Equipe nationale. Vous avez aussi coaché au Maroc, quelles sont les différences ? Au Maroc, je me suis adapté très facilement. J'ai gagné la Coupe d'Afrique des clubs champions avec le Raja. Les deux pays ne sont pas très différents. Il y a même beaucoup de similitudes. Les joueurs ont les mêmes caractéristiques : une grosse qualité technique, de la vitesse et de la force. Et mentalement… En Algérie, il y a un petit plus de ce côté qui est le fruit de l'histoire géopolitique du pays. C'est un pays qui a été constamment envahi, et qui a développé une forme de réaction face à l'adversité. Au Maroc, c'est beaucoup plus calme, plus tempéré et apaisé. Mais encore une fois, même sur le fond, c'est globalement la même chose. Que pensez-vous de cette équipe marocaine qui a été récemment reconstituée, ne manque-t-il pas de cohésion ? Au contraire, je pense que c'est l'Algérie qui a vu sa cohésion s'effriter. Au sortir du Mondial, il y a eu trop de pression pour qu'on revienne à notre meilleur niveau. Quant au Maroc, depuis toujours, ce pays recèle des individualités de très haut niveau. Plus fort que l'Algérie ? Oui. Sur le papier, c'est comparable à la Côte d'Ivoire. Tous les attaquants sont connus au niveau mondial. Je pense notamment à Chamakh, El Hamdaoui ou El Arabi, ce sont des joueurs très performants en club. Maintenant, même si l'arrivée de Gerets fut un peu tardive, je pense que c'est une équipe qui est en train de monter en puissance. La cohésion maximale, on ne peut pas l'avoir tout de suite. Cela me rappelle ce que j'ai vécu avec l'Algérie quand nous commencions à retrouver le haut niveau. Il y a un esprit sain et une bonne ambiance. Et que représente ce match pour eux dans leur nouvelle dynamique ? C'est un grand test pour eux. C'est un derby maghrébin, et même s'ils jouent des derbies en Angleterre ou ailleurs, là, ça risque d'être plus chaud. Et pour Eric Gerets qui a aussi une sacrée expérience, l'ambiance et la pression en Algérie, ce n'est pas le championnat d'Arabie Saoudite. Néanmoins, ce sont des professionnels qui sont capables de gérer ce match pas comme les autres. Vous avez parlé de la qualité offensive du Maroc. N'est-ce pas le grand point faible de l'Algérie, qui n'avait pas inscrit le moindre but au Mondial ? C'est vrai, mais il faut analyser ce problème sous plusieurs aspects. Il y avait un manque de cohésion offensive et nous n'avions pas de grands talents en attaque, même si nos attaquants sont des joueurs de qualité. Regardez l'Uruguay, c'est Diego Forlan qui a tiré cette équipe en demi-finale. Si vous deviez jugez cette équipe algérienne que vous avez dirigée pendant trois ans, quels sont les enseignements qu'on pourrait tirer ? Je peux vous dire que si l'Algérie a progressé ces dernières années, c'est que nous avions de la qualité humaine. Nous avions une base de joueurs et même s'ils ne jouaient pas dans les meilleurs clubs, c'était des joueurs de qualité. Je connaissais parfaitement nos points forts et faibles. J'ai joué avec les potentialités que j'avais en ma possession. Sportivement, je dirais qu'on a un excellent milieu de terrain, une bonne assise défensive et de bons gardiens. Devant, il y a de bons attaquants, mais pas de buteur de niveau mondial. On a fait évoluer le groupe initial avec l'arrivée de joueurs de valeurs comme Yebda, Meghni ou Mbolhi. On a rajeuni l'effectif avec l'incorporation de plusieurs joueurs de 23 ans avec notamment le jeune Boudebouz qui a encore besoin de progresser. Ces joueurs vont arriver à maturité d'ici deux à quatre ans et vont suppléer ceux qui seront en fin de carrière. Il y a une transition qui est en train de se faire. Et les joueurs du championnat d'Algérie ? Ici, il y a de la qualité, mais les clubs ne produisent pas des joueurs de haut niveau. On a beaucoup de jeunes, il faut créer des centres de formation. On a commencé un petit peu, sur le plan organisationnel. C'est une opération qui pourrait durer 10 ans. Je suis pour le travail au niveau des jeunes, et on récoltera les fruits. Les exemples sont là, notamment la France qui est très proche et qui possède actuellement les meilleurs centres de formation. Il n'y a qu'à voir les joueurs français qui réussissent un peu partout. Maintenant entre la réalité et la pratique, la difficulté est évidemment-là. Les gens veulent des solutions miracles… Après le Mondial 1998, Aimé Jacquet a été propulsé à la tête de la DTN en France. Ne peut-on pas imaginer la même chose avec vous, après votre campagne de trois ans avec les Verts ? J'ai eu récemment le président Raouraoua qui m'a relancé pour ce poste. Pour l'instant, je n'ai pas répondu favorablement. Car je suis pris ailleurs. On verra, c'est quelque chose que j'ai à l'esprit et que je n'écarte pas. Dites-nous ce que vous faites actuellement? Je suis consultant sur Nessma TV, même si là, il y a eu des soubresauts politiques qui ont suspendu mon activité. Cela devrait rentrer dans l'ordre à partir de ce lundi. Il est prévu que je puisse reprendre ma liberté pour entraîner, mais la situation qui prévaut dans le monde arabe actuellement n'est pas forcément propice pour discuter de challenge sportif. Avez-vous toujours