«Jamais je n'ai pensé à partir du Real. Quand tu es à Madrid, tu veux aller où ? «En gros, si je marque je suis français, mais si je ne marque pas ou qu'il y a des problèmes, je suis arabe» Après deux saisons compliquées, sur le terrain comme en dehors, Karim Benzema semble enfin concrétiser à l'échelle mondiale les espoirs placés en lui. Grâce à deux mentors pour lesquels il dit avoir envie de tout donner : Laurent Blanc et José Mourinho. De Ronaldo à Khaled, de Zidane à De Niro, de Fifa 2012 à Facebook, de Raymond Domenech à François Hollande, entretien tous terrains. Karim Benzema a 24 ans. De l'avis de son entourage, «il a grandi». Et de fait, par rapport à la dernière fois où nous avions partagé un long moment avec lui – en 2007 –, Benzema a changé : désormais, il parle sans regarder ses chaussures, et il rit. C'est déjà beaucoup pour celui qu'on a cru pendant un moment n'être qu'une sorte de machine de guerre programmée pour devenir le meilleur joueur français du monde. En quatre ans, les grains de sable n'ont pas manqué pour enrayer la belle mécanique. Remises en question sportives (en équipe de France comme au Real Madrid), blessures, pièges de célébrité (Zahia, usurpation d'identité, maître chanteur), la carrière de Benzema n'aura pas tout à fait dessiné la ligne droite prévue. Ca tombe bien, c'est ce Benzema rendu plus humain par deux années de galère qu'on est venu voir. Chambreur, humble et tout en sobriété apparente, polo et pantalon jean sans fioriture, et deux téléphones dont les écrans affichent régulièrement des numéros inconnus auxquels il décide poliment de ne pas répondre. Seule fantaisie, un boxer aux couleurs du Brésil qui dépasse du taille basse. On va pouvoir se marrer un peu. … Tu reviens de blessure pour un match de Ligue des champions contre ton ancien club après une semaine folle où Higuain, ton principal concurrent, a marqué neuf buts. Est-ce qu'on peut dire que tu avais un peu la pression ? Franchement ? Je n'ai pas de pression. Je me dis juste, c'est un match important, il faut que je fasse la différence. Une passe décisive, un but, quelque chose. Mais bon, la Ligue des champions, j'aime bien, donc voilà, pas de stress. Tu aimes quoi dans la Ligue des champions ? La musique. Et puis les matchs sont plus intenses. ça me plaît. Tu pensais être titulaire avant le match ? Moi, je ne pense jamais que je vais être remplaçant. Je ne vais pas me préparer pour un match en me disant que je vais être remplaçant. Après, bien sûr, il y a les choix de l'entraîneur, des fois c'est un autre, mais moi, je suis là pour jouer et je me prépare pour ça. Qu'as-tu pensé de Lyon ? Ils n'ont pas été… Je ne m'attendais pas à ce qu'ils jouent de cette façon. Ils étaient tous derrière, on les a pressés, ils n'arrivaient pratiquement pas à ressortir la balle. A Lyon, ton coach Gérard Houllier disait que tu étais le plus à l'aise en neuf et demi dans un 4-4-2… Tu es d'accord ? Ouais, c'est libre un peu, neuf et demi. J'aime bien, c'est à la fois devant, et à la fois tu vas chercher le ballon plus bas … Je me souviens qu'à Lyon, quand il y avait Fred en pointe, j'aimais beaucoup cette configuration, autour d'un point fixe, jouer les appuis, les une-deux. Mais je peux jouer aussi tout seul devant. Et comme je ne suis pas du genre à rester planté à attendre, je vais à droite, à gauche, je décroche. Il faut que je participe un peu, que je crée des espaces pour les autres… Vous parlez jeu, schémas, appels entre joueurs parfois ? Sur le terrain, ou parfois cinq minutes avant de rentrer sur la pelouse, mais c'est tout. Autrement dit, jamais. Quand tu passes de Lyon au Real, où se situe la différence dans l'apprentissage ? Tu prends de l'expérience. Moi, quand