«Je croyais qu'on me connaissait un peu en Algérie» «Ce n'est pas de ma faute si je m'appelle Daniel Brükner» A quel âge avez-vous commencé à jouer au football ? A 6 ans, mes parents m'ont inscrit dans un club local à Hambourg. Il s'appelle Hambourg EBC. Par la suite, j'ai été repéré par les recruteurs du centre de formation du Werder de Brême. J'ai joué avec l'équipe réserve jusqu'à l'âge de 23 ans, car la concurrence était vraiment grande avec toutes les stars qu'il y avait à l'époque. J'ai donc décidé de quitter le club afin de pouvoir gagner en temps de jeu. Après trois ans d'attente, je commençais à m'impatienter. Je voulais me mesurer à un niveau supérieur, celui de la troisième division dans laquelle évoluait l'équipe B du Werder de Brême. J'ai donc signé à FC Rot-Weiss Erfurtun, un club du sud de Hambourg. J'y ai joué deux ans et c'est là que j'ai rencontré mon ami Karim Benyamina. J'ai aussi joué au SpVgg Greuther Fürth avant de signer au SC Paderborn 07. Comment avez-vous réussi à vous trouver Benyamina et vous ? En fait, il était alors à l'Union de Berlin. C'était en 2006 et nos deux clubs avaient d'excellentes relations. On jouait souvent contre eux, que ce soit sur gazon ou en salle pendant les mois de froid. Avec mon nom qui n'a rien à voir avec celui d'un Algérien (il rigole), Karim ne pouvait pas savoir qu'on avait des origines communes. A vrai dire, moi non plus, car j'avais juste entendu son prénom Karim et ça a sonné arabe dans ma tête. Je me suis dit qu'il y avait une petite chance qu'il soit Algérien. Je suis donc allé le voir pour lui demander d'où il venait. C'est là que notre amitié a commencé. C'était au nom de l'Algérie. (Il sourit). Vous vous appelez donc souvent ? Oui, naturellement. On s'appelle assez souvent et je suis toujours très content d'apprendre qu'il a été sélectionné en Equipe nationale. Je l'appelle pour le féliciter et pour lui souhaiter la victoire pour notre Algérie. A part Benyamina, avez-vous aussi d'autres amis algériens parmi ceux qui ont évolué en Allemagne ? Oui, il n'y avait pas que Karim, bien évidemment. Je connais aussi Anthar Yahia avec qui j'étais en contact avant qu'il parte jouer en Arabie Saoudite. Je l'ai connu lui aussi, lorsqu'on avait joué contre Bochum en championnat. Avec ces deux joueurs, on aurait pu facilement vous découvrir bien avant. Pourquoi ils n'ont jamais parlé de vous à la FAF ? Je ne sais pas. Personnellement, je croyais qu'on me connaissait un peu en Algérie. J'ai souvent lu sur Internet des petites infos me concernant et dans lesquelles on mentionnait toujours mon origine algérienne. Je ne pensais pas que j'étais si étranger que ça aux gens du football en Algérie. N'avez-vous jamais demandé à Yahia ou Benyamina de parler au président de la FAF ou au sélectionneur à votre sujet ? Vous savez, tous les Algériens ont de la fierté et donc moi aussi, en tant qu'Algérien, je ne peux pas m'empêcher d'en avoir dans ce genre de situation (il sourit, un peu gêné). Franchement, je ne me vois pas aller demander à quelqu'un de faire un truc comme ça. Cela ne me ressemble pas. Je ne crois pas que les autres internationaux aient fait cela pour être sélectionnés. Moi, je me contente de faire mon boulot sur le terrain et c'est au sélectionneur de voir si je mérite d'être dans son équipe ou pas. C'est très gênant d'aller demander cela. Avec Anthar Yahia, quand on s'appelait, c'était pour avoir des nouvelles des Verts, leurs prestations en Afrique et tout. Mais il n'a jamais été question qu'il me présente au sélectionneur. Vous savez, si l'Algérie m'avait appelé pour honorer les couleurs du drapeau national, j'aurais été au courant. C'est un honneur tellement grand que j'aurais couru sans me poser la moindre question. Mais le problème est que personne ne m'a appelé à ce jour. Et vous rêvez de jouer pour l'Algérie depuis quel âge ? Depuis que j'ai commencé à jouer au football professionnel. Je disais toujours à mon père que si un jour je deviens un bon footballeur, je ne jouerai que pour les Verts. Wallah que c'est vrai (il le dit en arabe). J'ai toujours été un mordu de l'Equipe nationale. Mais le destin a voulu que je sois ignoré à ce jour. J'attends cet honneur depuis bien longtemps, trop longtemps même, vous pouvez me croire. Votre situation est vraiment regrettable car vous