Fonctionnaires, salariés et retraités expriment leur désarroi face à la faiblesse persistante de leur pouvoir d'achat. “C'est un jeu d'enfants ou quoi ? On nous distribue des bonbons pour faire taire nos jérémiades. Comme si se plaindre de malvie est un caprice !”. L'ironie que dessine le sourire contrarié du vieil homme cadre mal avec la détresse de son regard. Pendant plus de quarante ans, son regard a pourtant embrassé les rêves les plus fous, les plus illusoires. Opérateur projectionniste à l'Office national du cinéma, le vieux Saïd a parcouru le territoire national. Il voyageait à bord d'un mobile home et faisait découvrir le monde aux populations encore tenues prisonnières de la pauvreté. Les films faisaient sa vie. Mais sa vie s'avérera être un mauvais film. “À mon époque, l'argent n'était pas tout. Pendant de longues années, je touchais à peine 500 DA. Pour autant, je n'étais pas malheureux. Je pouvais pourvoir aux besoins de ma famille, remplir les panses de mes enfants sans craindre des lendemains affamés”, confie Saïd nostalgique. Accroupi dans un angle de la rue Meissonnier à Alger, le sexagénaire désenchanté supporte mal le poids des ans. Il s'élève contre l'ingratitude du sort mais surtout contre la cruauté des hommes et leur égoïsme. “Dites à ces gens qui nous gouvernent que nous ne sommes pas des enfants. Nous avons consumé notre jeunesse pour une retraite en enfer”, éructe notre interlocuteur dans une terrible confession. “2 000 DA ?! (Montant de relèvement du Salaire national minimum garanti, ndlr) Vous pensez qu'une telle augmentation de ma pension pourrait changer quelque chose à mon quotidien ? Au temps où je touchais 500 DA, la viande ne coûtait pas plus de 90 douros (centimes). Aujourd'hui, je la mendie à l'occasion de chaque Aïd chez les bienfaiteurs. Vous pensez que 2 000 DA de plus dans ma retraite me permettrait de l'acheter ?” demande Saïd dépité. De ses quarante ans de carrière, des moments de détente qu'il a semés dans les quatre coins du pays, il a récolté juste 9 000 DA. Entre-temps, une progéniture nombreuse est venue alourdir sa charge. Aujourd'hui, de ses huit enfants, une seulement travaille. Elle est couturière à domicile. Dans la maison familiale située au boulevard des Martyrs, à proximité du siège de la télévision, la jeune fille reçoit ses clientes dans la cuisine qui sert de chambre à son père chaque nuit. “Je n'ai pas où dormir.” Dans le minuscule F2 occupé à l'Indépendance, l'unique autre pièce abrite les nuitées de la mère et de la vaste marmaille. “J'eus beau demander un logement social. Rien n'y fit. Pensez-vous qu'un relèvement de 2 000 Da me permettra de construire une villa comme celle de Bouteflika ou des généraux ?!”, plaisante le vieux retraité. En attendant, pour entretenir son vieux réduit, payer le loyer, les factures d'eau et d'électricité, il vend quelquefois des chaussettes à même le trottoir. “N'beznès kima el-ghachi” (je fais du business comme tout le monde), confie-t-il. Hélas, les affaires marchent mal. À chaque descente de la police, l'ancien projectionniste devenu chaussetier est obligé de remballer sa marchandise et de prendre la fuite comme dans une comédie à la Charlie Chaplin. Le “faux suspense” de Sidi Saïd “Oui, il a raison. Tout ça n'est que du cinéma.” Intervenant dans la discussion, l'homme qui parle est également un vétéran de la Fonction publique. Pendant plus de trente ans, il a occupé le poste d'agent de bureau dans une administration publique. Aujourd'hui à la retraite, il doit compter sur des subsides pour survivre. “Ils nous font marcher à chaque fois, le gouvernement, l'UGTA…”, se plaint Ahmed. Dénonçant le faux suspense entretenu par la Centrale syndicale, il fustige ses responsables syndicaux. “Ils ont promis de négocier pour un relèvement du Snmg à hauteur de 15 000 DA. Finalement, ils n'ont obtenu qu'une broutille. Pensent-ils que nous allons les applaudir pour ça ?”, s'écrie-t-il très déçu. Ahmed a également des enfants. Deux en tout. L'un est encore étudiant, tandis que l'autre, diplômé