envie d'entraîner, surtout à l'approche de match face au Maroc, les Verts ne vous manquent-ils pas ? L'envie d'entraîner est toujours là, mais être sur le banc face au Maroc, sincèrement je n'en ressens pas du tout le manque. Prendre du recul m'a fait beaucoup de bien ainsi que pour ma famille. Cette équipe d'Algérie a trop grandi, et la pression qui va avec aussi. Elle a pris de l'ampleur. Je suis resté trois ans à la tête des Verts, et croyez-moi passer tout ce temps, c'est rare et dur dans le football moderne. Il y a trop de pression, trop de connaisseurs (ironique…) Au fond, ça ne me dérangeait pas mais il y a l'influence de certains médias. On m'a par exemple reproché d'avoir fermé le jeu, et si je l'avais ouvert et qu'on avait pris des raclées comme la Corée du Nord. Qu'est-ce qu'auraient dit les gens ? Finalement, on a l'impression d'être un incompris. C'est-à-dire… On a réalisé un miracle et un exploit avec cette équipe, et j'en suis très heureux. Parce que croyez-moi, les gens ne connaissent pas à fond les caractères des joueurs. (Rires…) Y en a certains, il faut les gérer. Mais on a su s'en sortir car ils ont été corrects et n'ont pas dérapé. Ils étaient positifs, même si certains sont des gamins qui ne savent pas gérer leur carrière. Je les ai orientés plusieurs fois, en leur disant que je préfère que tu joues en 2e division en étant titulaire, mais en Algérie, ils préfèrent l'argent à la carrière sportive. Et nous, on les récupère ainsi en Equipe nationale, on ne peut pas tout gérer. En plus, il y a aussi parfois un environnement familial qui dirige. Plus je pense à toutes ces problématiques, plus je me dis que c'est formidable ce qu'on a réalisé. Aller en demi-finale d'une CAN et au Mondial ! Hervé Renard, l'ancien sélectionneur de la Zambie, et qui entraîne désormais l'USM Alger, nous a dit lors d'un récent échange que la clé de l'Equipe nationale d'Algérie était Karim Ziani. Qu'en pensez-vous ? (Silence…) En général, je préfère parler du groupe. Chacun apporte. Maintenant concernant Karim, je sais qu'il y a une vidéo qui traîne sur le net, qui montre qu'il est très souvent à l'origine des buts des Verts, même s'il ne marque pas. C'est un joueur important, un gagneur avec un mental de battant. Il s'est forgé très jeune en Equipe nationale, Il a du métier, du caractère et je suis sûr que lui Bougherra ou Yahia vont impulser le rythme à leurs camarades pendant cette rencontre face au Maroc. Avec du recul, quels sont les matches références que vous avez dirigés avec cette sélection ? Je pense que les grands matches ce sont ceux face à la Côte d'Ivoire en quarts de finale de la CAN (3-2 a.p.) et face à l'Angleterre au Mondial (0-0). Contre les Anglais, on a fini avec une meilleure possession de balle. Je me suis dit, je suis sur la bonne voie, on est en train d'acquérir un fond de jeu. J'ai joué avec les moyens que j'avais. Donnez-moi un joueur algérien qui joue dans les 4 meilleurs clubs des grands championnats européens. Il n'y en a pas. Il y en a aucun… Algérie-Maroc peut-il être aussi tendu que les matches face à l'Egypte ? Non, je ne le pense pas. Je suis sûr qu'il y aura une grande sportivité, mais sur le terrain, le match sera difficile et dur. Il y a beaucoup de respect entre les deux pays. Je me souviens qu'on a été gagné là-bas, et qu'ils sont venus aussi gagner chez nous, ça s'est toujours bien passé. J'ai gagné la C1 avec le Raja à Oran, on avait été bien reçus et sommes repartis tranquillement. Là, je prends le temps de regarder les images des supporters algériens à Annaba, et je sais qu'ils vont bien accueillir nos frères marocains. Après sa contre-performance en Centrafrique, votre successeur Benchikha est déjà dos au mur… C'est une grosse pression, c'est la première qu'il joue en Algérie avec les Verts. C'est un tournant, un moment clé. Il faut gagner… Ce sera une bataille psychologique et tactique. Même si les Marocains jouent à l'extérieur, ils sont dans des meilleures conditions car l'Algérie est dos au mur, elle n'a pas le choix. Qui est selon vous le favori de cette rencontre ? Difficile à dire. Les joueurs sont au top. Collectivement, les deux équipes se cherchent. La clé du match, c'est la pression. Qui saura mieux la gérer ? Comment vont-ils arriver au match ? Comment vont-ils réagir quand le public va pousser ? Il faudra se maîtriser, et avoir une concentration maximale, l'équipe qui répondra au mieux à ces questions sera le plus près du but. Comme je le dis souvent, c'est la face cachée du football qui est la plus importante. Une élimination à la CAN 2012 serait-elle catastrophique pour les Verts ? Si vous demandez aux responsables et aux techniciens, ils vous répondront que ce n'est pas une catastrophe. Par le passé, on avait raté deux CAN successives avant de se qualifier au Mondial et terminer demi-finaliste de la dernière CAN. Il faut s'asseoir autour d'une table et discuter pour repartir sereinement sur de meilleures bases. Maintenant, je sais qu'une partie du public et des médias ne l'accepteront pas et ne le comprendront pas. Je ne souhaite pas qu'on se retrouve dans cette situation. Et j'espère qu'ils feront un résultat positif.