je suis arrivé, j'ai eu quelques soucis, une intégration difficile, des problèmes en dehors qui ont fait que je n'étais pas bien, et puis je ne parlais pas la langue, je ne comprenais rien ou presque à ce qu'on me disait, et en plus, j'avais des soucis musculaires, j'ai joué avec une pubalgie… Mais depuis la fin de la saison dernière, c'est beaucoup mieux… A ton arrivée, Pellegrini, qui était l'entraîneur à l'époque, faisait ses séances en espagnol. Quelqu'un te traduisait ? (Rires). Non, non, t'as personne qui traduit. Mais bon, t'as besoin de… Enfin, voilà c'est du foot, tu sais ce que tu as à faire sur le terrain. Le foot, c'est simple, t'as pas besoin de dix-huit mots pour comprendre les consignes… Même si pour les causeries, c'est plus difficile… Pourquoi tu voulais jouer pour le Real ? Parce que c'est la classe. Voilà pourquoi. La classe. Le meilleur club du monde. Gamin, je regardais Seedorf, Raul… C'est le club qui a le plus de Ligues des champions. Et en même temps, le Real, c'est pas une identité de jeu comme tu peux en avoir à Barcelone… Le Barça, ils ont toujours eu le même système depuis Cruyff. Au Real, chaque entraîneur apporte autre chose, mais moi, ça va bien. Gamin, je voulais être dans le plus grand club du monde, et j'y suis. Et pourquoi tu n'es pas allé à Manchester United ? Manchester, c'était plus facile que le Real… Mais imagine que l'offre du Real ne se représente pas : je ne pouvais pas passer à côté, avoir l'occasion de jouer au Real et ne jamais y aller. A un moment où on me proposait trop de clubs, j'avais écrit sur une feuille ceux où je voulais aller, j'avais mis Manchester United, Real Madrid. Pour moi, c'était l'un des deux. Quand le Real a dit OK, je ne pouvais pas dire non, c'était impossible. Lors de ta présentation aux supporters, les dirigeants du Real ont passé le morceau Aïcha à fond. ça craint, non ? Oh ! Mais je sais pas qui a mis ça. C'est lui qui a mis ça, j'en suis sûr (il pointe Karim Djaziri, son agent, Ndlr)… (s'adressant à lui) Dis-le que c'est toi, hein ! (rires). C'était un peu gênant… C'est pas que je l'aime pas Cheb Khaled, mais honnêtement, quand j'étais sur l'estrade et que j'ai commencé à entendre ça, je me suis dit : «Bon ben vas-y, hein». J'ai cru que j'étais dans un mariage, quoi ! Quand tu arrives comme ça, que tu es presque plus le choix du président que celui de l'entraîneur, comment es-tu accueilli ? Hyper bien. De toute façon, le président a toujours tenu à moi, il est venu chez moi à Lyon, chez mes parents, il ne m'a jamais lâché. Quand il est arrivé, José Mourinho, au départ, lui, il te mettait un peu des boîtes. Quand il a dit qu'il fallait programmer les entraînements à midi parce qu'à 10 heures tu dormais et qu'à 11 heures, tu n'avais toujours pas l'air réveillé… C'est pas à moi qu'il parlait ! La phrase, je l'ai lue dans les journaux mais en tout cas, je ne l'ai jamais entendue. On m'a dit qu'il parlait à Di Maria, mais moi, je ne m'en rappelle pas. Mourinho, il m'a dit des trucs genre «bouge-toi», mais cette phrase, je vous le jure, n'était pas à mon inttention. Et quand il dit que le mieux, c'est d'aller à la chasse avec un chien, mais que lui n'a qu'un chat, alors il va aller à la chasse avec un chat, cette fois, il parle de toi ! Je ne fais pas attention. Je ne suis ni un chien, ni un chat, ni un lion, ni un tout ce que tu veux. Après, des fois, c'est quand même de bonnes vannes. Il vaut mieux en rire. Même si c'est vrai qu'à un moment, il était à fond sur mon dos. Il était particulièrement exigeant avec toi ? Ouais. Il me lâchait pas, et d'ailleurs je l'en remercie, parce que j'ai pas lâché non plus. Je voulais jouer, j'ai été patient, je savais que mon heure allait