auriez pu aider l'EN depuis bien longtemps. Que peut-on faire à l'avenir pour que d'autres jeunes d'origine algérienne soient découverts plus tôt ? Je n'ai pas encore joué pour l'Equipe nationale. Et donc, on ne peut pas dire si je peux aider l'équipe ou pas. Je dis cela, car j'estime qu'on n'est jamais dans les mêmes conditions qu'en Europe lorsqu'on joue contre les nations africaines. Le jeu est totalement différent et les joueurs sont souvent confrontés à d'autres facteurs, comme la chaleur ou l'humidité. J'en suis bien conscient. Il faudra être balèze dans la tête pour jouer dans de telles conditions. Car c'est toujours plus facile de parler que d'être sur le terrain. Seulement, j'aurais tant voulu qu'on me donne une petite chance pour voir si je peux aider l'équipe de mon pays. J'ai attendu longtemps un signe de la part des sélectionneurs, en vain. J'espère qu'elle finira bien par arriver un jour. Maintenant pour ce qui est de l'avenir des jeunes, je dirais qu'il faudra peut-être créer une structure de détection au niveau des ambassades ou quelque chose du genre. C'est là qu'on peut connaître si un footballeur est Algérien ou pas. Que conseilleriez-vous à un jeune dans votre cas ? D'abord de montrer son attachement pour l'Algérie le plus tôt possible. C'est vrai que je suis moitié Allemand et moitié Algérien, mais je vous assure que mon cœur est totalement Algérien. Et puis, celui qui veut se faire connaître doit également faire un peu de «bruit», médiatiquement parlant. Tous les moyens sont bons pour communiquer autour de soi. Avec Internet, ça va devenir plus facile, je pense, et c'est tant mieux pour tous. A mon avis, les jeunes doivent surtout se prononcer rapidement et dire ouvertement sans ambiguïté qu'ils désirent jouer pour l'Algérie. Il ne faut pas hésiter car ça énerve tous les Algériens. Chez nous, on n'aime pas les opportunistes. Il faut être clair dès le départ si on est sincère. A quel poste avez-vous été formé et dans quel secteur évoluez-vous aujourd'hui ? J'ai été formé comme avant-centre. J'y ai joué longtemps avant de me décaler sur le côté gauche. J'occupe donc aujourd'hui le couloir gauche offensif. Je suis un pur attaquant. Vous êtes souvent titulaire avec Paderborn. Depuis quand jouez-vous de manière régulière ? Je suis titulaire à part entière et ce depuis trois saisons. J'ai réussi à m'imposer dans l'équipe grâce à Dieu et au travail qu'il me permet d'effectuer à chaque entraînement. Qu'avez-vous à répondre à ceux qui diront qu'à 29 ans, vous êtes un peu vieux pour espérer intégrer l'Equipe nationale ? D'abord que si je n'ai pas été retenu à ce jour, ce n'est vraiment pas de ma faute. Et puis, si certains diront que c'est à cause de mon nom Brükner que je n'ai pas été repéré avant, je leur répondrai aussi que ce n'est pas de ma faute, non plus. Moi, je suis né d'un mariage mixte entre une Allemande et un Algérien et je n'ai pas vu venir ces choses-là. Mais c'est vrai que je peux comprendre qu'on dise que je suis un peu vieux pour la sélection nationale, car ce n'est pas l'âge idéal pour commencer une carrière internationale. Sauf que si j'étais vraiment vieux comme vous dites, le coach de Paderborn aurait vite fait de me mettre sur le banc ou dehors, carrément. Si je joue titulaire depuis trois ans, c'est que je suis au top de ma forme. Je peux même vous assurer que je me sens de mieux en mieux, El Hamdoullah. Et puis, si vous êtes sélectionné à 29 ans, il ne faut pas oublier que d'autres joueurs ont été accueillis à bras ouverts à l'âge de 31 ou 32 ans. Vous connaissez sans doute Benarbia et Hamdani, non ? Oui, je les connais, mais pas personnellement. Eh bien, je ne savais pas qu'ils avaient été retenus à plus de 30 ans. C'est donc assez raisonnable pour moi. Je n'ai pas battu le record ! (Il se marre). Non, mais c'est vrai que c'est un très bel exemple que vous avez cité là… Eux avaient peut-être en tête le rêve de jouer pour l'Equipe de France… Mais pas moi, je peux vous l'assurer ! (Il rigole encore). Je n'ai jamais pensé à la France, ni à l'Allemagne. Mon père peut en témoigner. Depuis que je suis devenu footballeur professionnel, je n'ai pensé qu'à l'Algérie. Mais c'est l'Algérie qui n'a pas encore pensé à moi ! (Rire). On imagine que vous avez été très frustré de voir Saâdane et Benchikha vous ignorer