Il est l'homme aux trois Coupes du monde avec l'Algérie. Il est aussi l'entraîneur qui a permis au club marocain du Raja Casablanca en 1989 de remporter la Coupe d'Afrique des clubs Champions face aux Algériens du MC Oran. Qui donc mieux que le Cheikh Rabah Saâdane pouvait livrer à footafrica365.fr son avis et son expertise sur la rencontre de ce dimanche entre l'Algérie et le Maroc ? Paroles de sage. Rabah, l'Algérie a accumulé les mauvais résultats depuis le Mondial. Ces Fennecs, que vous connaissez bien, peuvent-ils inverser la tendance ce dimanche face au Maroc ? C'est un match compliqué et très indécis. Sur le plan psychologique, l'Algérie joue à domicile, elle est clairement sous pression maximale, il faut gagner pour se relancer. Il est vrai que les mauvais résultats se sont accumulés pour les Verts, qui ne s'est pas regroupés depuis quatre mois. Et là, ils se retrouvent directement balancés sur un match officiel. Il est vrai que c'est un gros point d'interrogation. Comment peut-on expliquer cette baisse de régime des Algériens ? Au sortir de la Coupe du monde, les joueurs algériens étaient en méforme. Je l'avais prédit, et avais dénoncé le délai trop court entre le Mondial et la reprise en match officiel. Personne n'avait rien vu venir, alors que j'ai expliqué aux médias qu'il fallait nous soutenir à ce moment-là, car les joueurs n'étaient pas au top. C'était évident. Les Marocains étaient aussi face à cette problématique, ils ont d'ailleurs été accrochés à domicile par la Centrafrique (0-0), alors qu'eux n'avaient pas participé à la Coupe du monde. Aujourd'hui, la situation est différente. Les joueurs sont maintenant en forme car la saison bat son plein et qu'ils ont des matches dans les jambes. A quelques jours de la rencontre (entretien réalisé mercredi 23 mars), toute l'Algérie ne vit plus qu'au rythme de ce match. Cette attente et cette passion peuvent-elles selon vous être contre-productives ? C'est la clé du match. Comment les joueurs et le staff vont-ils gérer cette forte pression imposée par la presse et le public ? 14 000 personnes présentes aux premiers entraînements des Verts, et peut-être encore plus dehors. L'entraînement a été arrêté avant son terme en raison de débordements. Est-il possible de préparer sereinement une rencontre dans cette ambiance ? Les Algériens ont un amour fou pour cette équipe nationale. Du coup, il y a trop de pression. Et ce n'est pas une critique, mais nous avions opté pour une préparation à l'étranger avant les deux rencontres face à l'Egypte. Et par la suite, on a débarqué au pays à 48 heures du coup d'envoi. Car je pense que les joueurs doivent être libérés et ne pas avoir accumulé la pression les jours précédents. Peut-être aurait-il été utile de faire la même chose ? A y regarder de plus près, on a l'impression que tous les indicateurs sont au rouge pour les Fennecs. Quelles sont les raisons d'y croire pour les supporters algériens ? Individuellement, les joueurs sont en forme. Les problèmes qui se posent sont que les joueurs ne se soient pas retrouvés depuis quatre mois. Cependant, ils peuvent compenser par la volonté. Les Algériens sont capables de se surpasser sur un match. Mais ils peuvent être aussi tétanisés par la forte pression. Je le répète, nous sommes imprévisibles. On peut faire un grand match... comme passer complètement à côté. Pour la première fois depuis très longtemps, l'Algérie quitte son jardin de Blida pour jouer à Annaba. Cela peut-il perturber les joueurs ? Et Annaba est-elle plus fervente que Blida ? Oui, je pense que ça compte. Car les joueurs avaient leurs repères au stade Tchaker. Mais Annaba est une ville sportive, et l'est de l'Algérie ou les villes de l'intérieur supportent l'Algérie. Je dis cela car le stade du 5-Juillet à Alger est quant à lui catastrophique à ce niveau-là. Quand ça se passe mal, les supporters commencent à réclamer la présence des joueurs des clubs de la capitale. J'avais été le premier à avoir fait le choix de domicilier les matches des Verts à Annaba ; c'était en 1999 et ce fut avec succès car nous nous étions qualifiés pour la CAN 2000. Je pense que l'ambiance sera même plus chaude qu'à Blida, car le stade est situé dans une cuvette, et on a l'impression que les supporters sont au-dessus de la tête des joueurs. C'est impressionnant. Mais cette histoire de stade est un paramètre important mais pas essentiel. Il y aussi les absences de Halliche et de Matmour… C'est-à-dire ? Je regrette l'absence de ces deux joueurs. Même s'ils ne jouent pas dans leurs clubs respectifs, ce sont des gens importants qui peuvent faire la