arriver… Jamais je n'ai pensé à partir. Quand tu es à Madrid, tu veux aller où ? Si l'entraîneur avait voulu que je parte, il me l'aurait dit. Mourinho, il dit les choses en face. Donc, si lui ne me met pas dehors, je reste, et je me bats. Maintenant, Mourinho dit que ça y est, tu as la même vision du foot que lui. C'est quoi exactement cette vision ? Qu'est-ce que tu as compris ? J'ai compris que Mourinho n'attendait pas que je change mon jeu, mais il voulait plus de rage, me voir entrer comme un guerrier sur le terrain, avoir faim de la première à la dernière minute. C'est plus dans l'esprit que sur le jeu quoi ! Et sur ton placement, il te dirige beaucoup ? Non. En pré-saison, oui, beaucoup, il donne des conseils, mais une fois que la saison est lancée, on a compris, on sait ce qu'il faut faire. Qu'est-ce qu'il a de si spécial ? Il gagne. C'est énorme, déjà, non ? Et puis, il est proche des joueurs, il est tout le temps avec nous. Il transmet toute la gagne qu'il a en lui à tous les joueurs, pour qu'on entre sur le terrain morts de faim. Donc Mourinho, ce n'est pas tant un maître-tacticien qu'un super meneur d'hommes ? Attends, il fait de bons choix tactiques quand même. Après vingt minutes de jeu, il peut changer trois joueurs, et c'est rare qu'il se plante ! Il fait des coups, il tente, il provoque la réussite et il gagne, partout où il passe. Des fois, à la première minute d'un match, quand on entre sur le terrain, il sait si on va faire un bon match, on si on va prendre un but. Je sais pas ce qu'il a comme don, c'est un truc de ouf… Mourinho le prophète ! (Rires). Tout le monde le respecte. Tout le monde fait ce qu'il dit. On a pu lire que cette année, tu jouais mieux parce que tu avais perdu du poids… Je suis passé de 89 à 82 kilos, oui, mais en un an, pas en cinq jours comme je l'ai lu dans la presse. J'ai fait une cure pour désintoxiquer mon corps. Mais qu'est-ce qu'il se passe bon sang à Merano ? Rien, tu restes tranquille, tu te fais masser. Tu élimines les vacances, la plage, tout ça… Après, il se trouve que mon estomac a rétréci parce que pendant une période, j'ai un peu moins mangé, j'avais un tas de problèmes, musculaires, judiciaires, sur le terrain, l'équipe de France, tout ça, j'avais moins d'appétit, j'ai perdu du poids, voilà ! En fait, le meilleur régime, c'est Raymond Domenech ? «Passez une semaine avec Raymond Domenech pour perdre dix kilos» Celui qui fait ça…(rires). Selon toi, pourquoi il ne t'emmène pas à la Coupe du monde en 2010 ? Qu'est-ce que j'en sais moi… ? C'est son choix. T'as vu qui il prend … Il prend Cissé, Gignac. Franchement, je ne sais pas pourquoi il me prend pas, mais je n'ai vraiment pas envie de parler de lui. Je revenais de blessures, j'ai repris deux semaines avant qu'il donne sa liste, donc c'était pas sûr que je sois sélectionné, mais bon, j'y croyais quand même. J'avais envie d'y aller, à la Coupe du monde. Comment tu l'as vécue ? Je suis parti en vacances, direct. Et j'ai regardé la Coupe du monde du Mexique. Et qu'est-ce que tu en as pensé ? C'était le bordel, un peu… parce que y avait de grands joueurs, de bons joueurs, et puis ils ont fait… (il se tait). A l'époque, le fait que tu n'aies pas été pris a été justifié par ton manque d'implication en Equipe de France, avec notamment ce que tu avais dit à Téléfoot après le match contre la Roumanie en septembre 2009…. Baaaaaah, ce que j'ai dit… Qu'est-ce que j'ai dit déjà ? Que tu n'avais pas forcément envie de jouer. Ouais… Vous vous rappelez de ce match ? Ceux qui étaient sur le terrain n'avaient pas envie de jouer déjà. Je suis entré, j'ai dit à je sais pas qui : Vas à droite «non» va… «non». Un moment, on était toute l'équipe côté gauche, tout