depuis quelques années, désespère de dénicher un emploi. “Il vit de ma pension, alors qu'il peut normalement subvenir à ses besoins”, regrette le père. Sans illusion, il sait que son fils ne sera pas plus heureux s'il trouvait du travail. “Son destin sera comme le mien. Alors, à quoi bon !”, décrète Ahmed, malheureux. S'élevant à 8 000 DA (soit le montant du Snmg avant sa revalorisation), sa pension a, certes, connu quelques réaménagements au fil des années. Toutefois, plus le montant de la cagnotte augmentait, plus il s'appauvrissait. “Que me feront 2 000 DA de plus, si les prix augmentent sans cesse. Allez dans les marchés. Lisez les ardoises. Vous saurez que 2 000 DA, c'est rien !” Craint comme un raz-de-marée, le mois de ramadhan revêt chez Ahmed un visage effarant. “Comme chaque année, ce sera sans viande”, annonce le futur jeûneur en se référant à l'augmentation vertigineuse des prix de la volaille. Après un lourd silence, sans doute consacré aux pires ruminations, il assène cette sentence terrible : “Dans ce pays, pour vivre, il faut voler. Les plus puissants ont réussi à bâtir des fortunes en dilapidant les biens du peuple. Le peuple, lui, se débrouille comme il peut. Tchipa, pots-de-vin, tout est bon pour arrondir les fins de mois.” Agent de sécurité depuis 1974 dans le centre sanitaire de Sidi M'hamed, Hocine touche 12 000 DA. Son salaire de base n'excède pas 6 000 DA. Tout le reste est le produit de différentes primes. “Arrivé à la retraite, je toucherai combien ? Il ne me restera qu'à mendier”, prévoit-il, fataliste. 150 DA d'Augmentation Se rappelant la dernière augmentation des indemnités, intervenue au cours de la bipartite organisée durant l'automne dernier, il rit à l'évocation de certains montants. “Certains ont découvert 150 DA de plus sur leur fiche de paie”, confie Hocine encore désarçonné. Pour sa part, cela fait longtemps qu'il ne croit plus au miracle. 2 000 DA de plus ou de moins, ce n'est pas cela qui va changer son existence. Empêtré dans des obligations familiales sans fin, son collègue est du même avis. Celui-ci a deux enfants et ne touche même pas le Smig. “Si ce n'était pas l'amabilité des épiciers du quartier qui me vendent à crédit, certains jours, je n'ai même pas de quoi acheter une baguette de pain”, confie le pauvre bougre. Et pour cause, si survivre est pour lui un défi quotidien, c'est parce que notre second agent de sécurité n'est pas répertorié, comme son collègue, dans les rangs de la Fonction publique. Recruté dans le cadre de l'emploi des jeunes, sa vie est suspendue au contrat qui le lie au secteur sanitaire. Mais après ? Vendeur de cigarettes, Sid Ali avait bénéficié de la même formule. Mais pas pour longtemps. Après plus d'une année de travail dans une banque publique comme planton, il s'est retrouvé à nouveau à la rue. “Pour rester, je devais payer. Je n'avais pas d'argent”, dénonce le jeune homme, outré. Depuis cette expérience malheureuse, il ne jure que par l'entreprise privée. “Qui sait, peut-être que je m'en sortirai ! En tout cas, hormis les policiers, personne ne pourra me chasser de ce coin, ni me retirer mon gagne-pain”, s'esclaffe-t-il dans un regain d'espoir. De son revenu, vit toute une famille. Son père qui s'est exilé en France n'a laissé ni bien ni pension. Il sillonnait l'Hexagone en vendant des tapis et n'était de ce fait déclaré à aucune caisse de retraite. “Si je pouvais partir, je ne ferais pas comme lui. Je ramasserais l'argent suffisant pour revenir ici pour monter une affaire”, affirme Sid-Ali. Hélas, si jeunesse pouvait et si vieillesse savait qu'il ne servait à rien de se tuer à la tâche ! Khadidja a trente-quatre ans dans l'enseignement. Professeur au collège, elle touche 17 000 DA. “Bien sûr que ce n'est pas suffisant !”, s'écrie-t-elle. Les 2 000 DA d'augmentation du Smig réussissent seulement à lui arracher un sourire… narquois. S'exprimant à sa place, sa sœur s'élève vindicative : “Des enseignants qui touchent des salaires misérables ! Même si le montant du Smig est relevé à 20 000 DA, ce sera