décision en ne jouant qu'une partie du match. D'ailleurs, je le faisais par le passé pour Ziani qui ne jouait pas à Marseille. Pour moi, Halliche et Matmour sont deux grands messieurs et ils sont indispensables à l'équipe nationale. Vous avez entraîné dans les deux pays. Quelles sont les différences entre les Algériens et les Marocains ? Au Maroc, je me suis adapté très facilement. J'ai gagné la Coupe d'Afrique des clubs champions avec le Raja. Les deux pays ne sont pas très différents. Il y a même beaucoup de similitudes. Les joueurs ont les mêmes caractéristiques : une grosse qualité technique, de la vitesse et de la force. Et mentalement… En Algérie, il y a un petit plus de ce côté qui est le fruit de l'histoire géopolitique du pays. C'est un pays qui a été constamment envahi et qui a développé une forme de réaction face à l'adversité. Au Maroc, c'est beaucoup plus calme, plus tempéré et apaisé. Mais encore une fois, même sur le fond, c'est globalement la même chose. Que pensez-vous de cette équipe marocaine qui va se présenter ce dimanche à Annaba ? Le groupe, qui a été récemment constitué, ne manque-t-il pas de cohésion ? Au contraire, je pense que c'est l'Algérie qui a vu sa cohésion s'effriter. Au sortir du Mondial, il y a eu trop de pression pour qu'on revienne à notre meilleur niveau. Quant au Maroc, depuis toujours, ce pays recèle des individualités de très haut niveau. Plus fort que l'Algérie ? Oui. Sur le papier, c'est comparable à la Côte d'Ivoire. Tous les attaquants sont connus au niveau mondial. Je pense notamment à Chamakh, El Hamdaoui ou El Arabi, qui sont des joueurs très performants en club. Maintenant, même si l'arrivée de Gerets fut un peu tardive, je pense que c'est une équipe qui est en train de monter en puissance. La cohésion maximale, on ne peut pas l'avoir tout de suite. ça me rappelle ce que j'ai vécu avec l'Algérie quand nous commencions à revenir au haut niveau. Il y a un esprit sain et une bonne ambiance. Et que représente ce match pour eux dans leur nouvelle dynamique ? C'est un grand test pour eux. C'est un derby maghrébin, et même s'ils jouent des derbies en Angleterre ou ailleurs, là, ça risque d'être plus chaud. Et pour Eric Gerets qui a aussi une sacrée expérience, l'ambiance et la pression en Algérie, ce n'est pas le championnat d'Arabie saoudite. Néanmoins, ce sont des professionnels qui sont capables de gérer l'événement. Vous avez parlé de la qualité offensive du Maroc. N'est-ce pas le grand point faible de l'Algérie, qui n'avait pas inscrit un seul but au Mondial ? C'est vrai, mais il faut prendre ce problème sous plusieurs aspects. Il y avait un manque de cohésion offensive et nous n'avions pas de grands talents en attaque, même si nos attaquants sont de bonne qualité. Regardez l'Uruguay, c'est Diego Forlan qui a tiré cette équipe en demi-finale. Si vous deviez juger cette équipe algérienne qui vous avez dirigé pendant trois ans, quels sont les enseignements qu'on pourrait tirer ? Je peux vous dire que si l'Algérie a progressé ces dernières années, c'est que nous avions de la qualité humaine. Nous avions une base de joueurs, même s'ils ne jouaient pas dans les meilleurs clubs. C'était des joueurs de qualité. Je connaissais parfaitement nos points forts et faibles. J'ai joué avec les potentialités que j'avais en ma possession. Sportivement, je dirai qu'on a un excellent milieu de terrain, une bonne assise défensive et de bons gardiens. Devant, il y a des bons attaquants mais pas des buteurs de haut niveau mondial. On a fait évoluer le groupe initial avec l'arrivée de joueurs de valeur comme Yebda, Meghni ou Mbolhi. On a rajeuni l'effectif avec l'incorporation de plusieurs joueurs de 23 ans, avec notamment le jeune Boudebouz, qui a encore besoin de progresser. Ces gens-là vont arriver à maturité d'ici deux à quatre ans et vont suppléer ceux qui seront en fin de carrière. Il y a une transition qui est en train de se faire. Et les joueurs du championnat d'Algérie… Ici, il y a beaucoup de qualités, mais les clubs ne produisent pas des joueurs de haut niveau. On a beaucoup de jeunes, il faut créer des centres de formation. On a commencé un petit peu, sur le plan organisationnel. C'est une opération qui pourrait durer 10 ans. Je suis pour qu'on travaille au niveau des jeunes, et on récoltera les fruits. Les exemples sont là, et notamment la France qui est très proche, qui est actuellement le meilleur pôle de formation. Des joueurs français qui réussissent un peu partout. Maintenant, entre la réalité et la pratique, la difficulté est évidemment là. Les gens veulent des solutions miracles…