le monde voulait… Bon bah. Enfin, de toute façon, j'ai oublié tout ça, c'est super loin ! Et sur le terrain, il n'y avait pas un mec capable de dire… Personne. Imagine, t'as Mourinho qui est sélectionneur… Ce qu'il se passe ce jour-là ne peut pas se passer. Et la suite non plus… Tu en veux à Domenech ? Je ne veux pas parler de lui, je ne veux même pas dire son nom. Juste avant ce fameux match contre la Roumanie, c'est vrai que vous avez dîné à trois avec Domenech et ton agent et qu'il t'as dit qu'il comptait sur toi. Que tu serais titulaire, qu'il t'a fait des promesses ? Oui, mais franchement, c'est bon, c'est fini, cette Equipe de France est loin pour moi, désormais tout ça c'est du passé. Revenons sur cette image de mec nonchalant. Domenech avait peut être tort, n'empêche que tu as parfois ce côté-là, de mec pas concerné, ce n'est pas un hasard si la phrase de Mourinho t'as été associée, non ? Oui, sans doute, j'avais grave des soucis à cette époque. Quand t'as des soucis dans la tête, voilà tu joues pas, tu te prends la tête, c'est normal. Moi une fois que je suis sur le terrain, que je joue, je suis content, il n'y a ni nonchalant, ni envie de, ni je ne sais quoi… Le mec qui sourit pas, qui fait la tête, ou je ne sais pas quoi, je calcule pas, je suis comme ça… il y avait quelques blessures, je jouais pas… En Equipe de France, quand j'y allais, je savais que j'allais être remplaçant, que j'allais jouer deux minutes. Donc voilà, comme je l'ai dit, j'avais pas forcément envie de jouer. Je l'ai dit, voilà, j'aurais peut-être pas pu le dire. Mais après, par la suite, ça s'est mieux passé. Laurent Blanc t'as complètement relancé en Bleu… Super bien. Déjà, quand j'étais à Lyon, j'avais discuté avec lui quand il entraînait Bordeaux, à Gerland, dans les couloirs, dans les vestiaires… C'est quelqu'un qui connaît le foot, qui a joué, qui a fait une grande carrière. C'est important, ça, qu'il ait fait une grande carrière, pour toi ? Oui et non. Regarde : Blanc, il a joué au foot, il a les titres, et de l'autre côté Mourinho, il n'a pas joué au foot. Donc voilà, c'est différent, mais ce sont des mecs qui connaissent. Et qui te mentent pas. Si t'es pas bon, ils vont te dire : «T'es pas bon». Ou s'ils ne comptent pas sur toi, ils vont te dire tout de suite : «Je compte pas sur toi». Ils vont pas te raconter des histoires, te la faire à l'envers, te laisser espérer quelque chose et... Donc Laurent Blanc, il t'a dit tout de suite : «Karim, je compte sur toi» ? Ben, il m'a pris alors que personne ne voulait que j'aille en Equipe de France. En même temps, tu voulais qu'il prenne qui ? Anelka s'est grillé, Henry, bon, à New York... Donc c'est pas pour te dévaloriser, mais tu voulais qu'il prenne qui de toute façon ? Sans doute mais quand même, Laurent Blanc, c'était clair dans sa tête tout de suite. Avant d'être nommé, il avait appelé mon agent, il lui avait dit : «Dis au gamin qu'il se prépare, je compte sur lui.» C'était quand exactement ? Quand il y avait les trucs du ministère, l'histoire des mises en examen (affaire Zahia, dont il sortira blanchi en novembre 2010). Le président de la fédération avait dit : «Je suis d'accord avec la ministre (Chantal Jouanno), pas de joueurs mis en examen dans l'équipe.» Et Laurent Blanc avait répondu : «Je prends qui je veux». Là, je me suis dit : «OK, je vais me tuer pour lui.» À ce point ? Je sais qu'il compte sur moi. Je sais que le staff, l'équipe, le coach sont derrière moi, et qu'ils ont confiance en moi, donc moi, sur le terrain, je donne tout. Avec son passé de défenseur de haut niveau, il te donne des conseils précis sur comment jouer tel ou tel défenseur ? Il parle du jeu, de comment jouer en une touche de