toujours peu car, aucun dinar ne vaut le sacrifice et le dévouement des enseignants.” Pourtant, 2 000 DA d'augmentation, c'est toujours ça pour des gens qui ont déjà des salaires ou des pensions de retraite. “Que demander de mieux !”, s'exclame Noureddine. Adossé au mur qui constitue son unique soutien, il regarde passer les cohortes de fonctionnaires aux semelles et aux espoirs usés. SAMIA LOKMANE M. Lakhdar BadreDdine, Secrétaire Général de la Fédération des Pétroliers de l'UGTA, À Liberté “Le Chef du Gouvernement est notre seul Interlocuteur” Liberté : Quelle est votre réaction par rapport aux résultats de la tripartite ? M. Lakhdar Badreddine : Notre réaction, d'une manière générale, est positive. Car, les dossiers abordés lors de cette tripartite sont des dossiers qui ont des conséquences sur la vie économique et sociale des citoyens. En ce sens que c'est la première fois qu'une tripartite discute des aspects économiques de la vie nationale. C'est-à-dire ? C'est-à-dire qu'on a discuté de la mise à niveau technologique des entreprises pour l'amélioration de la qualité et du coût des produits nationaux. Mais aussi de la mise à niveau managériale qui permet à ces entreprises d'avoir un personnel qualifié par rapport aux nouveaux défis, en ce sens qu'elles doivent faire face à la concurrence. Ceci, pour maintenir le marché algérien entre les mains des entreprises algériennes publiques et privées. Sur le plan des outils de réalisation, l'entreprise doit occuper une place prépondérante dans la réalisation, en Algérie. Cela, pour la simple raison que l'entreprise algérienne est menacée par les entreprises étrangères qui prennent en général tous les marchés. Et s'agissant de l'assainissement des entreprises… Effectivement, on a parlé de l'assainissement des entreprises. Il y a des entreprises pour lesquelles ont a décidé du gel des dettes, à l'exemple de la SNVI, pour leur permettre de mieux décoller. Il y a aussi la promotion de la production nationale. On a pris à cet égard un certain nombre de mesures aux plans national et international pour donner la priorité à la production nationale. C'est dans cet objectif qu'on a retenu le principe de la création d'un comité de suivi pour améliorer la production nationale. On a également posé le problème de la médecine de travail pour protéger la santé des travailleurs. Nous avons retenu, à cet effet, la proposition de la mise en place d'un organisme de la médecine de travail non rattaché au ministère de la Santé. Tout comme on a décidé de l'installation d'un conseil national pour la prévention des risques professionnels. Le problème de l'Agence nationale de l'emploi a également était au centre des débats. Tous les problèmes de l'emploi et du chômage doivent obligatoirement transiter par cette agence. Enfin, le relèvement du Snmg a été à l'étude avec le relèvement de 2 000 DA annoncé hier. Le relèvement du Snmg a été décidé après consultation du Chef du gouvernement avec le président de la République. Quel est votre commentaire là-dessus ? Nous, notre interlocuteur, c'est le Chef du gouvernement. Le secrétaire général de l'UGTA n'a négocié les salaires qu'avec lui. Maintenant, si le Chef du gouvernement consulte le président de la République, c'est son problème. Pour l'UGTA, le seul vis-à-vis, c'est le Chef du gouvernement. Quelle est votre explication à l'interruption, depuis 2000, des tripartites ? La tenue d'une tripartite ne se fait pas automatiquement chaque année. Elle se fait uniquement quand la nécessité l'oblige. Pour notre part, on n'a pas demandé une tripartite qui n'a pas eu lieu. Trouvez-vous normal que ce soit le président de la République qui eut décidé de l'augmentation salariale lors du dernier relèvement du Snmg en 2001 ? La décision de la dernière tripartite a été subordonnée à l'accord du Conseil des ministres. Autrement dit, cette tripartite a été paraphée par le Conseil des ministres. Le président de la République n'a fait qu'annoncer l'augmentation salariale, mais c'est l'UGTA qui a mené les négociations. Nadia Mellal