avant et après la Coupe du monde… J'ai naturellement regardé tous les matchs de l'Algérie et j'ai vibré comme tous les Algériens. Je vais vous dire le fond de ma pensée. L'année de la Coupe du monde, j'avais réalisé une très bonne saison et je ne vous cache pas que je cultivais l'espoir d'être retenu par M. Saâdane. C'est un sentiment légitime que tous les footballeurs algériens avaient eu tout comme moi. Comme je connaissais Yahia, je me disais qu'un jour ou l'autre, le coach allait m'appeler pour me dire qu'il allait venir me superviser comme il le faisait avec les joueurs évoluant en France ou ailleurs. D'un autre côté, je savais aussi que c'était très difficile d'intégrer ce groupe qui avait arraché vaillamment la qualification en Coupe du monde. Les joueurs s'étaient habitués entre eux et je me disais qu'il était très délicat de tenter de les rejoindre quand la guerre était finie. C'est très compréhensible vu que c'est eux qui ont qualifié l'Algérie. C'est eux qui s'étaient battus en Afrique, eux qui avaient fait tous les sacrifices. C'est légitime. Pensez-vous que le fait d'avoir pris le nom de votre mère au lieu de celui de votre père vous a plutôt desservi au final ? D'abord permettez-moi de vous dire que ce n'est pas moi qui ai choisi de m'appeler Daniel Brükner à la place de Belgacem Ouldgoreïne. J'ai grandi avec cela et je n'ai rien à voir dans cette histoire. Mais c'est vrai que j'y pense de temps en temps et je me dis que c'est peut-être une erreur, en effet. Aujourd'hui, ce qui est fait est fait. Cette histoire est celle de mes parents. Moi, je n'ai fait que suivre ce qu'on m'a demandé de faire. Je n'ai rien demandé. Tout ce que je peux faire de mon côté est de continuer à travailler dur afin d'honorer l'Algérie par mon comportement de musulman et mon football. Vous êtes déjà allé en Algérie ? Oui, à plusieurs reprises. J'ai même vécu une année à Mostaganem quand mes parents avaient décidé de s'y installer définitivement. C'était en 1985. A quand remonte votre dernière visite ? Au mois de juin dernier. J'ai profité d'une semaine de repos pour aller rendre visite à ma famille du côté de Mostaganem, à Mazagran précisément. Dès que je peux y aller, je n'hésite pas. La famille, c'est très important pour moi, et puis je revois toujours mes cousins et mes amis avec qui j'ai de très bons souvenirs d'enfance. Quand vous voyez le sélectionneur faire appel à des joueurs de la Ligue 2 française, vous ne vous dites pas que vous avez aussi une petite chance d'être retenu vu que la Bundesliga 2 est d'un niveau supérieur à la Ligue 2 française ? Si vous dites que la Bundesliga 2 est d'un niveau supérieur à la Ligue 2 en France, c'est qu'il y a en effet un peu d'espoir pour moi. J'espère que le sélectionneur verra du même œil cela pour me donner l'occasion de lui montrer ce que je peux apporter à l'EN. Si demain le sélectionneur décide de vous faire appel, dans quelle langue allez-vous lui parler vu que vous ne parlez pas arabe ? Déjà que je ne serai pas le seul à parler allemand dans l'équipe, puisque Yahia, Matmour, Benyamina et un peu Ziani aussi je pense, peuvent tous m'aider à comprendre. Mais sachez que je parle aussi l'anglais et le football est une langue universelle. Il suffit de m'expliquer une fois ce que le coach attend de moi et ça ira. C'est comme cela que ça se passe dans le monde entier. La langue ne devrait pas être un handicap en principe. En parallèle, je peux vous dire que j'ai pris des cours d'arabe dans le but de connaître un peu plus l'islam et pouvoir lire le Coran, mais malheureusement, je ne suis pas tombé sur le bon prof, car on m'apprenait soit le dialecte marocain, soit l'arabe classique. Et avec cela, je n'arrivais pas à trouver le bon équilibre pour communiquer en arabe algérien. C'était un peu compliqué toute cette histoire. J'ai donc fini par comprendre que, pour une solution plus facile, il faudra apprendre le français pour parler à mes compatriotes. (Il rigole). J'ai donc commencé des cours de français pour pouvoir communiquer plus facilement en Algérie. Ça, c'est une erreur de votre papa qui ne vous a pas appris à parler l'arabe, non ? (Il se tourne vers son père qui était assis juste à côté de lui et l'enlace chaleureusement sans prononcer un mot…) Entretien réalisé à Hambourg (Allemagne) par Nacym Djender