balle, des choses comme ça. Mais après, non, il ne donne pas trop de conseils sur les défenseurs... Ton modèle, ça reste Ronaldo ? Pour moi, c'est le meilleur joueur de tous les temps. Rapide, technique, création du jeu, buteur tout ça. Depuis que je suis tout petit, je m'inspire de lui. J'ai regardé ses conduites de balle, ses feintes, sa façon de s'approcher du but, ses frappes de balle, mais... pfff, le mec est trop fort. Le truc le plus proche que je réussis, c'est le passement de jambes. En match, j'essaie des trucs vite fait, mais bon... Il est beaucoup plus fort que toi tu penses ? Bah, ça n'a rien à voir. Je ne vais jamais me comparer de ma vie à lui. Pour moi, c'est le seul attaquant et voilà… Ronaldo, il est dans mon équipe, je vais sur le banc et je me tais. Ici, je reçois beaucoup de conseils de Zidane, il est devenu un peu comme un grand frère, il vient me voir tous les jours quand il est au club, on s'appelle, on s'envoie des messages... Bref, on parle souvent de Ronaldo, et Zizou, il le dit : «Ronaldo, c'était grave, c'était le meilleur». Tu aurais aimé jouer avec lui ? Franchement, je ne lui aurais mis que des passes. (Rires.) Il y a des fois où tu es intimidé ? Quand tu arrives dans un club où il y a Cristiano Ronaldo, des mecs comme ça ? Non, c'est pas pareil. Ma seule idole, c'est Ronaldo. Tu l'as rencontré ici, non ? Ils t'avaient fait la surprise... Quelle surprise ? Je savais déjà qu'il allait venir. C'était Oscar, un gars du club, un super mec, il savait que j'aimais bien Ronaldo, il est proche de Ronaldo machin, et après, ils me disent : «Viens au stade ». Moi je savais, qu'est-ce que tu veux que j'aille faire au stade ? Qu'est-ce que tu lui as dit quand tu l'as rencontré ? Je parlais pas encore espagnol. Que voulais-tu que je dise ? Rien. Je lui ai dit : «T'es un tueur, c'est grave». T'as fait la groupie, quoi. Non, jamais. T'as pris une photo, comme ça, avec ton portable, comme une minette ? Abuse pas quand même (rires). S'te plaît. Mais franchement, c'est lui qui m'a inspiré. En parlant de groupies, tu as eu des malheurs avec Facebook... Un type s'est fait passer pour toi et a envoyé des photos perverses à des collégiennes de 14 ans... De toute façon, tu vas sur Facebook, tu tapes «Karim Benzema», et là, rien que sur moi, c'est grave... Tu lis, ils ont pété les plombs. Certains avaient pris le même pseudo que j'avais à l'époque. Du coup, je me suis barré de Facebook, mais y en a un qui s'était vraiment fait passer pour moi, et ça a fait des histoires... Elles étaient jolies au moins les filles à qui il envoyait des photos ? T'es con, toi. La meilleure histoire, ça reste celle du maître chanteur. Comment ça s'est passé, tu nous racontes ? C'est mon agent qui m'appelle un jour et qui me dit : «Y a un mec qui a appelé, il a des photos de toi, machin, avec une meuf, elle s'appelle tac machin, voilà et bon ben, il veut 900 000 euros. En liquides.» Là, je me suis dit : Il a pété les plombs lui ! Et les photos c'est quoi ? C'est des photos genre (il mime, coude à coude) la fille elle est à côté de moi. Et genre : «J ‘ai d'autres photos machin.» Et : «Je veux 900 000 euros, sinon je vais les vendre.» J'ai dit à mon agent : Vas-y, gère cette histoire. C'était le père de ton ex-copine au final, c'est ça ? D'une ex-copine ? Pas une ex. Une fille quoi. Je la connaissais, mais c'était pas ma copine. Elle a dit qu'elle était au courant de rien, c'était pas son père d'ailleurs, mais son beau-père. Il voulait des petites coupures, des billets usagés, dans deux sacs de sport différents, Il croyait que j'étais Elvis Presley et qu'il était dans un film...Ben v'là le film... (rires)... Ça s'est fini comment ? Les flics lui ont tendu un piège. Et il s'est fait gauler. Comme tous les footballeurs, tu as connu les parasites ? Ces mecs qui traînent avec des footballeurs et vivent à leurs crochets... (il se marre) Non, non. (rires) Avec moi, ça serait dur. Je sais que ça existe, j'en connais, mais comment dire... Je suis pas facile quoi, je fais pas confiance. Y en a qui essaient, qui jouent les groupies, mais bon... Des filles aussi ? Un peu. Vite fait. Les filles, vite fait. (à son agent) Pourquoi tu rigoles ? (rires). En fait, j'ai les mêmes potes depuis que je suis tout petit, des gars de mon quartier. J'ai quelques connaissances à Madrid, mais je préfère garder mes connaissances de Lyon, en fait. C'est pour ça qu'au début, ici, c'était dur, je me sentais seul. D'autant que Madrid, ce n'est pas pareil que la France. En France, il y a plus de trucs en équipe, genre bon : «Après l'entraînement, on va tous là-bas.» Ici, c'est chacun sa vie. Y en a un il a des pubs, l'autre il a des tournages de je sais pas quoi. I'autre il va voir sa femme. Ce sont deux mondes différents. Et quand je suis arrivé, bon, j'étais à l'hôtel, pas de potes, mes parents ne pouvaient pas venir, juste mon petit frère qui était là, mais pas tout le temps. Aujourd'hui, c'est mieux, j'ai pris une maison, tous mes potes de Bron, quand ils ont le temps, viennent, mes soeurs aussi, mon frère, à tour de rôle... Toi, tu retournes à Bron ? Ouais, les jeunes ils savent où je suis à Lyon : je suis avec ceux avec qui j'ai grandi. Ils font quoi aujourd'hui ? Ils galèrent. Pas tous hein, y en a qui travaillent, mais ouais, la galère. Comme dans tous les quartiers, en fait. Tu arrives à gérer la différence de classe sociale ? Mais quand je suis là-bas, je suis comme eux, pour moi, c'est normal. Tu fais quoi avec eux ? On joue à Fifa 2012. Tiens d'ailleurs, tu peux l'écrire en gros ça : à Fifa, je suis un bananier ! J'ai battu le champion du monde 2-0 ! Je suis un bourreau, je prends tout le monde, le bananier c'est mon surnom ! Parce que je fais de l'ombre à tout le monde, quand je frappe c'est gamelle, c'est tellement fort que la balle rentre et ressort. Hey (il s'adresse à son agent), c'est quand que j'ai commencé à tâter à Fifa ? 2009, non ? Ouais, je crois que c'est ça, Fifa 2009. Le bananier, souviens-toi ! Je prends n'importe qui… Tu joues tout le temps ? Non, c'est par périodes, ou quand il y a quelqu'un chez moi, mais sinon, pas trop. Bon, là, je commence à me mettre en réseau avec des potes qui sont à Lyon. On se fait la Ligue des champions. Il paraît que tu es allé voir un match de ton frère dans la banlieue lyonnaise, au fin fond de Décines, il y a quelques semaines... Ouais, j'y suis allé direct, c'est mon petit frère, sans me cacher et sans frimer, normal quoi. Il joue en seniors, et il aime bien. Il est fort, hein, mais il veut pas jouer en pro, lui c'est juste comme ça, le plaisir. Si demain, je lui dis : «Ouais, va je sais pas en Ligue 2 ou machin», il va me dire : «T'es malade». Tu as six frères et sœurs, c'est ça ? Non, huit. Trois frères, cinq soeurs, je suis le sixième. Je peux te dire qu'à la maison, c'était un sacré bordel. Des conneries à deux balles, des trucs qui si je te les raconte, ça te dira rien, mais franchement, c'était bien. Ma mère a arrêté de travailler pour rester au foyer, les grandes sœurs s'occupaient de nous, elles nous emmenaient, tout ça. Il y a encore des réunions de famille ? Quand je rentre à Lyon, tout le monde vient chez moi. J'ai acheté une maison à mes parents, ils ont déménagé, mais ils sont souvent à Bron, on a toujours la maison aussi là-bas, mon petit frère va toujours à l'école à Bron. Tes grandes soeurs se permettent encore de te gronder, de te prendre la tête quand tu fais des conneries ? Je suis plus petit, mais pour elles, je suis le plus grand. Tout à l'heure, tu disais que tu préférais garder tes potes d'enfance, mais il y a quand même des amitiés électives : des mecs avec qui tu es devenu pote sur le tard, comme Rohff par exemple. Je suis comme ça sérieux. Dans la vie, quand je connais pas... Mais Rohff, c'est pas pareil: lui, avant de le connaître, j'étais fan de sa musique. Après, mon agent m'a demandé qui j'aimerais rencontrer... On me l'a présenté et tac, tac, c'est un bon mec, quoi ! Et si on te demande, aujourd'hui, qui tu voudrais rencontrer ? J'ai vu tous ceux que je voulais voir : Ronaldo, Zizou. Après, De Niro, ou Al Pacino, pourquoi pas. Plutôt De Niro d'ailleurs. J'ai adoré le film où il est chauffeur... Taxi Driver ? Non, chauffeur de bus, de car. Il était une fois le Bronx. Ouais, avec Sunny. Il est super, ce film. Tu vas beaucoup au cinéma ? Non, je n'ai pas encore eu l'occasion d'y aller depuis que je suis ici. Mais je regarde des séries. Il y a un truc... (à son agent) Comment elle s'appelle la série que je mate déjà ? Tu ne connais pas le nom de la série que tu regardes ? (Rires). C'est pas ma faute, c'est une série italienne. C'est la vie de Toto Riina (Corleone : il capo dei capi, le chef des chefs, série de six épisodes diffusée sur Canale5). C'est hyper violent, c'est super. Le mec qui part de rien et... qui devient un bananier ! Le mythe Scarface quoi ! Le foot est désormais considéré comme le sport de racailles devenues riches qui en ont rien à foutre de rien... Arrête, c'est vrai ? Entre nous, on calcule même pas, qu'est-ce que tu veux qu'on… C'est du foot quoi… En France, le footballeur a une image dégueulasse. Non, mais attends, prends l'Equipe de France: on est invaincus dans les éliminatoires, on gagne contre le Brésil, ils ont dit : «C'est l'équipe B», l'Angleterre, «l'équipe C» «l'équipe X». Mais ça fait 15 matchs, 14, qu'on n'a pas perdu, et pourtant, même au Stade de France, parfois on a l'impression d'être à l'extérieur. Il n'y a pas d'ambiance, et dès que ça va un peu moins bien, direct ils partent dans un délire bizarre. En gros, si je marque, je suis français, mais si je marque pas ou qu'il y a des problèmes, je suis arabe. Tu veux dire quoi ? Mes parents sont français, nés en France, après oui, mon sang, il est algérien, voilà. David Trezeguet déclarait, un jour, dans So Foot, qu'il ne s'était jamais vraiment senti français. C'était quand qu'il a dit ça ? Il y a un an. Quand il a signé à Alicante. Ah ben voilà aussi... Il avait fini sa carrière. Quand tu n'as plus rien à perdre, c'est plus facile de dire des trucs comme ça, quand même... Tu suis politiquement ce qui se passe en Espagne ? Le mouvement des indignés, tout ça… Non. Tu as au moins suivi l'histoire de Javi Poves, le mec qui a arrêté le foot ? Non, c'est qui celui-là. Qu'est-ce qu'il a fait ? Il était pro et a décidé d'arrêter car le milieu du football ne correspondait pas à ses valeurs. Ben OK, si ça lui allait pas, qu'il arrête. Il a arrêté, voilà, le truc est réglé, qu'est-ce que tu veux que je te dise. Et ce qui s'est passé en France, les primaires socialistes ? Franchement, non, j'ai coupé complètement... Même si j'ai vu François Hollande l'autre jour, il était au stade, je sais pas ce qu'il foutait à Madrid... Yannick Noah a récemment pris position en faveur de Hollande. Toi, des politiques t'approchent pour savoir si tu veux faire partie d'un comité de soutien, tu fais quoi ? Non, je reste en dehors de ça. Tu votes en France ? J'ai déjà voté je crois. Pour qui ? Bayrou ? Arrête ! Non, non, je crois que j'ai voté Ségolène Royal, je ne me rappelle plus (il réfléchit). Si quand même, je crois que c'était Royal.